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17/09/2004
Chronique Livres

L'essentiel d'un livre
Nigeria : le roman du chaos


(MFI) L’Hibiscus pourpre est le premier roman de la Nigériane Chimamanda Ngozi Adichie. C’est un roman initiatique de la fin de l’innocence et de l’entrée dans l’âge adulte, sur fond de violences domestiques et de turbulences politiques. Il a été acclamé par la critique anglophone qui l’a comparé au Dieu des petits riens de l’Indienne Arundhati Roy.

Le dieu des petits Nigérians n’a pas de nom. Du moins, Kambili et Jaja ne le connaissent pas. S’ils l’avaient su, ils n’auraient peut-être pas subi en silence la terreur et la tyrannie que faisait régner leur père à la maison. La chasse au péché, les terribles punitions, les brutalités subies par leur mère... Assurément, le dieu des petits Nigérians n’a pas de nom. Les enfants sont réduits à compter les moutons pendant que les coups pleuvent derrière la porte fermée de la chambre des parents. Réduits à essuyer de leurs petites mains le filet de sang qui s’étirait jusqu’en bas de l’escalier « comme si quelqu’un avait descendu un bocal d’aquarelle rouge percé, qui aurait dégouliné tout du long... » Ainsi écrit Chimamanda Ngozi Adichie, restituant à travers le sang et le silence des protagonistes de son premier roman souvent poétique et étonnamment maîtrisé – L’hibiscus pourpre – la descente de tout un peuple dans les enfers du fondamentalisme religieux et du chaos politique.
Tout commence un dimanche des Rameaux. Ou peut-être faut-il dire tout s’effondre, pour reprendre le titre du roman de Chinua Achebe sans lequel il n’y aurait sans doute pas eu de Chimamanda Ngozi Adichie ni les autres d’ailleurs. « Le monde s’effondre », le thème du célèbre ouvrage du père de la littérature nigériane moderne sert de fil rouge dans cette histoire tragique d’une nouvelle capitulation des Nigérians qu’a entrepris de raconter la jeune Adichie. Le monde s’est effondré le dimanche des Rameaux quand Jaja a osé défier l’autorité du père, mettant fin à la malédiction qui tenait toute la famille prisonnière. Cette scène de rébellion par laquelle s’ouvre le roman de la Nigériane est racontée par l’adolescente Kambili, sœur de Jaja et victime, elle aussi, des exactions paternelles. Aussi, la défiance de son frère trouve en elle des résonances profondes et finit par renverser les barrières qu’elle avait pris soin d’ériger pour tenir à l’écart les souvenirs douloureux. Les souvenirs des abus passés, des violences et des peurs remontent alors du fond des temps, « quand nous parlions avec les esprits »...
L’hibiscus pourpre a été comparé au best-seller de l’Indienne Arundhati Roy Le Dieu des petits riens. Sans doute à cause du parti pris de l’innocence qui caractérise les deux romans. Adichie, comme Roy a, choisi de raconter son récit par la voix des enfants. Des narrateurs peu fiables, mais dont l’absence de fiabilité se révèle extraordinairement efficace dans la restitution des terreurs enfouies du passé. Ce qui rapproche aussi les deux romans, c’est l’habileté avec laquelle ils mêlent le domestique et le national, faisant des malheurs familiaux la métaphore de tragédies qui les dépassent. Le silence des enfants cède la place à « un silence différent », silence sur lequel se clôt ce récit bouleversant d’amour et d’aliénation.
Chimamanda Ngozi Adichie appartient à la génération montante d’écrivains nigérians dont font partie Helom Habila, Chika Ungiwe, Helen Olajumoke Oyeyemi, pour ne citer que les plus connus. L’hibiscus pourpre a été nominé pour le Booker prize, le prix littéraire le plus prestigieux de Grande Bretagne.

L’hibiscus pourpre, par Chimamanda Ngozi Adichie. Ed. Anne Carrière, 418 p., 21 euros.

Tirthankar Chanda


Salim Hatubou, écrivain comoro-marseillais

(MFI) Salim Hatubou est né à Hamaya dans l’archipel des Comores mais il est aussi un enfant de Marseille où il a grandi. C’est ce double attachement franco-comorien – ou plus précisément comoro-marseillais – que l’auteur décline, en de multiples variations, dans la dizaine de titres édités ou représentés depuis 1994. Il vient de publier dans une collection intitulée « Saveurs de la réalité », A feu doux, une sorte de conte sur l’art culinaire tel qu’il se pratique dans les Comores et dans l’océan Indien.
La thématique de la double culture est quasi-exclusive et omniprésente dans les œuvres d’Halim Hatubou et se décline selon deux versions. Une version positive qui met en avant la richesse du patrimoine et en particulier de l’oralité dans Contes de ma grand-mère (L’Harmattan, 1994) ou, plus récemment, avec Aux origines du monde (Flies France en 2004). Une version plus douloureuse qui mêle témoignages sur l’émigration, l’exclusion, le déchirement, la difficulté de l’éloignement. Ainsi en va t-il de Métro Bougainville (Encres du Sud, 2000), élégant recueil illustré dans lequel Salim Hatubou, sur des photos de Jean-Pierre Vallorani, avec beaucoup de retenue et une belle efficacité du propos, offre une prose poétique épurée sur la douleur de l’exil.
Avec Marâtre (KomEdit, 2003), livre d’humeur composé de courtes séquences, il s’agit d’une sorte de revanche adressée par un jeune enfant à celle qui l’a élevé sans jamais l’aimer. Les propos sont violents et teintés d’un humour acerbe et la présentation des deux protagonistes tels des personnages de conte est originale et bienvenue. Il en va de même pour A feux doux qui offre une double lecture, une première qui consiste à décrire les préparatifs, les rites et les mots qui entourent l’acte de manger mais qui est aussi une photographie distante et métaphorique de la société comorienne. C’est incontestablement dans cette capacité à restituer une part de l’oralité comorienne (et plus largement indo-océanique) et à la mêler à la part marseillaise et française de sa culture que réside l’originalité et l’heureux métissage de cet écrivain.

A feux doux, par Salim Hatubou. Ed. François Truffaut, 142 p., 13 euros.

Bernard Magnier


Escale à Gorée pour Tanella Boni

(MFI) Gorée, au large de Dakar, l’île porte l’Histoire et il va de soi que les poètes y trouvent un lieu de mémoire fécond. Comme bien d’autres avant elle, l’Ivoirienne Tanella Boni y fait escale pour son dernier recueil de poèmes, Gorée, île baobab, publié dans une coédition franco-québécoise, Le Bruit des autres/Écrits des forges.
« Afrique en miniature sur la carte de la traversée », Gorée bruisse encore de la terrible rumeur si l’on veut bien prêter l’oreille. « Île balafre », « île de veille », « île baobab », « île majesté », partout sur son sable et sur ses murs, il semble bien que le silence s’impose « car seul le silence est écriture à l’encre océane ». Mais le poète se doit de vaincre l’interdit et donner force et vie aux « mots briseurs de murs ». Tanella Boni ne cesse d’évoquer (d’invoquer...) le mot, l’écriture, la parole (« j’ai perdu la première parole / en instance de naissance ») et tente d’aller au-delà et d’inscrire son recueil à l’écoute de notre temps. Car à l’ombre des ruelles, sur les marches de l’escalier de la maison des esclaves ou sur la grève, il est aussi question de Bagdad, de l’Irak et de l’Afghanistan, de toutes les fureurs qui incendient le monde et font de l’Histoire un terrible bégaiement. Et nul doute qu’au détour de bien des vers de ce recueil, ne s’entende aussi l’écho d’une autre tragédie, plus immédiate, celle qui, aujourd’hui, ensanglante le pays de l’écrivain.

Gorée, île baobab, par Tanella Boni. Le Bruit des autres/Écrits des forges, 110 p., 10 euros.

B. M.


Des nouvelles de Leïla Marouane

(MFI) Après quatre romans publiés depuis La Fille de la Casbah, en 1996, la journaliste et écrivain algérienne, aujourd’hui résidant à Paris depuis 1990, Leïla Marouane a choisi de réunir deux textes brefs Les Criquelins et Le Sourire de la Joconde dans un même volume (Editions Mille et une nuits).
Dans le texte qui donne son titre au recueil, Les Criquelins, Leïla Marouane conte la terrible destinée de Djamel, malade échoué dans un hôpital psychiatrique. Ingénieur agronome avec son épouse, vétérinaire, ils avaient décidé de reprendre la vieille ferme du grand-père et d’y installer leurs espoirs et leurs élans militants. Mais la découverte d’un trou sur ses terres va bouleverser leur destin car les « criquelins », les « djinns malfaisants », les « pèlerins maudits » sont passés par là et ont laissé leurs traces. Les « criquelins » ? A moins qu’il ne s’agisse d’une autre malédiction...
La Joconde c’est le Louvre et le Louvre c’est Paris. C’est du moins la perception que peut en avoir Djamila, l’infirmière qui, dans le second texte du recueil (« Le sourire de la Joconde »), décide de quitter l’Algérie et de venir s’installer à Paris. Là encore, les attentes vont être déçues et le havre de paix escompté se révélera plein de surprises, de désillusions et de chausse-trappes et le sourire de Mona Lisa demeurera aussi énigmatique qu’inaccessible.
Djamel et Djamila, deux détresses, deux textes brefs, mais, au-delà de ces deux destinées le désarroi d’un peuple ou, pour le moins, d’une génération.

Les Criquelins, par Leïla Marouane. Ed. Mille et une nuits, 60 p., 6 euros.

B. M.


Le dernier rêve d’Ahmed Abdel Aal

(MFI) Le dernier rêve, recueil écrit et illustré par le Soudanais Ahmed Abdel Aal, est un diptyque constitué d’un premier texte dont la tonalité et le propos l’apparentent immédiatement au conte, et d’un second que l’on inscrira plus volontiers au registre de la nouvelle.
Dans « Les tourments du vieil aigle », Ahmed Abdel Aal conte le dernier vol d’un aigle qui converse avec le vent et perdra son dernier combat avec son complice et ennemi. Dans « La récolte du dernier rêve », un homme, « simple employé », découvre que ses sommeils sont peuplés de rêves prémonitoires qui lui permettent de réaliser le bonheur de ses congénères.
Avec les soixante pages élégantes de ce joli petit livre, Ahmed Abdel Aal nous plonge dans un univers étrange et dérangeant. Son recueil semble tout entier consacré aux souvenirs enfouis, aux instants de détresse et de désarroi qui surviennent lorsque, soudain, l’oubli, le désaveu ou le mépris s’en viennent prendre place dans le regard des autres, ainsi en va t-il lorsque la vieillesse assaille l’oiseau, lorsque le sommeil abandonne l’homme aux talents exceptionnels.
Ahmed Abdel Aal qui est doyen de la faculté des Beaux-Arts de Khartoum a choisi d’illustrer ses deux textes avec des tableaux qui mêlent avec efficacité des inspirations arabes (la calligraphie y tient une place de choix) et occidentales. Ainsi, autour d’un texte qui aurait mérité parfois une plus grande attention (traduction ?), les illustrations, organisées en pleine pages ou réparties ça et là selon une maquette agréable, confèrent à l’ensemble une belle qualité artistique.

Le dernier rêve, par Ahmed Abdel Aal. Ed. Alternatives, 60 p., 10 euros.

B. M.


Cosette façon iranienne

(MFI) Malgré ses origines aristocrates, Pari, une jeune iranienne née à la fin des années 30, ne voit pas la vie en rose. Abandonnée par sa mère, mal aimée de son père, maltraitée par son entourage, elle se réfugie dans la littérature et se voit en Cosette, héroïne des Misérables. Elle se promet de faire des études, fonder une famille et réussir sa vie. Elle connaît l’amitié mais également la lâcheté de ses semblables. Se console dans l’amour, mais la trahison n’est pas loin non plus. Seuls, son courage et sa ténacité l’aident à réaliser son rêve. Car « la vie, écrit-elle, est un combat permanent. Malheur à celui qui cesse de lutter et qui se laisse aller. »
Mi-autobiographie, mi-fiction, le livre de Mahindokht La vie d’une Iranienne au 20e siècle nous fait découvrir l’Iran des années 40, société traditionnelle, mais en pleine mutation où la place de la femme est peu enviable ; celui des décennies suivantes, des années fastes de changement et de développement, quand un vent de liberté sociale souffle sur le pays ; et enfin celui de la révolution islamique de 1979, masqué par le retour en arrière des acquis sociaux dont la position de la femme. Elle est contrainte à l’exil, d’abord aux États-Unis, ensuite en France. Au cours de ce long chemin et dans les pires moments de son existence, Pari ne désespère jamais et ne s’éloigne pas de son objectif. Elle nous livre une belle leçon de courage et de persévérance, son livre est aussi un incomparable éloge de l’espoir.
Diplômée de l’École normale supérieure de Téhéran, Docteur ès sciences de l’Education, Mahindokht est également auteur de plusieurs ouvrages de psychologie et de nombreux articles sur la culture iranienne. La vie d’une Iranienne au 20e siècle est son premier roman en français.

La vie d’une Iranienne au 20e siècle, par Mahindokht. Ed. L’Harmattan, 215 p., 19 euros.

Darya Kianpour


René Genin, méhariste de la France libre

(MFI) Une carrière exemplaire d’officier français, issu d’une famille catholique de droite, qui choisit en 1940 la France libre du général de Gaulle, et tombe au cours des combats fratricides entre troupes gaullistes et vichystes en Syrie en juin 1941 : cet itinéraire est celui du colonel René Génin, père de Marie-Clotilde Jacquey, anciennne rédactrice en chef de la revue Notre Librairie que connaissent bien tous ceux qui s’interessent à la littérature africaine.
C’est après avoir retrouvé un ensemble de lettres de son père, compagnon de la Libération, que Marie-Clotilde Jacquey a décidé de les publier en les accompagnant de commentaires et de notes qui situent les événements auxquels il a été mêlé. D’abord les années passées en Mauritanie à poursuivre les rezzous des Maures Reguibat, puis le ralliement à la France libre qui le mènera à participer à la campagne d’Erythrée contre les troupes italiennes et enfin le début de la campagne de Syrie.
Ni pittoresque de pacotille ni étalage de bravoure n’entachent ce recueil épistolaire très personnel qui se révèle en même temps une leçon d’histoire discrètement agencée par une journaliste qui a superbement accompli un devoir de piété filiale.

Itinéraire d’un méhariste – De la Mauritanie à l’Afrique française Libre. Lettres de René Génin, présentées par Marie-Clotilde Génin-Jacquey. Sépia, 378 p., 22 euros.

Claude Wauthier


L’inquiétude de l’homme moderne

(MFI) Voici deux siècles, une jeune Anglaise d’à peine dix-huit ans, Mary Shelley, inventait un personnage démoniaque, docteur fou autant qu’apprenti sorcier, désireux de créer – à partir de morceaux de cadavres pillés dans divers cimetières – une créature « parfaite » (tout au moins dans son esprit dérangé). Créature promise à un tel succès que son nom se confond désormais avec celui de son « inventeur » : Frankenstein. Pour le philosophe et psychanalyste Miguel Benasayag, cette figure d’épouvante tient lieu de préfiguration à l’homme moderne, tel que la fin des idéologies, religions et autres grands récits l’ont façonné : « Nos contemporains se trouvent déchirés entre le discours moderne qui dit que l’homme, en tant que sujet, peut tout changer selon sa volonté, et le discours post-moderne, symétrique du premier, selon lequel l’homme ne peut rien changer, la complexité étant telle que toute volonté dans ce sens ne peut mener qu’à la catastrophe… » Ainsi l’homme de la modernité vit-il son présent comme un simple horizon d’attente, et sa position comme celle d’un assiégé permanent. Le danger est de deux ordres. C’est d’abord celui d’un univers qu’il s’agit de mater : contrôle des mers et des océans, maîtrise de la terre, exploitation des matières premières, occupation et formatage de l’espace naturel... Mais comme toujours, c’est de l’intérieur que se faufile la pire des menaces, de ce corps dont chaque altération ou dysfonctionnement est vécu comme une impardonnable faiblesse, à éradiquer au mieux (vieillissement, maladie), à occulter au pire (la mort). Ainsi ses fantasmes de domination conduisent-ils l’homme à vivre sans cesse dans un futur (où, croit-il, seront enfin assouvis ses fantasmes de domination et de contrôle), mais ne le renvoient au bout du compte qu’au cauchemar de la plus grande impuissance. Seul contre tous ? En somme…

Le mythe de l’individu, par Miguel Benasayag. Ed. La Découverte, 182 p., 7 euros.

Elisabeth Lequeret


Une littérature à découvrir
Dans le bouillonnement prodigieux de la littérature noire d’Angleterre


(MFI) A l’image de la société anglaise multiculturelle, sa production littéraire est devenue, elle aussi, très hétérogène. Les oeuvres produites par la diaspora noire d’Angleterre contribuent à la fécondité de la littérature britannique contemporaine.

En juin 1948, trois bateaux jetèrent l’ancre à Tilbury, en Angleterre, déversant leur cargaison humaine composée de sept cents immigrants. Tous originaires de la Caraïbe anglophone, ces derniers venaient à la demande du gouvernement britannique de l’époque pour aider à reconstruire la métropole ravagée par la guerre. C’est le début de la grande migration d’hommes et de femmes en provenance des quatre coins de l’Empire britannique finissant, un phénomène qui a profondément changé la société anglaise au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle. Tant sur le plan de la démographie, que sur les plans social et culturel. En l’espace d’une poignée de décennies, le royaume des Windsor est devenu un pays multiracial et multiculturel. L’émergence d’une littérature britannique noire, communément appelée la « Black British literature » témoigne de l’amplitude de ce processus de mutation. C’est une littérature vibrante née de la tension et de l’interaction entre communautés. Elle puise son inspiration dans les luttes tant physiques qu’intellectuelles par lesquelles les populations noires se sont imposées dans le paysage humain de leur pays d’accueil, subvertissant l’idée de la nation britannique comme un ensemble monolithique, réinventant l’anglicité, en somme.
Les tout premiers écrits des Noirs installés en Angleterre datent du 18e siècle. Ce sont des récits autobiographiques d’anciens esclaves (Olaudah Equiano, Ukawsaw Gronniosaw, Ignatius Sancho). Ils témoignaient de la vie et de la condition des Noirs en Angleterre à un moment où les débats sur l’abolition de l’esclavage faisaient rage. Mais ensuite il faudra attendre les années 1950 pour voir émerger une véritable tradition littéraire noire. Les bases en sont jetées par des écrivains issus de la première génération de migrants caribéens qu’on appelle la « Windrush generation » en référence au bateau sur lequel les premiers arrivants ont traversé l’Atlantique. Ils sont Barbadiens (George Lammings, E.K.Brathwaite), Trinidadiens (CLR James, Samuel Selvon, V.S. Naipaul), Jamaïcains (Andrew Salkey et James Berry), Guyanais (Wilson Harris, Edgar Mettleholzer). Essentiellement des hommes de fiction, ils racontent, à travers des récits réalistes et ironiques, la désillusion des émigrés de fraîche date, confrontés à la misère financière et sexuelle, à la solitude et au racisme. Leurs héros sont des personnages picaresques qui tentent de survivre, de faire leur trou dans un Londres glacial et menaçant. Racontés dans un idiome original où se mêlent les patois caribéens et l’anglais standard, ces récits de corps à corps avec la métropole à la fois hostile et bruissante de possibilités, sont le lieu où se sont forgées au cours des années 50 et 60 l’imaginaire du « Black Britain » (l’Angleterre noire), son militantisme et son goût pour l’inventivité.

Les nouvelles générations

La tradition de la littérature militante noire s’est renforcée dans les années 70 avec l’arrivée sur le devant de la scène de la deuxième génération d’écrivains. La plupart d’entre eux ont grandi en Angleterre. C’est le cas de Linton Kwesi Johnson et de Benjamin Zephaniah qui sont deux auteurs emblématiques de cette nouvelle génération. Ils sont poètes et à travers leur poésie récitée au rythme de la musique reggae (« dub poetry »), ils décrivent la vie de la jeunesse des ghettos noirs, leur détresse et leur révolte. Sous leurs plumes, la poésie devient un outil de dénonciation des injustices (délit de faciès, violences policières) et de revendication politique. La poésie noire qui a connu un très fort développement au cours des dernières décennies du vingtième siècle aborde également d’autres problématiques, notamment la condition féminine, l’amour entre femmes (« sœurorité ») et le biculturalisme.
Dès les années 80, la fiction a fait un retour en force dans le champ littéraire noir britannique avec l’arrivée des écrivains extrêmement talentueux comme Caryl et Mark Phillips, David Dabydeen, Zadie Smith, Leone Ross, Courttia Newland. En dignes héritiers de la tradition inventée par les auteurs de la « Windrush generation », ils tentent de donner un sens à l’aventure de leur communauté en l’inscrivant dans l’histoire contemporaine de la globalisation et le multiculturalisme (Zadie Smith). D’autres revisitent le passé de la présence noire sur le territoire britannique (Bernardino Evaristo, S.I. Martins, Caryl Phillips) pour éclairer la complexité de son devenir actuel. Enfin, le succès des titres de « pulp fiction », où abondent violence, sexe et sentiments, témoigne de la riche diversité de la littérature noire, une des composantes sans doute les plus dynamiques des lettres britanniques aujourd’hui.

Tirthankar Chanda

Lire la littérature noire britannique en français :
David Dabydeen : Terres maudites (Dapper). V.S. Naipaul : Les hommes de paille (10/18), L’énigme de l’arrivée (10/18). Caryl Phillips : La nature humaine (Mercure de France), La Traversée du fleuve (Ed. de l’Olivier). Mike Phillips : Les droits du sang (Dapper). Léone Ross : Le sang est toujours rouge (Actes Sud). Zadie Smith : Sourires de loup (Gallimard).



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