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20/08/2004
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Rentrée littéraire : docu-fiction et roman familial tiennent le haut du pavé
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(MFI) Comment se portera le roman français, collection automne 2004 ? Intime et familial, obsédé de secrets trop tard dévoilés, de conflits mal digérés, de névroses en devenir. Mais aussi : international, plongeant au plus brûlant de l’histoire récente du monde. Première fournée le 17 août…
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Les éditeurs français feraient-ils du jeunisme ? Jamais ils n’ont en tout cas privilégié à ce point les jeunes auteurs : sur les 440 fictions à paraître à la rentrée, 121 sont des premiers romans, soit plus d’un sur quatre. Première historique ? A titre indicatif, la rentrée 2003, pour un nombre de romans sensiblement analogue, ne comptait que 80 premiers romans. Cette proportion est peut-être le signe d’un renouvellement de la création littéraire française, il est en tout cas le signe indubitable que la mention « premier roman » sur une jaquette est toujours un plus, capable de susciter le coup de pouce médiatique indispensable à toute carrière un peu conséquente.
Est-ce pour autant le signe d’un rajeunissement véritable du cheptel littéraire français ? Loin s’en faut. Qui dit premier roman ne dit pas forcément jeune auteur. Critiques, bibliothécaires, professeurs de littérature, directeurs de collections : la plupart de ces « débutants » ont déjà derrière eux une belle carrière, le plus souvent conduite dans des régions proches de la République des Lettres. Que le chemin qui conduit aux tables des libraires soit plus facile à parcourir pour un directeur de collection ou un journaliste que pour, disons, un OS semble une vérité universelle, sur laquelle se greffe le penchant bien connu de l’édition française pour la consanguinité. C’est ainsi que le Seuil publie les œuvres de deux de ses collaborateurs, Bernard Comment et Frédéric Mora. On trouve chez POL Frédéric Boyer, éditeur chez Bayard. Régis de Sa Moreira, qui a été libraire, fait de son ancien métier un élément moteur du roman qu’il publie au Diable Vauvert. Claude Casteran, spécialiste du livre à l’AFP, publie quant à lui son premier roman chez Anne Carrière, tout comme Pierre Wiehn, ancien membre du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel).
Don Juan, Bartabas et… un roman à clefs
Journalistes et critiques littéraires occupent eux aussi une place de choix dans cette rentrée littéraire, qu’il s’agisse de débutants comme Tristane Banon (Anne Carrière) ou Salah Guemriche (Le cherche midi) ou de romanciers aguerris : Jérôme Garcin se passionne pour Bartabas (Gallimard), tandis que Patrick Poivre d’Arvor brode autour du mythe de Don Juan (Albin Michel). On retrouvera aussi Laurent Joffrin chez Robert Laffont, Michel Crépu chez Grasset, Hugo Marsan au Mercure de France, Olivier Barrot à la Table ronde et l’infatigable Eric Fottorino chez Gallimard.
En bonne logique, les couloirs des éditeurs servent aussi de cadre à une demi-douzaine de romans. Dans Rentrée littéraire (Fayard), Christine Arnothy, lauréate en 1980 du prix Interallié pour Toutes les chances plus une, brosse un portrait au vitriol du milieu, de ses mœurs, de ses pièges et de son cynisme. Un journaliste québécois, Pierre Leroux, endosse dans Cher éditeur (Albin Michel) le costume d’un éditeur harcelé par les romanciers en herbe. Frédéric Roux (un pseudo ?) livre quant à lui le roman à clefs de la rentrée. Dans Contes de la littérature ordinaire (Mille et une nuits), il raconte les amères tribulations d’un auteur en vogue contraint de voler ses livres en librairie pour faire bouger les ventes, tandis qu’un autre tente de se suicider dans les locaux de son éditeur.
« Familles, je vous hais »
L’intime, l’introspection, le drame, personnel ou familial, est depuis longtemps, au cinéma comme en littérature, un pôle majeur de la fiction française, presque un genre à part entière. En prenant la forme de l’autofiction, il a même donné lieu aux plus grands succès de librairie de ces dernières années, de Christine Angot à Catherine Millet en passant par Annie Ernaux ou Camille Laurens. On sait depuis Tolstoï et Anna Karénine que « les familles heureuses se ressemblent toutes ; les familles malheureuses sont malheureuses chacune à leur manière ». Les romanciers de la rentrée semblent avoir fait leur miel de cette affirmation qui, couplée au « Familles, je vous hais » gidien, fournit la matière d’une bonne trentaine de romans. L’air du temps est au secret de famille déballé façon linge sale, aux rapports père-fille (tordus, évidemment), mère-fils (compliqués, forcément), aux relations entre frères et sœurs (agitées, qui en douterait ?). L’ombre de papa Freud plane sur ces couvées où le gigot dominical sert de prétexte à une saignante guerre des tranchées. Après Baise moi, premier roman dont elle avait tiré un film et une solide réputation de sulfureuse des Lettres, Virginie Despentes livre dans Bye Bye, blondie (Grasset) le récit d’une adolescence dramatique marquée par la bêtise de parents incapables d’amour véritable. Abdelkader Djemaï évoque l’incompréhension entre un père et son fils dans Le nez sur la porte. Le secret de famille, lui, polarise Il n’y a pas de secret de Sybille Grimbert (Stock) et du Ciel des chevaux, de Dominique Mainard (Joëlle Losfeld).
Parmi les autres tendances de cette rentrée littéraire, on pourrait citer le roman psychanalytique (avec Christine Angot et Les désaxés, histoire d’un couple névrosé et de ses prévisibles déchirements), le roman d’entreprise (dans Daewoo, l’essayiste François Bon raconte la liquidation, par cette entreprise, en 1998, de 32 de ses 47 usines dans le monde, prétexte à un plaidoyer sur les ravages du libéralisme). L’actualité, internationale de préférence, sert aussi de toile de fond à bon nombre de romans. Qu’il s’agisse des tribulations d’Elf au Gabon (Petroleum, de Bessora, Denoël), du génocide rwandais (Deux sangs, une vie, d’Yves De Wolf-Clément, Le cri), de la guerre tribale en Côte d’Ivoire (Quand on refuse de dire non, roman posthume d’Ahmadou Kourouma, Le Seuil), de l’Ouganda des prédicateurs fous (Les voix intérieures, Marc Durin-Valois, JC Lattès), des enfants soldats (Les anges cannibales, Jean-Claude Derey, Le Rocher) ou des élections présidentielles béninoises (Le cantique des cannibales, Florent Couao Zotti, Le Serpent à plumes), l’Afrique reste un réservoir de fictions. Dans Frenchy (Benjamin Cros, Fayard), un couple est confronté au délire patriotique des Américains après la décision de la France de ne pas participer à la guerre en Irak. Louise Souillot prend pour cadre les manifestations entourant le bicentenaire de Haïti (Bicentenaire, Actes Sud). La France, enfin : la question du voile inspire Viviana Candas qui s’intéresse aux rapports d’une jeune fille et de son frère dans une cité où règne « la loi des barbiches » tandis que la rencontre entre un chauffeur de bus immigré et un ancien soixante-huitard frustré sert de trame à L’agent dormant, de Fabrice Pliskin (Flamarion).
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Elisabeth Lequeret
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