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06/08/2004
La bibliothèque... de René Depestre

(MFI) Après avoir été parisien pendant plusieurs années, l’Haïtien René Depestre (1) s’est retiré depuis 1986 dans le Sud-Ouest de la France. Il vit aujourd’hui à Lézignan-Corbières, un petit hameau entre Narbonne et Carcassonne. Entouré de livres et de tableaux naïfs qui font briller ce petit coin de la France méridionale de toutes les couleurs de la Caraïbe lointaine.

MFI : Vous avez appelé votre maison « Villa Hadriana » en hommage, je crois, à l’héroïne de votre roman Hadriana dans tous mes rêves, prix Renaudot 1988 !

René Depestre : Sans Hadriana, il n’y aurait sans doute jamais eu de villa. En fait, c’est grâce aux droits d’auteur que j’ai touchés avec ce livre que j’ai pu acheter cette maison. J’ai donc nommé la maison d’après le personnage principal dont le charisme n’est certainement pas étranger à l’intérêt qu’a suscité mon livre. Enfin, puisque Hadriana est la métaphore d’Haïti, j’ai fait d’une pierre deux coups !

MFI : Votre maison est une véritable bibliothèque. Il y a des livres partout, dans votre bureau bien sûr, mais aussi dans le séjour, dans la salle à manger...

R. D. : C’est la première fois de ma vie que j’ai une maison où je peux ranger tous mes livres. Avant, comme les appartements étaient toujours trop petits, je ne pouvais jamais sortir des caisses tous mes livres. Quand j’avais besoin d’un livre, je ne savais jamais dans quelle caisse il fallait le chercher. Maintenant, je peux les toucher, les retrouver facilement, les remettre en place. C’est vraiment formidable.

MFI : Est-ce que dans votre famille on lisait beaucoup ?

R. D. : Il n’y avait pratiquement pas de livres chez nous, en Haïti, quand j’ai commencé à lire. Sauf une encyclopédie Hachette de 1922. C’était le seul livre que possédait mon père et dont il prenait le plus grand soin car il le considérait comme le compendium de toutes les connaissances du monde. C’était une encyclopédie de 2 000 pages, magnifiquement illustrée, que mon père feuilletait de temps en temps. Il nous montrait les images. Nous, les petits, nous n’avions pas le droit d’y toucher. Après la mort de mon père, ma mère me l’a donnée. Je n’avais pas encore dix ans. Je l’ai gardée pendant longtemps et je crois bien que c’est cette encyclopédie qui m’a donné le goût de la lecture et de l’écriture.

MFI : A Jacmel (Haïti), là où vous avez grandi, aviez-vous la possibilité de fréquenter des bibliothèques ?

R. D. : Non, il n’y avait pas de bibliothèques à Jacmel. C’est seulement à l’âge adulte, quand je suis venu à Paris, que j’ai vu pour la première fois à quoi ressemblait une vraie bibliothèque. J’ai fini par bien connaître la bibliothèque Sainte-Geneviève, celle de la Sorbonne, celle des Sciences-Po et bien sûr la fameuse Bibliothèque nationale. Mais les bibliothèques dont je me souviens le plus, ce sont celles des écrivains. Ayant noué des liens d’amitié avec des poètes à la Maison des Écrivains que je fréquentais assidûment à l’époque, j’ai eu l’honneur d’être invité chez ces auteurs. C’est ainsi que j’ai découvert les bibliothèques personnelles de Claude Roy, de Roger Vailland, d’Eluard. Et puis celle de Blaise Cendrars, que je ne connaissais pas encore quand je me suis présenté chez lui, un après-midi, à l’improviste. Sa femme m’a ouvert la porte. Je lui ai demandé si je pouvais voir son mari. Elle est partie le chercher, après m’avoir dit très solennellement : « Asseyez-vous, jeune homme, le maître va vous recevoir. » Cendrars m’a reçu dans sa bibliothèque. Il y avait des milliers de livres. A l’époque, il était très connu dans le milieu africaniste. Il avait publié en 1921 une anthologie de poésie nègre qui avait permis de découvrir le riche patrimoine littéraire africain. Il m’a dédicacé son Anthologie nègre que je dois avoir encore quelque part dans ma bibliothèque.

MFI : Est-ce que c’est cette découverte des bibliothèques des grands écrivains qui vous a donné envie de constituer votre propre bibliothèque ?

R. D. : J’imagine que oui. Toujours est-il que très vite après ma venue en France, en 1946, je possédais une quantité impressionnante de livres. Un ami menuisier de la Cité universitaire m’avait fabriqué deux caisses en bois pour ranger tous mes livres et ces caisses m’ont accompagné pendant mes pérégrinations à travers le monde. Mes livres ont connu des aventures aussi extraordinaires que celles que j’ai connues moi-même. A Prague où je suis allé quand on m’a expulsé de Paris en 1950, je n’ai pas été autorisé à ouvrir mes caisses parce que les autorités craignaient que je ne contamine leur jeunesse avec les livres bourgeois et subversifs que j’avais amenés de l’Occident. A Buenos Aires, où j’ai séjourné au début des années 50 avant de partir pour le Chili, j’ai laissé mes livres à la consigne. Quand je suis revenu sept mois plus tard, ils étaient sur le point d’être vendus aux enchères. J’ai dû donc réacheter ma propre bibliothèque, chose très peu courante ! Mais c’est en Haïti où je suis retourné en 1955, que j’ai dû faire face à la censure la plus bête. Je me souviendrai toujours de cette descente de police chez moi au milieu de la nuit. Les tontons-macoutes se sont acharnés sur ma bibliothèque pour ne saisir en fin de compte que les livres les plus inoffensifs. Ils m’ont confisqué, par exemple, Le Chaperon rouge parce qu’il y avait le mot « rouge » dans le titre. Guerre et paix était suspect à leurs yeux car la police des Duvalier croyait qu’il s’agissait d’un livre de stratégie de guérilla urbaine ! Finalement, c’est à partir de 1978 quand je me suis installé définitivement à Paris que j’ai pu reconstituer ma bibliothèque. Elle compte aujourd’hui huit mille volumes.

MFI : Parmi ces huit mille volumes, quels sont les livres auxquels vous tenez particulièrement ?

R. D. : Je tiens particulièrement à ma bibliothèque de poésie. Vous savez j’ai commencé ma carrière littéraire en publiant de la poésie et à 78 ans je reste fondamentalement un poète bien que le grand public connaisse mieux mon oeuvre romanesque. Et quand on est poète, on lit les autres poètes. Il y a dans ma bibliothèque plus de mille volumes de poésie du monde entier. J’aime toutes les poésies, mais j’ai une faiblesse particulière pour le Français Blaise Cendrars, le Chilien Pablo Neruda et l’Italien Cesare Pavese que je relis régulièrement.

MFI : A quoi sert la littérature ?

R. D. : Je crois que la vie a besoin de plus que la vie. Elle a besoin des mots pour lui donner un sens. C’est justement ce que fait la littérature, me semble-t-il : en la représentant sur le mode de l’imaginaire, elle la rend vivable.

Propos recueillis par Tirthankar Chanda

(1) Les derniers livres de René Depestre sont Anthologie personnelle (poésie, Actes Sud, 1993), Eros dans un train chinois (nouvelles, Gallimard, 1990), Métier à métisser (essai, Stock, 1998).



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