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18/03/2005
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Cinéma
Chahine, le sphinx d’Alexandrie
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(MFI) Quatre des plus beaux opus de Youssef Chahine sont aujourd’hui regroupés dans un coffret DVD. Alexandrie pourquoi ? (1978), La mémoire (1982), Alexandrie encore et toujours (1990), Alexandrie, New-York (2004) : autant de films qui jalonnent les principales étapes de la vie et de la carrière du cinéaste égyptien, aujourd’hui âgé de 79 ans.
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En 1977, Youssef Chahine s’effondre sur un tournage, victime d’un infarctus. Hospitalisé, il doit être opéré sur le champ, à cœur ouvert. On le croit à l’agonie (de fait, il l’est), mais de cette expérience traumatique, flirt avancé avec la mort, il tire quelques années plus tard La mémoire, peut-être son film le plus vivant, hymne à la vie et réflexion autobiographique qui relève autant du plaidoyer pro domo que de l’autocritique. Tel est Youssef Chahine : chacun de ses films s’offre comme une célébration de l’impureté ontologique du cinéma et de la vie, placée sous le signe incandescent de la fusion des contraires.
Alexandrie pourquoi ? (1978), La mémoire (1982), Alexandrie encore et toujours (1990), Alexandrie, New-York (2004) : ce quatuor alexandrin ne propose pas seulement un aperçu des plus beaux opus chahiniens, il offre aussi un raccourci saisissant sur l’œuvre du plus prolifique des cinéastes égyptiens – et sans doute du monde. « Si l’on combat assez longtemps son ennemi, on finit par l’épouser », déclare un personnage de L’année du dragon, de l’Américain Michael Cimino. Il est très improbable que Chahine ait vu le film, ni même qu’il connaisse Cimino, reste qu’aucun cinéaste n’aura poussé aussi loin aussi loin que lui cette contradiction qui palpite au cœur de l’expérience humaine. De ces quatre opus, c’est sans doute La mémoire qui pousse la question dans ses ultimes retranchements.
Années d’apprentissage
Le film, qui reconstitue l’infarctus de 1977, se présente sous la forme d’une grande boucle temporelle qui prend en écharpe la foule de question existentielles -souvenirs, remords, regrets- qui surgissent entre la chute (l’attaque cardiaque) et le réveil. L’opération elle-même est magistralement montée sous la forme d’un procès où un Chahine enfant revient, ultime tour de piste, accuser son double adulte de ses défaites et trahisons. Ici le pire ennemi de Chahine, c’est bien sûr Chahine lui-même. Cette contradiction où se noue toute l’œuvre de l’auteur de Gare centrale revient comme un motif diversement déformé dans la plupart de ses autres films. Alexandrie, pourquoi ? raconte la guerre et les premières années d’apprentissage, dans une famille de la bourgeoisie alexandrine déchue, du jeune Chahine. Le père est un avocat qui refuse de se prêter aux procès véreux, la mère tente par des miracles d’économies de faire bouillir la -maigre- marmite familiale, le fils ne rêve qu’aux jambes de Cyd Charisse et aux entrechats du divin Ginger Rogers.
Ici se croisent sans relâche l’histoire personnelle (le fils rêve de devenir acteur) et l’Histoire, la grande, celle de l’Egypte pré-Faroukienne : combat contre les troupes hitlériennes, révolte contre l’occupant britanniques, premiers soubresauts indépendantistes. Chez Chahine, aucune haine, aucun racisme, aucune inimitié ne peut résister au dialogue : générosité sans bornes de l’un des derniers grands cinéastes humanistes de la planète. Dans Alexandrie, encore et toujours, un Chahine en pleine bisbille avec l’un de ses acteurs (celui-ci l’a plaqué en plein tournage) finit par se réconcilier avec lui, au festival de Berlin, à la faveur de quelques pas de danse esquissés dans la neige. Chez Chahine, la haine et l’amour ne sont jamais éloignés, l’ennemi d’hier peut devenir l’amant de demain (et réciproquement). Une très belle scène d’Alexandrie pourquoi ? montre un jeune dandy de l’aristocratie alexandrine qui, ayant décidé de tuer un soldat anglais, finit par le coucher dans son lit : « Comment tuer quelqu’un dont on connaît le nom ? »
Coffret 4 DVD Youssef Chahine, Alexandrie pourquoi ? (1978), La mémoire (1982), Alexandrie encore et toujours (1990), Alexandrie, New-York (2004). France Télévisions Distribution, 50 euros.
Elisabeth Lequeret
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