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20/08/2004
Y a-t-il une vie après le sport ?

(MFI) Sur le stade, ils sont des Dieux. Idolâtrés, ovationnés à chacune de leurs apparitions, les sportifs sont les héros des temps modernes. Pourquoi, une fois leur gloire passée, le retour à la vie « normale » est-il si problématique ? Pourquoi les athlètes vieillissants sombrent-ils si souvent dans la dépression, la drogue, l’alcool ? Patrick Bauche, ancien judoka devenu psychanalyste, livre quelques pistes de réflexion.

Le 20 mai 1994, le quotidien sportif L’Equipe fait sa Une sur le coureur cycliste Luis Ocana, qui vient de se suicider : « Le grand champion espagnol, orgueilleux rival de Merckx et vainqueur du Tour de France en 1973, a mis fin a ses jours. Il avait 48 ans et il laisse des souvenirs impérissables ». Le journal évoque la maladie du champion qui, atteint d’une hépatite C était diminué très physiquement et surtout ses derniers propos : « Si c’était à refaire, si je pouvais repartir dans le Tour et mourir à la fin, si quelqu’un pouvait me proposer ce contrat-là, je signerais des deux mains ». A lire cette histoire, bien d’autres noms viennent spontanément à l’esprit : Fleury Di Nallo (démêlés judiciaires), Diego Maradona (drogue), José Touré (alcool et drogue), Marc Cécillon (meurtre)... Si la plupart ne se sont pas terminés aussi tragiquement que celle d’Ocana, toutes sont là pour témoigner du drame que constitue, pour un sportif de haut niveau, l’arrêt, brutal ou progressif, de sa carrière.
Y a-t-il une vie après le sport ? Patrick Bauche répond par la négative. Dans Les héros sont fatigués, cet ancien judoka devenu docteur en psychopathologie livre une analyse passionnante de ce qu’on pourrait nommer la psyché de l’athlète : sous quels auspices elle se forme, comment elle évolue, modelant des personnalités fragiles, instables, narcissiques. Dépendantes, surtout : autant de la pratique du sport lui-même que de l’effet-miroir qui permet à un homme lambda de se transforme le temps d’un match en demi-Dieu.


Annuler la mort

Si les sportifs sont accros, c’est bien de leur image. Tension où Patrick Bauche n’est pas sans déceler une bonne part d’hystérie : « C’est dans un théâtre – et le stade en est un depuis l’Antiquité – que l’hystérique finit par vivre réellement son monde imaginaire. Il a besoin d’un cadre pour se donner à voir ». Et de citer l’exemple de tel tennisman français dont les tentatives de séduction se donnaient à plein lors des matches : « Ainsi, il pouvait, tournant le dos au filet, renvoyer au cours d’un échange la balle entre ses jambes – spectacle apprécié –, ou bien faire le poirier sur le terrain en plein match. Cet athlète de haut niveau était réputé généreux acrobate, lutteur héroïque et « show man », ce que n’a pas démenti la suite de sa carrière. »
Plus que le stade, le corps est le lieu de cette jouissance, objet sculpté pour conforter et maintenir son image. L’épreuve compétitive devient pour le sportif plus que l’objet d’une satisfaction narcissique, le seul espace où il est sûr d’exister. La recherche de performance se transforme en but à atteindre pour évacuer les tensions internes et surtout annuler ses terribles angoisses de mort. Faut-il s’étonner qu’au moment-même où celle-ci est devenu cachée, honteuse, le sport s’empare des premiers rangs de la sphère médiatique ? « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire » : les athlètes ont poussé à ses extrêmes limites l’adage populaire. Désormais, la soif de singularité les pousse à aller toujours plus loin, à repousser les limites du corps humain. Triple triathlon (12 km de nage, 540 km de vélo, 126 km de course à pied), traversée (en solitaire) de la Vallée de la Mort, marathons des sables : comment voir la vogue actuelle des sports de l’extrême autrement que comme la tentative, dérisoire et pourtant toujours renouvelée, de dépasser les limites, de franchir les limites de notre condition, d’annuler le manque. Immortels ? Ce fantasme conduit fatalement à des réveils d’une cruauté sans pareille, une fois éteintes les lumières du stade.

Les héros sont fatigués, Patrick Bauche, Payot, 15,50 euros

Elisabeth Lequeret

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