accueilradio  actualités  musique  langue française  presse  pro
radio
Liste des rubriques
MFI HEBDO: Culture Société Liste des articles

24/12/2004
Globalement vôtre

L’État et la mondialisation

(MFI) Spécialiste de droit comparé, Jean-François Bayart a consacré l’essentiel de ses travaux à l’historicité de l’État. Dans Le gouvernement du monde, il s’interroge sur la globalisation, dont on pense le plus souvent qu’elle marque le déclin de l’État. Et affirme qu’il n’en est rien.


« De nos jours, avec la rapidité des communications et les moyens encore plus rapides de la transmission de la pensée, il faut considérer le monde par rapport aux nations comme un seul pays habité par des races différentes, en contact toujours plus fréquent entre elles… » Cette réflexion ne fait aucunement allusion à notre ère de développement fulgurant d’Internet ou du téléphone portable. Elle est tirée d’un livre paru en… 1867, sous la plume du mamelouk Khair ed-Din.
Nourri de centaines de citations de tous horizons, le livre que Jean-François Bayart consacre à sa critique politique de la globalisation, sous le titre Le Gouvernement du monde, démontre de façon magistrale que non seulement celle-ci est en cours depuis deux bons siècles déjà, mais encore qu’elle n’est pas synonyme d’affaiblissement de l’État. Au contraire, il rappelle que « l’État ne précède pas le système international, il en découle, et son insertion dans celui-ci est moins aliénation qu’établissement de son pouvoir ». L’auteur souligne encore que « la formation de l’État, dans le cadre de la mondialisation, s’est appuyée sur deux grandes idées transnationales connexes : les notions (et les ingénieries politiques correspondantes) de la nation et de la réforme, qui ont œuvré aux quatre coins de la planète dans une relation organique et ambiguë avec l’expansion de l’impérialisme européen ». Certes, avance-t-il enfin, le pouvoir d’État est désormais exercé par « les institutions privées, telles que les entreprises ou les organisations non gouvernementales », pouvoir « qu’elles se sont vu déléguer sous la forme d’un système diffus d’administration indirecte ».

Le camp de Guantanamo, « microcosme de la globalisation »

Analysant la gouvernementalité comme un pouvoir « à l’interface des "techniques de soi" et des "techniques de domination exercées sur les autres" », l’auteur affirme que la globalisation est nôtre « parce que c’est dans sa dimension que nous façonnons notre éthique et notre corps ». Il voit dans le lieu extraterritorial qu’est le camp de Guantanamo (construit par une filiale de Halliburton, l’ancienne société du vice-président américain Dick Cheney) « un microcosme de la globalisation, y compris dans cette relation que le camp de détention instaure entre le principe de l’off shore et la souveraineté de l’État dans ce qu’elle a de plus absolu ». Il y voit également la quintessence d’une autre condition d’attente, « plus banale, celle qui régit les migrations internationales ».
En effet, et c’est l’une des idées-force de l’ouvrage, à l’aune de la globalisation, « la seule urgence est celle de l’attente ». Démontant le paradoxe essentiel de la mondialisation, qui « renvoie à cette contradiction entre l’ouverture économique et financière, d’une part, et, de l’autre, le cloisonnement coercitif du marché international du travail et les empêchements opposés à la circulation des hommes », l’auteur souligne la mise en latence de populations entières : « C’est au cœur du réacteur de la globalisation qu’elles attendent ; elles en procèdent et participent à sa reproduction. » Populations sans droits « stockées » dans des zones de rétention administratives « aux portes des Etats industriels » comme « en leur sein », ou dans « des régions tampons qui servent de rampe d’accès au mirage de leur prospérité » : Jean-François Bayart cite le philosophe Gilles Deleuze – « le sujet naît dans les plaintes autant que dans l’exaltation » –, tout en précisant aussitôt que « les situations liminales que crée la globalisation sont susceptibles d’engendrer une grande variété de processus de subjectivation dont les orientation sociales et politiques peuvent être antithétiques ».
Aussi, après le formidable voyage effectué dans ces pages, Jean François Bayart convient que « la question de l’avenir de la globalisation (…) reste entière », même si lui est convaincu qu’elle « ne saurait trouver de réponse dans les termes millénaristes de l’altermondialisme ou du néolibéralisme ». Il invite le lecteur à « penser notre temps dans son incomplétude et dans sa fragilité », sans continuer à « tenir pour menue monnaie le désir et la souffrance qui parcourent les limbes du monde ».



Le Gouvernement du monde, une critique politique de la globalisation, par Jean-François Bayart, éditions Fayard, 450 pages, 24 euros.

Ariane Poissonnier

retour

Qui sommes nous ?

Nos engagements

Les Filiales

RMC Moyen Orient

Radio Paris-Lisbonne

Delta RFI

RFI Sofia