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04/03/2005
Loups-garous, vampires, tueurs en série : la part maudite du Rêve américain

(MFI) Les Etats-Unis sont l’une des sociétés les plus violentes de la planète. Les films, les romans américains, sont à cette image, peuplés de monstres et de criminels multirécidivistes. Le sociologue Denis Duclos tente de revenir aux sources de cette fascination made in USA pour la violence.

Quel rapport entre le psychopathe cannibale du Silence des agneaux, le loup-garou de Londres, la jeune femme possédée par le diable de Rosemary’s baby ? Tous sont américains. A pleines brassées nous arrivent chaque année, issus des cerveaux fertiles de scénaristes hollywoodiens, serial killers, monstres sanguinaires, créatures infernales et autres goules de cauchemar. L’Amérique détient-elle le monopole des monstres ? Denis Duclos s’est attaqué très sérieusement à la question. Dans Le complexe du loup-garou, ce sociologue français, directeur de recherches au CNRS, tente de trouver le chaînon manquant entre la culture américaine et cette violence cinématographique qui n’est souvent que le reflet – plus ou moins déformé – de faits divers bien réels.
Pourquoi, bien avant d’être promise à une fortune mondiale, est-ce aux Etats-Unis – et nulle part ailleurs – qu’est apparue la figure du serial killer ? Pourquoi la fiction américaine, films et romans, est-elle la plus violente du monde ? La question mérite qu’on se replonge au cœur des récits originaires, Mayflower et Pilgrim Fathers. Depuis toujours, l’Amérique se vit sous le double mode de la « Cité sur la colline », lieu élu de Dieu que les colons se devaient de faire fructifier et prospérer. Sur ce premier modèle de civilisation sont venus bien vite se greffer les fantasmes de contagion, contamination, dévoration par le Mal : hantise obsidionale, propre à toutes les cultures impérialistes.
Souvent, c’est dans des zones reculées, éloignées de tout que le Mal attend son heure. Delivrance, de John Boorman, conte l’odyssée sanglante de quatre jeunes citadins dont l’expédition dans les forêts luxuriantes du Sud tourne au cauchemar sanglant. Viol de l’un d’eux, meurtre de l’assassin, course-poursuite : en l’espace de quelques heures, la ballade écologique vire au massacre général. Dans les romans de Stephen King aussi, c’est souvent dans des coins paumés, vieilles maisons apparemment à l’abandon, petits villages loin de tout, zones franches ou montagnes isolées, que le héros tombe sous les griffes des forces démoniaques. Plus dérangeante est la formule choisie par Bret Easton Ellis dans American Psycho : ici, le tueur fou ne se tapit plus dans les recoins de l’Amérique des « rednecks », mais au cœur d’un appartement luxueux de Manhattan. Il n’est plus incarné par un auto-stoppeur pervers ou une horde de paysans dégénérés : Patrick Bateson, le tueur en série dont les meurtres sadiques sont décrits ad nauseam par Ellis, est un golden boy parfumé Hermès et costumé Armani, habitué des restaurants huppés de la ville, qui, à ses heures perdues tue, égorge, éviscère clochards et call girls avec un raffinement d’empereur Ming.


Meurtres de fiction, meurtres réels

Nul doute que ces meurtres de fiction s’inspirent en partie de faits divers, ceux-là on ne peut plus réels. A l’instar de l’histoire de Charlie Manson qui, en 1969, prit d’assaut deux villas de Beverly Hills, faisant assassiner cinq personnes (dont Sharon Tate, la femme du cinéaste Roman Polanski). Berkowitz, qui se faisait surnommer « Son of Sam », fit régner dans les années 1970 la terreur dans le Queens en tuant les couples d’amoureux : « Je suis le démon surgi depuis la fosse sans fond, ici, sur terre, pour susciter la désolation et la terreur. Je suis la guerre, je suis la mort, je suis la destruction ». Plutôt que de tenter de rabattre imaginaire sur réalité pour une énieme reformulation d’un débat usé jusqu’à la corde (une société hyper-violente a les fictions qu’elle mérite), le livre a l’intelligence de s’appuyer indifféremment sur les deux termes pour asseoir sa démonstration : voir en quoi cette culture – au double sens de mode de vie et d’univers fictionnel – s’ancre dans la civilisation américaine.
Pourquoi la figure du guerrier fou, en rupture de société, tuant tout ce qui se trouve sur son passage, occupe-t-elle cette place privilégiée ? Pourquoi fascine-t-elle les Américains au point d’être devenue la clef de voûte – involontaire – de leur imaginaire ? C’est dans les plaines glacées du Nord, chez Thor et Odin, que Denis Duclos est allé chercher ses réponses. Pour le chercheur, c’est sur le modèle des mythologies vikings que la culture américaine s’est construite. Ainsi Loki, le plus mauvais des grands dieux nordiques : « il représente un principe de réapparition du mal dans le bien. D’abord modeste, puis de plus en plus insistant, il donne naissance aux formes sauvages qui vont tuer les dieux lors de la catastrophe terminale. C’est le protecteur des obsessionnels qui aiment cacher leur vraie nature et donner l’impression de rester bons tout en laissant transparaître un peu de désir sauvage irréductible. » A l’instar de la cosmogonie nordique, dans le monde tels que le voient les Américains, le Bien est toujours menacé par la montée d’un Mal qui surgit de ses propres entrailles. Ainsi Stephen King : « Il ne croit pas à la possibilité pour un ordre humain d’instaurer durablement sa loi. Il croit bien davantage à une sorte de balancement indéfini. »
Ce balancement traverse la société, mais aussi chaque individu : à l’instar de Patrick Bateson, le héros d’American Psycho, parangon de raffinement et de civilité le jour, monstre sanguinaire la nuit. Cette culture de la double-face trouve son point d’accomplissement dans la culture du loup-garou, tour à tour homme et bête : « Elle est l’expression collective de gens qui ne veulent pas entendre parler d’une sublimation de leurs désirs enfouis. (…) La culture du loup–garou a un problème ; elle ne peut pas reconnaître ses désirs comme tels. Elle se sent obligée de les étiqueter comme mauvais. Et comme elle ne veut pas y renoncer, elle doit donc construire un système de défense élaboré, un procédé rusé, par lequel elle a l’air de répugner à faire ce qu’elle aime, et d’aimer faire ce qu’elle déteste. » Ainsi le loup-garou devient-il bien plus que le symptôme ou le symbole de l’Amérique : sa signature.

Le complexe du loup-garou : la fascination de la violence dans la société américaine, Denis Duclos, Ed. La Découverte, 10,50 euros.


Elisabeth Lequeret




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