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06/08/2004
Le chiisme : du mysticisme à la théologie politique

(MFI) Le chiisme, illustré par une actualité souvent tragique, reste peu ou mal connu en Occident. Auteur d’un livre récent sur cette religion, Mohammad-Ali Amir-Moezzi (1), directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, en éclaire les principaux aspects.

MFI : Comment peut-on définir le chiisme et tracer les grandes étapes de son évolution ?

Mohammad-Ali Amir-Moezzi : Le chiisme est une branche minoritaire de l’islam. Mais les Chiites, qui représentent le cinquième de tous les musulmans, avec 200 millions de fidèles, constituent une minorité importante. Ce qui définit le chiisme, et le distingue de l’autre branche de l’islam, le sunnisme (la branche majoritaire réunissant 4/5e des musulmans), c’est d’abord sa conception particulière de l’autorité religieuse qui revient à l’imam, considéré comme un initié aux secrets de la révélation. Pour le chiisme, la prophétie en tant que prophétie législatrice, s’arrête avec la figure du prophète, mais la réception de la révélation se poursuit grâce à la figure de l’imam. Celui-ci prolonge le contact entre les créatures et le créateur. Cette vision n’existe pas dans le sunnisme, où le successeur du prophète, connu sous le nom de calife, est à la tête de l’Etat musulman. A part la conception de la figure de l’imam, une double vision du monde distingue le chiisme du sunnisme. Pour le chiisme toute réalité, de la réalité la plus haute, Dieu, jusqu’aux réalités les plus anodines dans la vie de tous les jours, comporte deux niveaux : un niveau apparent et un niveau secret, un niveau ésotérique et un niveau exotérique. Et l’histoire du monde est l’histoire d’un combat entre le bien et le mal, une lutte entre les forces de la connaissance et les forces de l’ignorance.
L’appellation « chiisme » est quant à elle assez tardive : elle date du 3e siècle après la fondation de l’islam. Mais l’origine remonte à la mort du prophète et à la question cruciale de sa succession. Ceux qui considèrent que la succession revient exclusivement à son gendre et cousin germain, Ali, et à ses descendants par Fatima, la fille du prophète, constituent le premier noyau de ce que deviendra plus tard le chiisme. A partir du 16e siècle, le chiisme duodécimain (reconnaissant l’existence de 12 imams) devient la religion d’Etat en Iran. Cette étape marque un tournant extrêmement important pour le chiisme car, devenu religion officielle du pays, il favorise une renaissance intellectuelle et spirituelle.


MFI : Dans votre livre vous insistez sur l’aspect spirituel et philosophique du chiisme. Une religion de sagesse, de philosophie et de paix. Elle est devenue au fil du temps une religion revendicative, fondamentaliste et politique. Qu’est-ce qui explique cette transformation ?

M.-A. A.-M. : Ce n’est pas le chiisme, en général, mais un courant du chiisme qui est fondamentaliste et nourrit des ambitions politiques. L’origine de ce courant, qui a produit le mouvement khomeyniste, remonte au 10e siècle lorsque les Bûyides – dynastie persane chiite – s’emparent du pouvoir du calife à Bagdad et attribuent à une classe de théologiens et de juristes ce qui était traditionnellement réservé à l’imam. L’arrivée au pouvoir des Safavides en Iran au 16e siècle, et la mise en place de ce que l’on appelle le clergé chiite accélèrent ce mouvement. Au fil du temps, le clergé chiite devient indépendant de la cour avec un grand pouvoir financier et une grande influence sociologique et acquiert donc un pouvoir politique de plus en plus large. C’est une longue maturation qui va d’une manière paradoxale de la rationalisation de la religion jusqu'à sa politisation.


MFI : Beaucoup d’intellectuels pensent que la laïcisation des sociétés musulmanes est indispensable pour résoudre un certain nombre de problèmes posés par la modernité (démocratie, liberté de pensée, droits des femmes…). Quelles sont les particularités du chiisme qui favorisent ou qui freinent la laïcisation ?

M.-A. A.-M. : Ce qui fait obstacle à la marche de la société chiite vers la modernité est, essentiellement, le pouvoir absolu du juriste théologien. L’autorité du docteur de la loi est, actuellement, l’article le plus important de la constitution iranienne. Mais d’un autre côté, et c’est un paradoxe, le chiisme est peut-être le seul courant religieux au sein de l’islam dont les textes fondamentaux font une nette distinction entre le politique et le religieux. C’est un aspect que les religieux iraniens essayent de garder sous silence. Ils ont même censuré au début de la révolution islamique certains textes qui interdisent aux fidèles chiites d’avoir des activités politiques. Les premiers textes sacrés du chiisme invitent les fidèles à s’écarter de toute activité politique pour sauvegarder la pureté de leur foi. C’est un point important sur lequel peuvent s’appuyer les intellectuels chiites pour promouvoir l’une des bases du monde moderne, c’est-à-dire la distinction entre le temporel et le spirituel. Pour les sunnites la frontière entre temporel et spirituel est très floue, alors que la séparation dans le chiisme est très nette.


(1) Mohammad-Ali Amir-Moezzi et Christian Jambet « Qu’est ce que le Shî'isme ? », éditions Fayard.


Propos recueillis par Darya Kianpour

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