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MFI HEBDO: Culture Société Liste des articles

10/12/2004
Chronique Livres

L'essentiel d'un livre
La geste héroïque de Toussaint Louverture

(MFI) Auteur d’une dizaine de romans et recueils de nouvelles, l’Américain Madison Smart Bell raconte la geste héroïque et tragique du père de l’indépendance haïtienne. Le Maître des carrefours est le deuxième volume de sa trilogie consacrée à l’histoire de la plus vieille république du Nouveau Monde après les Etats-Unis d’Amérique.


Avec ses 27 750 Km², La République d'Haïti, grande comme la Guinée équatoriale, est sans doute la plus africaine des îles d’Amérique, mais aussi la plus pauvre. Située dans les Grandes Antilles, à l'entrée du Canal de Panama, elle est baignée au Nord par l'océan Atlantique et au Sud par la mer des Antilles.
Lorsqu’elle fut découverte en 1492 par Christophe Colomb, elle était peuplée par environ 300 000 indiens Arawaks, qui furent décimés en moins de cinquante. Le repeuplement par des esclaves africains commence dès 1502, mais à partir de 1697, les Français en s'installant officiellement dans la partie occidentale de l'île d'Hispaniola, qu'ils baptisent Saint-Domingue (aujourd’hui la République Dominicaine occupe la partie orientale de l’île) accélèrent ce processus en « important » environ 30 000 esclaves par an entre 1784 et 1791. Dès 1784, 100 000 Européens possèdent 7 803 plantations et près de 500 000 esclaves qui cultivent canne à sucre, café, coton et indigo.
La première révolte d’esclaves prend place en 1722, mais c’est la Révolution française qui va bouleverser le destin d’Haïti. En 1791, des chefs noirs prestigieux, Toussaint-Louverture, Jean-Jacques Dessalines et Henri Christophe, aidés par la guerre que se livrent Anglais, Espagnols et Français pour le contrôle de l’île, soulèvent les esclaves qui, en 1794, chassent les colons et proclament la République.
Le général Toussaint-Louverture reste la figure tutélaire de l’histoire d’Haïti. Chef de guerre avisé, il épouse la cause des Français lorsque la Convention abolit l’esclavage en 1794. Il rêve d’une République noire, mais c’est sans compter sans un autre général, qui, à des milliers de kilomètres de là, mate la Révolution française à sa manière : le consul Bonaparte futur empereur Napoléon Ier, n’entend pas qu’on lui résiste. Le 7 juin 1801, Toussaint-Louverture est pris à Saint-Domingue, il mourra en 1803, à l’âge de 60 ans, dans les geôles françaises, un an avant que l'Indépendance soit proclamée, faisant de Saint-Domingue le deuxième pays indépendant et la plus vieille République du Nouveau Monde après les Etats-Unis d'Amérique du Nord.
Bien que le français soit resté langue officielle du pays jusqu’en 1987, date à laquelle il a été remplacé par le créole, c’est à un Nord-américain, Madison Smartt Bell, que l’on doit de pouvoir lire la passionnante saga d’Haïti. Après Le Soulèvement des âmes, Bell consacre le deuxième volet de sa trilogie à Toussaint-Louverture. Le Maître des carrefours retrace l’itinéraire de cet homme intelligent et impénétrable, de 1793, date à laquelle il déclare vouloir conduire son peuple à la liberté à son incarcération au fort de Joux, dans les Alpes françaises, en 1802. Ce roman historique, comme d’ailleurs toute la trilogie, est ambitieux : il évoque une période complexe de l’histoire des colonies, intimement liée à celle de le Révolution française, tout en nous faisant revivre des instants forts, des personnalités attachantes, des personnages secondaires. Une chronologie historique et une carte d’Haïti aident le lecteur soucieux d’exactitude à s’y retrouver. L’auteur connaît bien son sujet et son récit est émaillé de détails intéressants, sur la pratique du Vaudou par exemple, ou de termes créoles, dont un glossaire est donné en fin d’ouvrage.

Le Maître des carrefours, par Madison Smartt Bell. Editions Actes Sud, 949 p.,29,50 euros.
Le Soulèvement des âmes, par Madison Smartt Bell. Editions Actes Sud, coll. « Babel », n°616, 620 p.,13 euros.

Catherine Brousse


Mathias Enard est le nouveau lauréat du Prix des cinq continents de la Francophonie 2004

(MFI) La perfection du tir est un premier roman. Un premier livre quasi parfait, porté par la force du récit et la grâce d’une écriture nerveuse qui vous saisit à la gorge dès les premières lignes: « Le plus important, c’est le souffle. La respiration calme et lente, la patience du souffle; il faut d’abord écouter son propre corps, écouter les battements de son cœur, le calme de son bras, de sa main. Il faut que le fusil devienne une partie de soi, un prolongement de soi... » Celui qui parle ainsi est un « sniper », un « franc-tireur ». Du haut d’un toit d’immeuble, il tire sur des cibles humaines (« une grosse dame dont personne de sensé n’aurait voulu »), animales (un oiseau, un pigeon), tuant froidement, puisant une satisfaction morbide dans la « perfection de son tir ». Dans ce pays sans nom qui pourrait être Beyrouth ou Sarajevo ou Vukovar, livré à la guerre civile, où la morbidité et la mort sont devenues les normes, le geste de ce tueur, une sorte de « croisé avec ses propres batailles et ses valeurs », comme Enard l’a expliqué dans un entretien, a quelque chose de libérateur et apparaît comme une sorte de relation qu’établit le tireur avec sa victime, lunette de fusil interposée. Les autres personnages du livre sont la mère à moitié folle du tireur et la jeune Myrna qui a perdu ses parents dans un bombardement, embauchée pour garder la mère malade. Seuls, les rapports qui s’établissent entre le héros et la jeune orpheline laissent entrevoir la possibilité d’un rapport « normal » avec le monde dans ce contexte général de conflits, de déchirement et de dégradation totale de valeurs morales et humaines.
Ce beau roman vient d’obtenir le Prix des cinq continents de la Francophonie 2004. Créée par l’Agence intergouvernementale de la francophonie et décerné par un jury prestigieux d’écrivains (Le Clézio, Vénus Khoury-Ghata, Henri Lopes, Andréï Makine...), ce prix consacre chaque année un roman d’un auteur d’expression française. Enard, 31 ans, spécialiste du monde arabe, a reçu son prix à Ouagadougou, en marge du sommet de la Francophonie. Son prochain roman Remonter l’Onéroque sortira en février 2005. « Il n’aura rien à voir avec la guerre. La guerre, c’est épuisant », assure l’auteur.

La perfection du tir, par Mathias Enard. Editions Actes Sud, 181 p., 17 euros.

Tirthankar Chanda


Tahar Bekri ou la poésie de l’errance et de l’exil

(MFI) « Il aimait les hirondelles par-dessus la mer/et ne savait pourquoi,/pluie et vent hissaient ses voiles, de guerre/en guerre, il disait aux roses sauvages ses/colères, les horizons emportaient ses pas vers/l’oubli, les sables meurtris détruisaient ses pas/perdus », ainsi commence Les songes impatients, recueil de poèmes des années 90 de Tahar Bekri que republient aujourd’hui les éditions AS.P.E.CT. Le poète tunisien retrace dans la soixantaine de pages de cet ancien-nouveau volume sa trajectoire de poète : « Pêcheur d’étoiles », naviguant entre ciel et mer, il a vu les algues « voler ses rêves » et ses mots « venir mourir sur les rives ». Il a habité les « terres lointaines », Gorée, Port-au-Prince, Saint-Louis, Boston ou Copley Square où il a défié les gratte-ciel dans l’espoir de graver son poème à tout jamais sur leur fronton marmoréen. Néron, Hamlet, mais aussi Lautréamont et l’iranien Rûmi l’ont accompagné dans ses errances. Il a raviné « les bords des perfides défaites » et a sillonné « les déserts sans haltes » jusqu’au moment il s’est souvenu du météore venu mourir dans ses bras. Les poèmes de Bekri sont brefs comme des haïkus japonais, énigmatiques, mais riches en mélancolie, en symbolique et sonorités. On referme ce recueil, pénétré de la gravité des paroles d’un poète qui puise dans ses maux et ses tourments la matière de ses songes.
Tahar Bekri est auteur d’une oeuvre prolifique, composée d’une dizaine de volumes de poèmes et plusieurs recueils d’essais littéraires. Exilé en France depuis 1976, il vit à Paris où il enseigne la littérature maghrébine contemporaine.

Les songes impatients, par Tahar Bekri. Editions AS.P.E.CT, 61 p., 13,50 euros.

T. C.


Il y a cinquante ans... la guerre d’Algérie

(MFI)Publié une première fois en 1980 dans la Nouvelle Revue française, ce court récit de Claude Schmitt raconte la peur, la nervosité, l’hystérie des jeunes soldats débarqués en Algérie pour participer à cette « drôle de guerre » qui ne disait pas son nom jusqu’à récemment. Des chapitres courts de quatre à cinq pages chacun et aux titres graves : La lune, Le camp, Le marché, L’embuscade... Le phrasé haletant, rythmé par la peur et l’angoisse, restitue la tension quasi-palpable qui régnait alors sur les oueds, surveillés de part et d’autre d’une frontière impalpable. Le récit progresse par touches impressionnistes : un campement de soldats éclairés par « la clarté trompeuse de la lune », la dernière ronde des sentinelles avant le lever du jour, l’entrechoquement des gamelles, la place du marché « blanche de monde » (« Burnous et djellabas des hommes, multiples robes des femmes et chemisettes des petites filles se mélangeaient dans un mouvement labyrinthique et incessant... »), le village indigène assoupi au pied de l’acropole militaire, la colonne des soldats qui s’engage dans le lit d’un oued asséché envahi par des lauriers roses, le piétinement des moutons et des chèvres pressés les uns contre les autres, une forme en djellaba se faufilant entre les animaux, les militaires courant à la poursuite de ce dernier sous un soleil inclément qui n’est pas sans rappeler l’Algérie de Camus. Le récit se clôt sur la neige où retentissent les claquements d’un pistolet mitrailleur. L’objectif de Claude Schmitt qui avait vingt ans en 1959 quand il fut appelé en Algérie, n’est pas ici de raconter la guerre et sa tragédie, mais de restituer l’atmosphère délétère, la beauté du pays sur fond desquelles s’étale la cruauté des hommes, la cruauté passée et à venir. Des pages hallucinantes, plus éloquentes que toutes les analyses érudites de la guerre et de sa barbarie.

L’empreinte : récit de la guerre d’Algérie, par Claude Schmitt. Editions Actes Sud, 49 p., 8,50 euros.

T. C.


Dans les coulisses noires de guerre 14/18

(MFI) S’ils étaient tous tirailleurs (et souvent en première ligne), ils n’étaient pas tous sénégalais, ces militaires qui furent amenés à combattre sur le sol européen, lors de la première guerre mondiale. Documents à l’appui, l’historien Jean-Yves Le Naour retrouve la trace du recrutement (Où ? comment ? dans quelles proportions ? et avec quelles complicités et/ou résistances s’est-il effectué ?). Il dresse aussi le portrait de tous les clichés (exacerbés par la brutalité du contexte) véhiculés autour de l’image du tirailleur, dont la plus célèbre est, bien sûr, celle que Senghor souhaitait « déchirer sur tous les murs de France », celle de la publicité pour le chocolat en poudre Banania.
Mais Jean-Yves Le Naour ne s’est pas contenté de ces premiers éléments d’analyse, il s’est surtout intéressé à un phénomène moins connu : la prolongation de la mission des tirailleurs qui, à la fin de la guerre, demeurèrent en Europe afin de servir de force d’occupation de l’Allemagne défaite. De cette présence (dans une proportion plus élevée qu’elle ne l’avait été durant le conflit) est née une campagne, partie de l’Allemagne mais rapidement rendue internationale, sur le recours aux troupes de l’Empire, vécu comme une humiliation et dénoncé comme une faiblesse de l’armée française incapable d’assumer sa victoire. Une « dérive » dénoncée sous l’appellation qui donne son titre au livre de l’historien : La honte noire.
Jean-Yves Le Naour observe les stratégies et les errements de l’armée, les réactions des camarades de combat et des civils de l’arrière et, dans ce contexte, la sexualité tient un rôle de choix puisque cette présence de longue durée obligea l’état major à la création de lieux de plaisir et à un recrutement assuré sur les terres d’origine des combattants... Un livre fort bien documenté qui offre une visite dans les coulisses les plus sombres d’une époque particulièrement douloureuse.

La Honte noire, par Jean-Yves Le Naour. Hachette, 280 p., 20 euros.

Bernard Magnier


William du Bois : le pionnier du refus

(MFI)A l’aube du 20e siècle, dans une Amérique qui dissimule son apartheid sous des euphémismes plus ou moins trompeurs, William Du Bois, le premier, a osé écrire cette simple phrase, a contrario des idées largement répandues alors : « Je suis noir et je suis fier de ce sang qui coule dans mes veines »... Il est ainsi devenu un symbole de la lutte et appartient à cette lignée d’hommes du refus, intellectuels ou non, qui ont contribué à bouleverser la présence au monde d’une large part de l’humanité.
Son livre, Les âmes du peuple noir vient d’être édité en français dans la version publiée initialement en 1903, mais l’apport de notes (citant parfois des versions ultérieures) ainsi qu’un excellent appareil critique permettent de resituer ce livre fondateur dans son contexte, en ayant à portée de lecture les références nécessaires à sa bonne compréhension. « A la fois documentaire, autobiographie, ouvrage historique sociologique et anthropologique, le livre de Du Bois est un témoignage de ce qu’est la vie derrière le Voile, métaphore qu’il utilise pour désigner la ségrégation », selon les mots de Magali Bessone qui a constitué ce volume dans lequel se dessinent la personnalité de l’auteur mais aussi la négation et la relégation collectives vécus par la communauté d’origine africaine aux États-Unis.
Les âmes du peuple noir est un texte essentiel pour l’Histoire et pour découvrir le destin exceptionnel de cet homme, né en 1868 dans le Massachusetts, qui fut le premier noir diplômé de Harvard. Pionnier dans ces positions et dans les idées qu’il put faire entendre (il est l’auteur d’une vingtaine de livres et de milliers d’articles), il rencontrera Kroutchev et Mao Zedong, puis émigrera au Ghana et obtiendra la nationalité du pays de Nkrumah où il mourra le 27 août 1963, la veille de la marche des droits civiques sur Washington.

Les âmes du peuple noir, par William Du Bois. Traduit de l’anglais par Magali Bessone. Ed. ENS Rue d’Ulm, 341 p, 23 euros.

B. M.


Dis-moi comment tu parles, je te dirai d’où tu viens

(MFI) Toute langue qui n’évolue plus est une langue morte. A lire deux publications récentes, il semble bien que la langue française ne soit pas menacée de ce syndrome, tant l’inventivité lexicale perdure. Jean-Pierre Goudaillier, observateur du « français contemporain des cités » dans un Comment tu tchatches, et Patricia Vigerie, auteur d’un Dictionnaire des gros mots, en apportent une preuve lexicalement vivifiante et drolatique.
Si vous voulez découvrir les détournements populaires et la signification imagée de « bounty », « findus », « carte bleue » ou « Mururoa », connaître l’origine arabe, berbère, tsigane ou bambara de quelques mots d’usage (plus ou moins) courant, apprendre comment « flic » est devenu « keuf », comment l’apocope, l’aphérèse et autres troncations s’immiscent « en loucedé » au coeur des cités... il convient de se plonger dans la lecture de Comment tu tchatches, un ouvrage des plus érudits et distrayants à la fois, et au demeurant fort instructif sur l’évolution de la langue et les enjeux sociologiques qui soutiennent ses dérives, cryptages et autres jeux... de mots. Si vous souhaitez apprendre l’origine de tel mot que je ne saurais citer ici, découvrir une première occurrence ou enrichir (en toute légitimité) votre vocabulaire et votre capacité à jurer et injurier, il faut alors se précipiter sur le Dictionnaire des gros mots réuni par Patricia Vigerie. Certes, le « registre » des gros mots est quelque peu limité puisque l’auteur n’a eu besoin de deux chapitres pour les répertorier : la sexualité et l’excrémentiel. Ce choix peut étonner voire choquer mais à la réflexion il est vrai que notre vocabulaire grossier relève quasi-exclusivement de ces deux sources. Tour à tour trivial ou poétique, riche d’une belle inventivité ou d’une vulgarité crasse, chaque mot ou expression est présenté(e) avec son étymologie, souvent une citation référencée et une déclinaison de l’emploi. Une suggestion toutefois : pour une prochaine édition, l’auteur pourrait avec profit s’enquérir de quelques entrées nouvelles en se livrant à l’analyse de la presse et des productions littéraires du continent africain. Nul doute que, sur ce domaine, le continent recèle quelques images inédites qui ne dépareilleraient pas son florilège et l’enrichiraient de quelques (bons) mots...

Comment tu tchatches !, par Jean-Pierre Goudaillier. Editions Maisonneuve et Larose, 288 p., 20 euros.
Dictionnaire des gros mots, par Patricia Vigerie. Favre, 320 p, 15 euros.

B. M.


Un écrivain à découvrir
Les identités hybrides du sud-africain Achmat Dangor

(MFI) Rejetant le monolithisme de la pensée militante, l’ancien activiste anti-aparthid et écrivain Achmat Dangor explore dans sa fiction la complexité du vécu.


La littérature d’Afrique du Sud est en train de changer. Le régime d’apartheid a emporté avec lui ses lois racistes, mais aussi la rage dans laquelle les écrivains sud-africains ont trempé leurs plumes plus de quarante ans durant pour dénoncer les tueries, les assassinats, les exactions, les déplacements forcés perpétrés par le pouvoir blanc à l’encontre des Noirs, des basanés, des métis. Suite à l’avènement de la démocratie et d’un gouvernement noir en Afrique du sud, les écrivains qui avaient érigé le militantisme et la dénonciation en art (Gordimer, Brink, Athol Fugard), se sont tus ou se sont fait discrets, laissant la place à de nouveaux écrivains qui, eux, cherchent leur inspiration dans les succès et les faillites de la nation « arc-en-ciel » naissante, explorant dans le quotidien, dans l’intime, dans l’ordinaire la matière de leurs productions. Bien que sa carrière littéraire ait commencé sous l’apartheid, Achmat Dangor fait partie de ces nouveaux écrivains post-apartheid qui sont en train de renouveler l’écriture sud-africaine, faisant émerger à travers leurs écrits de nouvelles sensibilités, des préoccupations et obsessions inédites.
Hybridité, féminisme, mémoire de la communauté indienne dont il est issu sont les principaux thèmes des oeuvres publiées par Dangor depuis les années 80. Né en 1948 dans un township de Johannesburg, Dangor est auteur de poésies, de théâtre et de romans. Engagé dans le mouvement d’anti-apartheid dès son très jeune âge, il a milité dans les rangs de l’ANC et a participé activement dans le mouvement culturel « Black Thoughts » dont les membres allaient dans les townships du Cap pour lire des poèmes et jouer des pièces de théâtre.
C’est à l’âge de 16 ans que Dangor a écrit En attendant Leïla (Serpent à Plumes, 1994), la nouvelle qui l’a fait connaître. « J’avais un besoin vital de m’exprimer, a expliqué Dangor dans un entretien accordé au journal Le Monde. J’ai quitté ma famille pour aller vivre au Cap dans le quartier très pauvre du District Six où habitaient des Noirs, des Asiatiques, des métis. Là, j’ai vécu seul pendant un an et j’ai rédigé ce récit ». En attendant Leïla est une « novella », une longue nouvelle dont l’intrigue se déroule sur fond de démolition du District Six par le régime qui voulait y construire des habitations pour la population blanche. Ce texte profondément engagé ne s’enferme pas pour autant dans le monolithisme du conflit blanc-noir. Il faut le lire avant tout comme une fable initiatique d’amour et de haine, en temps d’apartheid. Son héros Samad est aux prises avec « l’héritage bâtard » dont son passé l’a doté.
Ce thème d’hybridité et de métissage se retrouve dans les deux romans suivants de Dangor La malédiction de Kafka (Mercure de France 2000) qui raconte la quête identitaire à la fois traumatisante et ironique d’un Omar-Oscar, petit-fils d’une blonde Afrikaner mariée à un musulman, et Fruit amer (Mercure de France 2004) qui, lui, met en scène les dures réalités de l’Afrique du sud contemporaine à travers l’histoire d’une famille métisse. Lorsqu’elle était jeune et qu’elle militait pour l’ANC, Lydia fut violée par un policier afrikaner sous les yeux de son mari. Pendant vingt ans le couple réussit à composer tant bien que mal avec ce passé, élevant le fils né du viol comme le leur. Mais lorsque Silas croise dans un supermarché le violeur de sa femme, faisant ses courses comme n’importe quel vieillard banal, et fait part à son épouse de cette rencontre inopinée, le monde du couple s’effondre, révélant les compromissions, les complicités malsaines, les petites et grandes couardises qui ont jalonné leur vie. Lydia ira jusqu’à reprocher à son mari , proche du nouveau pouvoir et qui la pousse à aller déposer devant la Commission Vérité et réconciliation, de vouloir approprier sa souffrance. Sous la plume de Dangor, le viol devient alors la métaphore des souvenirs douloureux refoulés par les femmes noires et que le processus de la réconciliation mis en branle par le pouvoir actuel n’a pas réussi à conjurer.
« Confesser en public la douleur qu’elle avait subie n’aurait rien changé, ni à sa vie, ni à la vie de quiconque. Rien ne pouvait défaire ce qui avait été fait ; on n’annule pas un viol, c’était un acte aussi irrévocable qu’un meurtre. Une fois que le pénis du violeur, cette bite répugnante, était entrée en vous, rien ni personne ne pouvait plus l’en retirer : ni le remords, ni la vengeance, ni même la justice. »
La finesse d’analyse pyschologique et politique fait de Fruit amer un des grands romans de l’Afrique du sud post-apartheid.

T. C.




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