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12/11/2004
Cinéma : pirates, toile et toiles

(MFI) Le piratage de films est en passe de devenir le sport préféré des internautes. En cause, la généralisation du haut débit et la prolifération des réseaux d’échanges peer-to-peer. Réunis à Beaune, en France, en octobre dernier, les professionnels du cinéma ont exprimé leurs inquiétudes.

Lorsque Dan Glickman a reçu un coup de fil de son producteur de fils, tout à la joie de lui apprendre la sortie imminente de son nouveau film, il a failli ne pas lui parler du DVD qui trônait comme un mauvais présage sur son bureau : à quelques heures de sa sortie en salles, la nouvelle production du fiston se vendait déjà, en version piratée, sur les trottoirs encombrés de Canal street, en plein cœur du Chinatown new-yorkais. Invité par les organisateurs des 14e Rencontres de Beaune (1) à participer à une table ronde sur le piratage, le patron de la toute-puissante MPAA (2) racontait l’histoire avec une noire ironie. La veille, c’est la responsable d’un autre important syndicat, français celui-là, qui confiait comment, discutant sur une terrasse de Shanghai, avec Yang Li, auteur du passionnant Blind Shaft, elle s’était vu proposer par un petit vendeur à la sauvette une pleine mallette de DVD pirates, dont celui de… Blind Shaft.
Universel, le piratage ? Universel et massif, se répandant à la vitesse de l’éclair sur une planète cinématographique prise de court par la violence de l’offensive : de Los Angeles à Séoul, de Paris à Ouagadougou… Inquiétant les producteurs, petits et gros poissons, tous pris, une fois n’étant pas coutume, dans la même nasse. Fin septembre, George Lucas a avancé dans le plus grand secret la sortie du DVD de la première trilogie Star Wars afin de couper l’herbe sous le pied des pirates. D’autres n’ont pas eu la même prudence : le 10 octobre, pas moins de 290 000 internautes ont téléchargé la version pirate de Gangs de requins, nouveau succès planétaire des studios Dreamworks. En France, Gérard Jugnot et ses Choristes ont rassemblé le score très (in)confortable de 18 000 clics. « Un coup de poignard dans le cœur du processus créatif », métaphorisait le volontiers shakespearien patron de la MPAA.


Trois ans de prison

Le piratage, s’il a probablement existé depuis les premiers balbutiements du cinéma, frères Lumière et nickel-odeon, n’en a pas moins pris avec la généralisation d’Internet un tournant spectaculaire. A ceci deux causes. D’une part, la généralisation du haut débit, qui permet de réduire comme peau de chagrin le temps de téléchargement : plusieurs heures pendant la préhistoire du téléchargement (il y a quelques mois), quinze minutes aujourd’hui, « bientôt 70 secondes » prophétisait sombrement Frédéric Delacroix, délégué général de l’association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa). La généralisation des réseaux Peer-to peer (ou P2P) a fait le reste. Au départ simple réseau d’échange en ligne accessible à tout particulier, le P2P a été rapidement investi par les pirates. Il ne sert plus désormais qu’à la circulation clandestine d’œuvres culturelles : musique, films, téléfilms…
Aujourd’hui, en France, un internaute sur cinq déclare avoir téléchargé gratuitement au moins un film. Combien, dans le nombre, savent qu’ils risquent trois ans de prison et 300 000 euros d’amende ? Si elle reste d’évaluation délicate, la répression n’en est pas moins indispensable. « Qui payerait ses impôts s’il n’y était obligé ? », notait le Californien Dan Glickman. Naturellement, c’est du côté des fournisseurs d’accès que tous les regards se tournent. Parce que le piratage est un jeu à plusieurs partenaires dans lequel ceux-ci détiennent plusieurs cartes maîtresses. Pour eux, le haut débit est avant tout une source de profit cruciale, l’objet d’une concurrence enragée. Il concerne moins de la moitié des internautes français (cinq sur onze millions), mais « nous assistons à un très fort transfert du bas vers le haut débit », notait Frédéric Delacroix.
Vers 100 % d’abonnés haut débit ? Si l’on en est pas encore là, il est clair que sur ce créneau, les intérêts des pirates et ceux des fournisseurs d’accès convergent de façon troublante, à la grande inquiétude des producteurs. « La notion de gratuité n’existe pas, tonnait en tribune Alain Sussfeld, le directeur d’UGC. Il y a toujours quelqu’un qui paye, et ce quelqu’un, c’est nous. Comme la musique a payé et continue de payer. » « Il n’est pas envisageable que les opérateurs ne se regroupent pas dans la lutte », soulignait à son tour Catherine Colonna, présidente du CNC (Centre national de la cinématographie).


Une urgence absolue

En France, les fournisseurs d’accès ont signé voici peu une charte de bonne conduite avec les producteurs musicaux, les premiers atteints par la vague pirate. Pour s’engager à prévenir leurs clients de toutes les conséquences légales auxquels ils s’exposent en cas de contrefaçon et à proposer d’autre part une offre musicale « attractive et légale ». A l’identique, la lutte contre le piratage des films pourrait passer par une offre légale (i.e. payante) de films sur Internet. « C’est une urgence absolue », soulignait Sussfeld avant de décliner les trois points selon lui majeurs de la lutte anti-piratage : le délai et la rémunération, enfin la sécurisation. L’enjeu, pour les industries cinématographiques est pour l’heure de trouver un modèle économique qui, à l’instar du Pay Per View, sera suffisamment rentable pour la profession, suffisamment attractif pour l’internaute toujours friand d’exclusivités.
Mais le pirate moyen est-il prêt à payer pour télécharger son film quotidien ? Les fournisseurs d’accès l’assurent. Cinéastes et producteurs veulent les croire. Les pirates laissent les chiffres parler pour eux : depuis que Napster, l’un des plus gros sites de téléchargement musical, a été contraint à se transformer en site payant, sa fréquentation a été divisée par trente.

Elisabeth Lequeret


(1) « Pour une nouvelle alliance entre les fournisseurs d’accès Internet et l’industrie cinématographique », 14e Rencontres de Beaune, organisées par la Société civile des Auteurs Réalisateurs Producteurs (ARP).

(2) La MPAA (Motion Picture Association of America) est le syndicat au sein duquel sont regroupés les studios hollywoodiens, autant dire l’organisme le plus puissant de la planète cinématographique.



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