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18/02/2005
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Hommage aux femmes d’Afrique et de la diaspora
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(MFI) Deux livres récemment parus mais de styles bien différents dressent les portraits des grandes figures féminines du continent, actrices sociales, politiques et économiques d’une histoire qui reste à revisiter.
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Si, à l’instar du Togolais Edem Kodjo, beaucoup sont convaincus que la « femme est probablement l’avenir du continent africain » (1), peu nombreux sont ceux qui peuvent, spontanément, citer plus d’une ou deux figures féminines ayant laissé leur nom dans l’histoire. Deux livres, sortis à deux mois d’intervalle, viennent combler cette lacune. Le premier, Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire, est l’œuvre de Sylvia Serbin, le second, Femmes de l’ombre et grandes royales dans la mémoire du continent africain, de Jacqueline Sorel et Simonne Pierron Gomis (2). Si l’un et l’autre ouvrage partagent une même intention générale – souligner le rôle des femmes du continent dans son histoire –, la concrétisation en est bien différente. Sylvia Serbin fait oeuvre d’historienne, multipliant et comparant les sources sur un même sujet, quand les secondes, dans leur hommage aux Africaines, s’attachent plutôt à déployer un talent de conteuses, choisissant par exemple entre deux versions de la mort de Nandi, mère du chef zoulou Chaka, la « plus romanesque ».
Sylvia Serbin inscrit son travail dans un large champ : au-delà des femmes présentées, elle invite le lecteur, précise-t-elle dans son avant-propos, à découvrir « la vitalité des sociétés auxquelles elles appartenaient… Car, on ne le dit jamais assez, le continent noir s’est longtemps suffi à lui-même. Ses peuples ignoraient la faim et ses richesses ont contribué à la prospérité des civilisations les plus avancées (…) Sans verser dans une idéalisation revancharde, cette contribution vise donc à promouvoir une image différente de ce passé, souvent décrit comme vide d’événements, et à traduire le ressenti de peuples indûment assimilés à un groupe inerte, n’ayant accédé à l’action et à la civilisation qu’au contact d’un Occident évolué. » Conséquence logique, Sylvia Serbin a écrit 22 longs portraits quand Jacqueline Sorel et Simonne Pierron Gomis réunissent 30 « petits récits à base historique », pour reprendre les termes de leur avant-propos ; accessibles au plus grand nombre, ces courts récits devraient, comme le souhaitent leurs auteurs, « donner envie d’en savoir davantage sur ces héroïnes des temps anciens », envie que viendra parfaitement combler Reines d’Afrique.
Yennega, Anne Zingha, Abla Pokou mais aussi la mulâtresse Solitude et Harriet Tubman
Femmes de l’ombre et grandes royales propose ainsi un voyage à travers l’Afrique noire qui débute par Lucy, « la gracile des origines », née 3 millions d’années avant Jésus-Christ, fait des haltes auprès d’Inaré Konté, « la femme aimée de Kankou Moussa » (XIVe siècle, Mali), de Nyirarumaga, « poétesse et historienne du Rwanda » (XVIe s.), ou d’Anne Pépin, « l’accueillante du chevalier de Boufflers » (XVIIIe s., Sénégal), et s’achève sous les auspices de Ngampio, « la ngalifourou des Batékés du Congo » (XIXe s.) et de Zaouditou, « l’impératrice au cœur tendre » (XIXe s., Ethiopie).
Certains portraits se retrouvent dans l’un et l’autre ouvrage. C’est le cas de ceux de Yennega, l’amazone des Mossis, d’Anne Zingha, reine d’Angola, qui défend avec intelligence l’indépendance de son pays face aux Portugais, d’Abla Pokou, reine des Baoulés, qui accepte de sacrifier son fils unique pour la survie de son peuple, de Ndete Yalla, reine du Walo, de Nongqause, la tragique prophétesse des Xhosas d’Afrique du Sud, de Kimpa Vita, alias Dona Beatrice, la Jeanne d’Arc congolaise, ou de Saartjie Baartman, connue sous le nom de Vénus hottentote et victime d’une honteuse exploitation raciste dans l’Europe du XIXe siècle.
Née en Afrique mais d’origine antillaise, Sylvia Serbin a également inclus dans son champ d’investigation deux figures de la diaspora : la mulâtresse Solitude et Harriet Tubman. Le 29 novembre 1802, sur l’île de la Guadeloupe, Solitude monte sur l’échafaud sur ordre de la France de Bonaparte. On a attendu qu’elle accouche, vingt-quatre heures auparavant, afin de ne pas perdre les deux bras en gestation dans le ventre de la condamnée. Son crime : s’être opposée, avec d’autres, y compris certains notables blancs, au rétablissement de l’esclavage par Napoléon Bonaparte, époux de Joséphine, fille de colons de la Martinique. L’asservissement avait été aboli le 4 février 1794 par la Convention ; il faudra attendre 1848 pour qu’il le soit à nouveau, définitivement cette fois.
C’est également contre l’esclavage que s’est élevée Harriet Tubman, née dans une plantation de coton du Maryland (Etats-Unis) vers 1820. Après avoir elle-même fui le Sud esclavagiste et la condition servile vers 1849, elle reviendra chercher sa sœur, sa belle-sœur et leurs deux enfants. Après un deuxième voyage en « indépendante » qui lui permet de récupérer un frère et ses vieux parents ainsi qu’une famille de voisins, Harriet Tubman est intégrée comme « conductrice » dans le Chemin de fer souterrain, un réseau clandestin d’évasion, animé par des abolitionnistes blancs et des Noirs libres. En 19 voyages, de 1850 à 1860, elle réussira à arracher plus de 300 personnes au Maryland.
(1) Cahiers nomades, une émission de Sophie Ekoué, sur RFI, 24 janvier 2005.
(2) Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire, par Sylvia Serbin, éditions Sepia, 2004.
Femmes de l’ombre et grandes royales dans la mémoire du continent africain, par Jacqueline Sorel et Simonne Pierron Gomis, éditions Présence africaine, 2004.
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Ariane Poissonnier
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