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01/04/2005
Chronique Livres

L'essentiel d'un livre
Portrait de l’écrivain en vert

(MFI) La romancière française Marie Ndiaye raconte ses angoisses et ses inquiétudes à travers des portraits insolites de femmes en vert.


Après Alechinsky, Le Clézio, Pontalis, Christian Lacroix, c’est maintenant le tour de la romancière Marie Ndiaye. Son tour de raconter, de se raconter, mêlant écrits et photos, comme l’ont fait ses prédécesseurs sollicités par l’écrivain et éditrice Colette Fellous pour la belle collection d’écrits autobiographiques que celle-ci dirige depuis un an aux éditions Mercure de France. Traits et Portraits est une collection d’autoportraits, de textes accompagnés de documents visuels « où se révèle la face cachée, pudique de l’auteur », aime dire sa créatrice. Autoportrait en vert est le résultat de cet exercice quasi-narcissique auquel s’est visiblement adonnée avec délectation l’auteure de Rosie Carpe et de Papa doit manger, sans pour autant déroger à sa règle de maintenir la plus stricte discrétion sur sa vie privée.
Voici deux ou trois choses que l’on sait de la vie privée de Marie Ndiaye, écrivain qui occupe depuis vingt ans une place grandissante dans le paysage littéraire français. Elle est née à Pithiviers en 1967 d’une mère beauceronne et d’un père sénégalais. Mariée à l’écrivain Jean-Yves Cendrey, elle vit quelque part dans le Sud-Ouest de la France avec ses cinq enfants. Des données que l’on retrouve dans son autoportrait, mais distillées savamment de sorte qu’elles deviennent les éléments d’une autobiographie mythologisée, à mille lieux des autofictions à la mode dans le petit monde parisien d’aujourd’hui. En effet, l’originalité de ce nouveau récit de Marie Ndiaye réside dans sa subversion subtile des conventions de l’autobiographie classique. Partant du constat poétique fondamental (« Je est un autre »), elle a choisi de se décrire et de se raconter à travers des figures de femmes (irréelles et fantomatiques), mais aussi à travers le paysage et les humeurs inquiétantes de la Garonne en crue qui encadre ce récit.
Tous les protagonistes de cet autoportrait impersonnel ont ceci de commun : le vert. Un choix de couleur qui ne cesse d’interroger le lecteur. Verte est la femme invisible que la narratrice croise sous le bananier en emmenant ses enfants à l’école. Celle-ci finira par se manifester, se jetant du premier étage d’une maison hantée sans se tuer pour autant. « Ses yeux sont d’un vert très clair, comme ceux de l’ogresse de la maternelle lorsque j’étais enfant », écrit Ndiaye. D’autres femmes vertes hantent ces pages. Elles ont pour nom Cristina, Katia, Jenny, Bella... toutes plus inquiétantes les unes que les autres. Il y a enfin cette amie d’enfance devenue la belle-mère de la narratrice. « Et c’est peut-être également pour manifester que je dois me tenir loin d’elle que mon amie est devenue une femme en vert. » Le vert serait-il alors le signe d’un danger imminent ? La Garonne qui menace d’engloutir le village n’est-elle pas verte, elle aussi ?
L’inquiétante étrangeté que dégagent tous ces personnages est amplifiée par les photos qui ponctuent le livre. Des photos de femmes d’une époque écoulée. Des photos de paysages lourds de silence. Ces images aux sujets récurrents, dédoublés, noircis par le temps, un peu flous, en disent aussi long sur le travail de l’écriture de Marie Ndiaye, sur son univers où, au tournant d’une scène, d’une phrase, d’un vocable, le réel laisse apparaître tout son pesant d’irréel.
Et si « vert » était la clef d’entrée dans le vécu intime de l’écrivain ?

Autoportrait en vert, par Marie Ndiaye. Collection « Traits et portraits », Mercure de France, 100 pages.

Tirthankar Chanda


Niyi Osundare : un poète au cœur du pays

(MFI) La littérature nigériane est riche, sans doute à la mesure de ce pays de quelque 120 millions d’habitants. Aux côtés du prix Nobel Wole Soyinka, les noms de Chinua Achebe, d’Amos Tutuola, de Cyprien Ekwensi, de Nkem Nwankwo, de Gabriel Okara, de Ben Okri, de Buchi Emecheta, plus récemment de Helon Habila ou d’Iké Oguine sont venus avec talent garnir le rayon nigérian des bibliothèques africaines. Mais sur cette longue liste, les poètes sont rares. Fort opportunément, les Editions Présence africaine proposent aujourd’hui le recueil de Niyi Osundare, Rires en attente.
« Je cueille ces paroles sur les lèvres du vent », affirme d’emblée le poète avant de s’en aller au cœur du pays (« Mon pays est une prière en attente d’un amen lointain ») ou vers quelques lointaines géographies, d’autres escales en d’autres langues, d’autres présences complices, quelques incursions dans l’histoire douloureuse d’autres terres africaines. Dans cet univers multiple et foisonnant, le mot est, ici, accessible et issu du vocabulaire quotidien, et, comme le suggère le titre, le rire (l’espoir) se doit de vaincre les larmes et les ténèbres des « saisons tourmentées ».
Écrit en 1988 et 1989 et publié en anglais en 1990, ce recueil bilingue anglais-français donne à entendre la voix originale d’un poète lui-même entre deux langues (anglais-yoruba). Un long chant polyphonique, comme un immense éclat de rire en réponse aux détresses du monde et à celles du Nigeria en proie aux folies des hommes : « Je cueille ces paroles sur les rires du vent/le souffle mouillé de l’énigme millénaire des moussons/les nuits désinvoltes si courtoises dans le cérémonial des étoiles agitées/la pénétrante compassion des petits matins d’harmattan »...

Rires en attente, par Niyi Osundare. Traduit de l'anglais par Christiane Fioupou. Présence africaine, 240 pages.

Bernard Magnier


Rodney Saint-Éloi, activiste poétique

(MFI) Depuis plusieurs années déjà, le poète haïtien Rodney Saint-Eloi est un « activiste poétique » qui ne cesse de déployer son oeuvre personnelle de créateur (depuis Graffitis pour l’Aurore, en 1989) mais aussi de mettre au service de ses « collègues » écrivains ses multiples talents d’éditeur (il a fondé et dirige les éditions Mémoire d’encrier), d’anthologiste (on lui doit, entre autres, une Anthologie de la poésie haïtienne : un siècle de poésie, 1901-2001), de rédacteur en chef de revues littéraires et d’animateur culturel. Son dernier recueil, J’ai un arbre dans ma pirogue, célèbre la terre haïtienne, ses paysages et ses beautés comme un rêve disparu : « Pourquoi ce poème ? Sinon pour dire l’absence qui engage la présence, le vide et l’angoisse d’une terre qui désapprend à être terre ».
Avec Nul n’est une île, Rodney Saint-Eloi et son complice « haïtiano-québécois » de la circonstance, Stanley Péan, ont invité des écrivains amis à un recueil qui se veut une réponse positive aux drames et aux furies qui ensorcellent leur morceau d’île : 17 écrivains haïtiens mais aussi du Togo (Sami Tchak, Théo Ananissoh), de Madagascar (Raharimanana), de Tunisie (Hédi Bouraoui), de Guinée (Monénembo), du Congo (Mabanckou) et de l’île Maurice (Ananda Devi) sont venus dire, en prose et en vers, qu’« il existe une autre Haïti que celle des désastres naturels ou politiques, que celle des urgences humanitaires et des luttes fratricides » et offrir leur regard complice sur ces terres désolées et fraternelles de la Caraïbe.
Ainsi, d’un livre à l’autre, du sud de Haïti (où il est né) à Montréal (où il réside), Rodney Saint-Eloi jalonne son parcours de ses Voyelles adultes, de ses Pierres anonymes, de ses mots mêlés à ceux des autres, sans doute parce qu’« Au bout, il y a une pirogue, là-dedans des mots, comme un arbre qui voyage seul dans la forêt, un conte contrarié par un fusil/Et si tout n’était qu’un grand arbre quelque part, debout dans la constance de la terre… »

Nul n’est une île, par Rodney Saint-Eloi. Mémoire d’encrier, 182 pages.
J’ai un arbre dans ma pirogue, Mémoire d’encrier, 70 pages.

B. M.


Heurts poétiques et autres électrochocs sémantiques

(MFI) La Sunoogo dans le jaden du zahide... Non, vous n’avez pas rêvé, c’est bien ce titre qui figure sur le petit volume publié par les Editions Mille et une nuits ! Si l’on devait le traduire à partir des trois langues (mooré, créole haïtien, arabe) dont il est composé, cela donnerait « La joie dans le jardin de l’honnête homme »... Un titre à l’image de ce petit livre construit par l’atelier Oulipo des campus électroniques de l’Agence universitaire de la Francophonie. L’Oulipo (Ouvroir de Littérature Potentielle) est cet étrange laboratoire lancé par Raymond Queneau, qui, plus de quarante ans après sa création, poursuit ses activités à la fois contraignantes et stimulantes, déroutantes et fantasques.
Le principe, qui relève de l’écriture automatique chère aux surréalistes et de contraintes édictées par quelques cerveaux facétieux, en est simple. Il s’agit d’imposer des règles -pour certaines extrêmement rigides- et d’y soumettre quelques poètes consentants afin de provoquer des heurts poétiques et autres électrochocs sémantiques. L’« exercice de style » est complexe mais les résultats sont savoureux, quoique inégaux. Ainsi, pour la première fois, les écrivains de la Caraïbe, de l’océan Indien et du continent africain ont-ils pu confronter leurs talents sur cet étrange et fécond terrain de jeu littéraire.

La Sunoogo dans le jaden du zahide, Collectif, Mille et une nuits, 92 pages.

B. M.


Le roman du 11 septembre

(MFI) Alors qu’il vient de boucler ses valises, destination la Floride, le dermatologue David Markham apprend par les news télévisées que l’aéroport d’Heathrow (Londres) n’est plus que ruines et cendres. Dans l’attentat, trois personnes ont trouvé la mort, dont son ex-femme. Pour connaître la vérité, Markham va être amené à infiltrer un groupe terroriste dont le but, rien de moins, est de réveiller les classes moyennes, de les secouer de leur confortable torpeur en attaquant des symboles de la civilisation bourgeoise. Sur une trame narrative qui n’est pas sans rappeler le scénario de Fight club, du cinéaste américain David Fincher, le Britannique J.G. Ballard revient sur ses thèmes de prédilection (la crise de la société d’abondance, qui neutralise les corps dans un bien être fictif autant que délétère) qu’il mâtine avec les interrogations et l’horreur suscitée par les attentats du 11 septembre. Considéré comme le chef de file du renouveau de la science fiction britannique, Ballard avait plongé en 1973 le monde des lettres dans la stupeur avec Crash. Dans ce roman devenu depuis culte, il décrivait l’accident automobile comme une nouvelle forme de sexualité, dont le narrateur, le terne Ballard (!!), découvrait peu à peu les complexes combinatoires, toutes à base de chairs carbonisées et de corps démembrés. Aucun doute : Millenium People ne décevra pas ses fans.

Millenium People, J.G. Ballard, Denoël, 365 pages.
Et aussi : Crash, ibid.

Elisabeth Lequeret


Enfants des rues à Abidjan

(MFI) La plupart des grandes villes africaines connaissent aujourd’hui le phénomène des enfants des rues. Abidjan, la capitale économique ivoirienne, pourtant considérée comme la « Manhattan de l’Afrique » est confrontée au problème depuis le début des années 1980 et de la crise économique qui touche la Côte d’Ivoire. Analysant l’origine sociale de ces enfants, leurs moyens de survie, leur organisation, mais aussi l’histoire économique, sociale et anthropologique de la Côte d’Ivoire, Léa Salmon-Marchat, sociologue de formation, tente ici de décrypter, à travers le parcours de ces garçons et filles, le processus qui conduit à la rue. Sans surprise, on s’aperçoit qu’ils sont originaires de familles pauvres et nombreuses, dont les parents sont souvent analphabètes. « Ils sont le produit de l’incapacité de la société ivoirienne à assimiler le choc modernité exogène/tradition africaine », estime Léa Salmon-Marchat, qui a remarqué que le « mécanisme traditionnel de solidarité de la famille étendue » ne fonctionne plus. Totalement exclus des processus de socialisation ordinaires, ces enfants semblent cependant ne souhaiter qu’une seule chose : retourner dans « une société normale ». On imagine que la crise politique et économique que connaît aujourd’hui la Côte d’Ivoire ne leur offre malheureusement pas beaucoup de perspectives dans ce sens.

Les enfants de la rue à Abidjan, Léa Salmon-Marchat, L’Harmattan, 249 pages.

Fanny Pigeaud


Repenser l’histoire de l’Afrique

(MFI) En 2001, une table-ronde organisé par l’université de Paris 7 et le Centre national de recherches scientifiques (CNRS) a réuni des historiens africains et français afin d’examiner les évolutions et les orientations du « savoir historique » de l’Afrique subsaharienne. Ce sont les contributions communiquées à cette rencontre qui sont rassemblées dans cet ouvrage. L’ensemble est riche, s’intéressant à la place de l’histoire de l’Afrique dans les universités, aux liens entre l’identité, l’origine des chercheurs et la production historique, aux étapes qu’a connues la recherche en histoire, mais aussi à différents exemples de « parcours historiographiques ». Marc-Antoine Pérouse de Montclos retrace ainsi la relecture de l’histoire qui est faite aujourd’hui en Afrique du Sud : l’apartheid n’apparaît alors plus seul en cause pour expliquer le niveau de violence qui touche le pays. « La période précédant l’application d’un apartheid « pur et dur », à partir de 1848, confirme l’émergence de la figure du tsotsi, qui, avant de devenir un criminel endurci, désigne initialement un zazou un peu voyou, à l’image, plus tard, du dandy ivy ou cat de Soweto », note le chercheur. La nécessité de revoir l’histoire coloniale sous de nouveaux angles, de penser une « histoire qui entrelace ex-métropoles et ex-colonies et qui en étudie les interactions » apparaît aussi dans les débats : la colonisation n’a pas seulement eu un impact sur l’histoire des Etats africains, mais elle a aussi « forgé de manière tangible des façons de faire et de penser en métropole », souligne Odile Goerg.

Ecrire l’histoire de l’Afrique autrement ?, Séverine Awenengo, Pascale Barthélémy, Charles Tshimanga, L’Harmattan, 280 pages.

F. P.


Combats de travailleurs

(MFI) D’un côté, des travailleurs africains aux conditions de vie très précaires. De l’autre, des institutions financières internationales et des multinationales omnipotentes : le monde du travail a-t-il jamais connu combat plus inégal ? Pour autant, les syndicats ne doivent pas baisser les bras. Une des solutions pour rester mobilisé : prendre la mesure de ce qui a été réalisé dans le passé, comme le propose ce petit ouvrage. « En redécouvrant la vitalité, le dynamisme et les valeurs du syndicalisme dans le passé », il sera possible de trouver « le ferment d’un avenir meilleur », estiment en effet ses auteurs, qui passent en revue les hauts faits du mouvement syndical africain, sans oublier ses errances (sa récupération par les pouvoirs politiques au lendemain des Indépendances). Du dynamisme, il en a ainsi fallu aux 20 000 cheminots de l’Afrique occidentale française qui ont, entre 1947 et 1948, mené une grève de plusieurs mois avant d’obtenir gain de cause. Tout comme il en a fallu aux centrales syndicales actives dans les mouvements de libération qui ont abouti aux Indépendances. Le témoignage de quelques personnalités, présenté sous forme d’interviews, enrichit cette histoire du syndicalisme africain. Dommage, cependant, que les combats syndicaux des années 1990, comme celui, très dur, contre la privatisation de l’électricité, au Sénégal, ne figurent pas dans ce petit tour d’horizon. Un constat se dégage tout de même de l’ensemble : aujourd’hui, « seule une solidarité entre les syndicats européens, asiatiques, américains et latinos peut faire changer les choses ».

Histoire du syndicalisme en Afrique, Gérard Fonteneau (sous la direction de), Karthala, 172 pages.

F. P.


Amérique en déroute

(MFI) Longtemps journaliste indépendant, ancien du New York Times, actuellement grand reporter au New Yorker, Seymour Hersh s’est assigné pour mission la recherche de la vérité. Grand pourfendeur des mensonges d’Etat depuis la guerre du Vietnam, cet enfant d’émigrés amoureux de l’Amérique, sa terre d’adoption, entend dénoncer ceux qui détruisent le mythe fondateur d’un pays autrefois « bastion de moralité et d’intégrité ». L’auteur, qui a aussi épinglé le clan Kennedy et les services secrets, se penche dans Dommages collatéraux sur les pratiques de l’équipe Bush depuis le 11 septembre 2001 et dénonce les nombreux manquements à l’éthique dont se sont rendus coupables les hommes du président. De Guantanamo, zone de non-droit par excellence, à la prison d’Abou Ghraib, où les soldats américains se sont livrés à des sévices et des tortures sur les prisonniers irakiens, Seymour Hersh s’acharne à démonter la permanence du mensonge. Non seulement les autorités savaient, mais elles ont encouragé des pratiques indignes d’une démocratie. Plus grave, les hommes qui entourent le président, au nombre desquels Richard Perle et Donald Rumsfeld, s’acharneraient à orienter les intérêts de l’Amérique en fonction des leurs. Côté défense, les visées de cette équipe de faucons et leur mépris des avis du Pentagone auraient abouti aux ratages observés en Irak et en Afghanistan.
Seymour Hersh, comme tout journaliste, n’est à l’abri ni d’une erreur ni d’une manipulation. Ses détracteurs critiquent l’anonymat de certaines de ses sources ou son manque de patriotisme mais à ce jour, aucun démenti des autorités américaines n’est venu entacher sa réputation professionnelle. Et ceux qui le traitent de menteur ont souvent démontré qu’ils étaient passés maîtres dans l’art de travestir la vérité.

Dommages collatéraux, Seymour Hersh, Denoël Impacts, 447 pages.

Geneviève Fidani


La porte et le balai

(MFI) « Il est du rôle de l’écrivain de pointer la dérive des siens et d’aider à leur ouvrir les yeux sur ce qui les aveugle. » C’est parce qu’il voit dans l’autocritique le plus sûr moyen de sortir le monde musulman de la crise où il s’enfonce que le Tunisien Abdelwahab Meddeb invite ses coreligionnaires à « balayer devant leur porte ». Traduire : à essayer de comprendre quel processus historique a produit les terroristes du 11 septembre - et les foules qui se sont réjouies des attentats de New York. D’où sa Maladie de l’islam, où il dresse avec brio la généalogie de l’intégrisme et explique pourquoi, plus qu’aucune autre, la religion musulmane est un terreau fertile pour ce fléau. Bien sûr, pas question d’évacuer les facteurs externes de la crispation islamique : rejet en bloc de l’islam par les Occidentaux, américanisation du monde, etc. Mais ce sont surtout les glissements progressifs qui ont donné naissance à l’idéologie intégriste qu’Abdelwahab Meddeb s’attache à décortiquer : depuis Ibn Hanbal au IXe siècle jusqu’aux djihadistes contemporains, en passant par l’expansion du wahhabisme et des frères musulmans. Avant d’inviter les musulmans à se dégager du réflexe communautaire, pour « déplacer le critère de la division entre vertu et malhonnêteté ». Faute de quoi, le monde entier pourrait finir par confondre l’islam avec sa maladie.

La Maladie de l’islam, Abdelwahab Meddeb, Seuil coll. Points Essais, 222 pages.

Malika Mabrouk


Sur les chemins de la Mecque

C’est à une double enquête que nous convie l’anthropologue marocain et professeur à Princeton (Etats-Unis) Abdallah Hammoudi, dans son dernier ouvrage Une saison à La Mecque. Enquête sur le pèlerinage que chaque musulman rêve d’accomplir avant sa mort et enquête sur lui-même, musulman atypique et caustique qui n’a jamais cessé de douter, de chercher, de mettre en question ses propres mythes autant que ceux des autres. « Mon voyage est une recherche à double sens : celle d’un salut et celle de la vérité », écrit-il. C’est avant tout la vérité de son moi d’exilé marocain en Amérique, clivé, divisé entre plusieurs identités concurrentes, que l’auteur recherche sur les lieux saints de l’islam. En nous entraînant dans cette quête des origines, il nous fait partager ses observations, ses joies, ses déceptions, sur un ton où l’humour et la dérision le disputent souvent au plus grand sérieux. On assiste ainsi au parcours du combattant que cet « enfant du Makhzen » doit suivre au Maroc avant de partir, puis au bonheur ressenti lorsqu’il parvient à communier avec les autres fidèles à Médine, sa « maison mythologique ». Mais c’est souvent sa colère qu’il laisse éclater, quand il observe la condition faite aux femmes ou la disparition totale des vieilles villes d’Arabie, rasées par un pouvoir wahhabite soucieux « d’effacer systématiquement le passé » pour mieux contrôler le présent. Un livre très personnel donc, mais aussi une réflexion enrichissante sur le sens du rite, du sacrifice et du sacré.

Une saison à la Mecque, Abdallah Hammoudi, Seuil, 315 pages.

M. M.


Un auteur à découvrir
Le livre de la Révélation

(MFI) Dans un roman monumental, Gamal Ghitany revient sur un événement douloureux de sa vie : le décès de son père alors qu’il se trouvait en voyage à l’étranger. Autorisé par une mystérieuse instance, le Divan, à interroger le destin et retenir le temps, l’auteur s’embarque pour un périple au terme duquel quelques-unes de ses questions trouveront leurs réponses.


De Gamal Ghitany, on connaissait le penchant pour des textes colorés et caustiques, voire drôles (Epître des destinées, La Mystérieuse Affaire de l’impasse Zaafarâni, Les Récits de l’Institution) faisant la part belle au petit peuple du Caire pour lequel il nourrit une tendresse profonde. Avec Le Livre des Illuminations, écrit entre 1980 et 1986, l’auteur laisse place à un écrivain d’envergure qui, emporté dans une longue introspection, conduira le lecteur sur les chemins tortueux de l’enfance, de l’adolescence et de l’âge d’homme du narrateur.
Désireux de renouer les fils du destin et de retrouver un père mort en son absence, le narrateur est amené par son « héleur » devant le Divan, véritable instance de supervision du monde terrestre, composée des membres de la famille du Prophète, de son père, d’une autre figure paternelle, celle de Gamal Abdel-Nasser et du grand savant mystique andalou Ibn Arabî. Ayant obtenu l’autorisation de voyager « dans les illuminations » et de voir « ce que l’éveillé ne voit pas », il se voit doté de pouvoirs magiques qui lui permettront, accompagné de ses mentors, de revivre certains épisodes de sa vie, d’assister à des scènes de la vie de son père, mais aussi de vivre une autre existence, celle d’un jeune émigré égyptien confronté aux rudesses de l’exil et à la nostalgie des cafés cairotes.
Surgissent alors en filigrane les grands événements qui ont façonné l’Egypte contemporaine. La figure de Nasser apparaît à plusieurs reprises. Lui succède celle de Sadate, homme de la réconciliation avec Israël et des bouleversements économiques, générateurs d’inégalités entre les hommes. Si Gamal Ghitany a tâté des geôles de Nasser, c’est pourtant à son successeur qu’il réserve ses charges les plus violentes. Fortement adossé à l’histoire contemporaine égyptienne, ce roman puise également ses sources dans la tradition arabo-musulmane dont l’auteur est fin connaisseur. Ghitany apparaît ici comme un homme plus religieux qu’on ne l’imaginait, respectueux des textes, familiers des sourates et faisant preuve de sa parfaite connaissance du Coran. Ces différents caractères donnent à l’œuvre une coloration particulière. Le lecteur se trouve face à un roman authentiquement arabe dont le style et la construction sont fortement imprégnés d’une tradition littéraire jusque-là mal connue en Occident. Il en résulte un ouvrage original et marquant, plus proche de l’autobiographie que du roman.
Ce livre a été terminé voici près de vingt ans. Sa construction originale, la qualité de son écriture et les innombrables subterfuges tiennent le lecteur en haleine jusqu’aux dernières pages. Gamal Ghitany, ancien dessinateur de tapis dans le souk du Khan el-Khalili, vient de peindre la plus belle des fresques. S’il fallait oser une comparaison, on évoquerait le Simorgh, ultime ouvrage de Mohammed Dib pour sa construction vagabonde. Mais le Livre des Illusions ne confirme pas seulement les talents de conteur de son auteur, il le hisse parmi les plus grands écrivains de langue arabe, aux côtés de Naguib Mahfouz, prix Nobel de littérature 1988.

Le Livre des Illuminations, par Gamal Ghitany, Seuil, 875 pages.

G. F.




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