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03/09/2004
Chirurgie esthétique : corps et raccords

(MFI) Modifier un corps ou un visage ne constitue plus, aujourd’hui, un problème technique. Mais que cache le désir d’arrondir un nez, d’effacer des rides, de gonfler une poitrine ? Bien plus que de simples données anatomiques, ils sont autant de jalons dans l’histoire d’un individu, les supports de son identité. Dans Un désir dans la peau, le psychanalyste Gérard Le Gouès met en évidence les dangers méconnus du tout-chirurgical.

Une jeune femme juge ses seins trop gros. Elle hésite pourtant à se faire opérer, confiant au praticien que dans sa famille, cette particularité physique se transmet de mère en fille. Interrogée sur cette filiation, elle remonte d’association en association le fil des générations jusqu’à une aïeule qui aurait mis au monde un mulâtre à la suite d’une relation « honteuse » avec un homme noir. De cela, on ne parlait jamais dans sa famille. Désireuse d’en savoir plus, elle interrogea pourtant son père pour apprendre, non sans difficultés, que son arrière-grand-mère, issue d’une famille blanche des Antilles, avait en effet noué une relation avec un Noir dont elle avait eu un enfant. « La patiente comprit que la part obscure qu’elle transportait sans le savoir, sa part “noire”, avait été déposée en elle par d’autres, sans qu’elle en fût l’auteur. Elle remit à plus tard son projet opératoire et se concentra sur une thèse d’ethnologie qui canalisait la curiosité toute neuve qu’elle ressentait à propos de sa filiation », note Gérard Le Gouès.
On aura compris qu’Un désir dans la peau n’a rien du mode d’emploi adressé à ceux et celles qui comptent en quelques coups de bistouri obtenir une peau de bébé, une silhouette toute neuve, les pommettes de Marilyn ou le nez d’Ava Gardner. Jusque dans son titre, il pose les jalons du livre à venir : quoi de plus fuyant, impalpable et inassignable que le désir, quoi de plus concret que la peau ? Si le désir est « dans » (plutôt que « de » ou « sous ») la peau, c’est bien que la demande exprimée par la patiente ne pointe pas que son corps (au choix : un vilain nez, une culotte de cheval, des poches sous les yeux) ou les images idéales des magazines, mais un corps symbolique, lieu de plaisir et de souffrances, plein d’énigmes, corps codé dont les images sont prises dans un réseau de significations qui lui échappent en grande partie.


Le corps-écran

Le chirurgien Maurice Mimoun appelle cela le corps-écran : « Le corps de la patiente se présente comme un écran sur lequel un film serait projeté et dont elle ne connaîtrait pas le sens. Car le corps […] cache le décor. Il masque l’envers de l’histoire, il s’interpose entre l’histoire et l’observateur. » (1)
Ainsi Le Gouès note-t-il que celle qui arrive dans le cabinet du chirurgien avec des photos de son héroïne est, a priori, inopérable : « C’est une femme qui n’a pas représenté son corps de façon mature. Elle en est restée à une figuration juvénile. Il serait dangereux de l’opérer parce qu’elle recourt à une idéalisation faute de disposer d’une représentation mature et bien à elle de son corps ». Plus loin, il cite l’exemple d’une aspirante à la liposuccion, qui ne se fait pas prier pour dresser un tableau ravageur de ses parents : « Elle décrit son père comme un être impuissant, peu valorisant pour sa fille, peu ouvert sur le monde. Sa mère est dominatrice : elle régente toute la vie familiale. Elle déclare que le désir de manger fait irruption chez elle au moment où elle se met à sa table de travail, lorsqu’elle rencontre une difficulté. Elle se “défonce” alors aux aliments, qu’elle utilise comme une drogue. » Avant de conclure qu’une opération l’aurait sans doute soulagée de quelques kilos, mais sûrement pas guérie de sa souffrance psychique.
De même, on ne guérit pas une dépression avec un lifting, ni une identité mal assumée avec une mammectomie. Pour autant, assimiler Un désir dans la peau à une charge anti-chirurgie esthétique serait trop rapide. Ce livre entend simplement formuler des réserves, poser quelques garde-fous salutaires à une époque où la pratique de la chirurgie esthétique tend à atteindre la banalité d’une visite chez le coiffeur.

(1) L’impossible limite. Carnets d’un chirurgien, Maurice Mimoun, Albin Michel.

Un désir dans la peau. La chirurgie plastique sur le divan, Gérard Le Gouès, Hachette Littérature.

Elisabeth Lequeret

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