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01/04/2005
Malaise dans la civilisation : la folie des anthropologues

(MFI) Des anthropologues occidentaux qui déclenchent à leur suite violences, maladies et convoitises destructrices dans les régions qu’ils étudient : on croirait le sujet d’une fiction trop simpliste. Il se pourrait toutefois que le scénario soit celui d’une histoire bien réelle, où les Occidentaux – et non pas des militaires, ou des missionnaires, mais des scientifiques – dans leur quête effrénée de nouveaux terrains ont ravagé une société, et perverti l’idéal même de la science.

La scène se passe en Amazonie, au milieu des années 60. Un anthropologue parcourt, aux confins du fleuve Orénoque, la forêt amazonienne à la rencontre de populations parmi les plus isolées au monde : les Indiens Yanomami. Le résultat de ses enquêtes, menées dans des conditions souvent périlleuses, est publié en 1968 dans un livre qui connaît aussitôt un grand succès : Yanomamo : The Fierce People (le peuple violent). Cet ouvrage, s’il décrit avec minutie l’un des derniers groupes aborigènes à ne pas avoir eu de contacts avec la civilisation, est surtout remarqué pour sa thèse centrale. L’anthropologue américain Napoleon Chagnon y affirme que de telles sociétés primitives comptent parmi les plus violentes et meurtrières qui soient, qu’elles sont structurées par la domination des mâles les plus vigoureux, dans une compétition implacable pour la possession des femmes. A partir de quoi il dégage un schéma d’évolution d’une société humaine dont les stratégies de survie et de reproduction sont dominées par la nécessaire amélioration de son capital génétique.
Napoleon Chagnon, figure séduisante de chercheur doublé d’un aventurier au fort tempérament, est devenu depuis lors un universitaire loué et respecté, qui a influencé nombre de jeunes anthropologues. Mais le personnage est ambigu, et il ne fait rien pour dénoncer l’exploitation de ses thèses sur les Yanomami par des intérêts politiques et économiques de toute nature, à commencer par les chercheurs d’or qui entretemps ont envahi la région. Et il est au centre de nombreuses controverses. La plus récente est issue du long travail d’enquête d’un journaliste et universitaire, Patrick Tierney, qui a publié en 2000 un livre-choc : Darkness in Eldorado, sous-titré de manière explicite : « comment anthropologues et journalistes ont ravagé l’Amazonie. » (1)


Violence primitive… ou violence de la rencontre ?

L’auteur y conteste, données à l’appui, la thèse de la violence primitive dont les Yanomami sont devenus les tristement célèbres archétypes, et il détaille les failles repérées dans les études de Chagnon, qui portaient sur une catégorie d’Indiens dont la situation était déjà très dégradée. Plus grave, il réunit suffisamment d’éléments pour faire apparaître que les violences décrites par l’anthropologue ont fort bien pu être une conséquence directe de sa présence. En distribuant cadeaux et ustensiles à des groupes humains extrêmement démunis, il aurait suscité des conflits spontanés pour leur possession. Et bien sûr la « découverte » des Yanomami entraîne, les années suivantes, un défilé de journalistes qui participent à leur tour à la déstructuration de leur société. L’accusation s’alourdit encore lorsque l’auteur s’interroge sur l’apparition d’épidémies meurtrières de rougeole dans le sillage de Chagnon et de ses missions ultérieures. Car si le contact avec des éléments étrangers, on le sait depuis la conquête espagnole, est ravageuse pour des populations non immunisées, un nouvel avatar de la rencontre entre Occidentaux et « primitifs » serait ici survenu : bien qu’ayant pris le soin de vacciner les populations visitées, mais en utilisant des vaccins peu adaptés, les équipes américaines auraient répandu le germe fatal…
On pourrait s’en tenir là. Mais les recherches de Patrick Tierney l’ont orienté vers d’autres horizons, tout aussi inquiétants. Il révèle qu’en parallèle à ses enquêtes ethnographiques, Napoleon Chagnon s’est livré à une grande opération de collecte de sang, dont les échantillons étaient destinés à des études génétiques, financées par la Commission américaine pour l’énergie atomique. Ceci sans une information correcte des populations, qui croyaient donner leur sang pour la recherche médicale.


Un parfum de darwinisme

L’auteur montre aussi que les thèses de Chagnon sur la violence des Yanomami étaient de nature à réjouir à l’époque les tenants du darwinisme le plus pur, pour lesquels l’évolution de l’humanité est gouvernée par la sélection des espèces, et par la domination des forts sur les faibles en vue de la victoire des organismes les mieux adaptés. Or l’anthropologue lui-même était très étroitement associé aux travaux d’un célèbre généticien américain, James Neel qui n’a jamais fait mystère de ses inclinations pour les vieilles thèses de l’eugénisme. James Neel que l’on retrouve aux côtés de Chagnon en Amazonie, notamment lors de l’épisode marqué par la propagation de la rougeole, ce qui soulève bien des questions sur la nature exacte de l’intérêt porté par le généticien américain aux populations amazoniennes.
On rappellera que les eugénistes (disciples de Francis Galton, le cousin de Darwin) sont favorables à la sélection des caractéristiques génétiques les plus favorables dans une population pour l’amélioration progressive de son « capital » génétique. L’eugénisme a trouvé une triste illustration (ou sa caricature) dans le nazisme, et très peu de chercheurs osent s’en réclamer aujourd’hui, mais des tendances eugénistes existent bel et bien dans la communauté scientifique, notamment américaine, ce qui est cohérent avec une société qui prône par dessus tout la réussite individuelle. Voilà en tout cas de quoi fournir de la matière à tous les adversaires de l’Amérique néoconservatrice d’aujourd’hui, dans son fantasme de promotion sur toute la planète des valeurs de la civilisation.
Le cocktail ainsi exposé est explosif, et le livre de Tierney continue de susciter d’âpres polémiques. Au Venezuela il a redonné de la vigueur et des arguments aux mouvements de protection des Indiens. Il renvoie aussi les scientifiques, spécialement les anthropologues, à deux interrogations majeures de leur discipline : peut-on avoir un regard objectif sur les Autres, lorsqu’on les étudie avec des préjugés culturels le plus souvent inconscients ? Et le seul contact entre un chercheur occidental et des populations dites « exotiques » ne modifie-t-il pas aussitôt la situation et le comportement de ces populations ? L’anthropologie en Afrique – un continent qui a le douteux privilège de compter parmi les terrains de chasse favoris de la science –, n’échappe évidemment pas à ces débats, qui ont déjà abouti à de sévères remises en cause.

Thierry Perret


(1) Au nom de la civilisation (titre en français), éditions Hachette Littérature, collection Pluriel, 31 rue de Fleurus, 75006 Paris.

Le pays dogon, terre bénie de l’anthropologie en Afrique

Le pays dogon, au Mali, est devenu un haut lieu de « tradition » et de culture africaine « authentique » ; cette réputation, associée à des sites spectaculaires comme les fameuses falaises de Bandiagara, a donné lieu ensuite à une exceptionnelle vogue touristique. A l’origine de ce phénomène, on trouve des ethnologues français, à commencer par le plus célèbre d’entre eux : Marcel Griaule, initiateur de la mission Dakar-Djibouti (1931-1933) et l’un des fondateurs de l’ethnologie en France, est revenu à maintes reprises en pays dogon pour développer ses recherches, qui ont produit un best seller de l’ethnologie (Dieu d’eau, publié en 1948), et ont fait de la société dogon la communauté la plus étudiée en Afrique.
Les travaux de Griaule et de ses disciples ont mis en lumière une culture dogon décrite comme exceptionnellement homogène, et riche d’aspects cosmologiques qui témoignaient d’une complexité étonnante : à l’époque, Griaule n’hésite pas à établir des comparaisons avec les grandes civilisations de l’Orient et de l’Antiquité. Ce fut un élément décisif du succès international rencontré par les Dogons, un peuple par ailleurs assez marginalisé dans son environnement. La seule difficulté est que la construction de l’univers dogon livrée par Marcel Griaule résiste fort peu à une contre-analyse poussée, et apparaît surtout comme une reconstruction intellectuelle, à partir d’informations apparemment peu recoupées, recueillies grâce à des interprètes, et sans prise en compte de l’histoire et de la situation réelles des Dogons. Ces derniers se sont montrés pour leur part très favorables à la version proposée par les scientifiques français, qui les valorisait et dont les retombées touristiques allaient être astucieusement exploitées. Le succès de l’identité… ethnographique des Dogons a enfin imprégné les représentations collectives, au point que des artistes maliens contemporains utilisent aujourd’hui les travaux des ethnologues pour leurs propres productions picturales…
Marcel Griaule jouit d’une telle notoriété en France que la remise en cause de ses travaux est généralement feutrée ; en revanche les chercheurs étrangers n’ont pas eu de ces pudeurs, et leurs constats semblent sans appel : Griaule aurait « rêvé » une société dogon que ses informateurs l’ont aidé à construire, de plus ou moins bonne foi. Mais la discussion reste dans les cercles spécialisés, et l’anthropologue Jean-Loup Amselle propose un point de vue qui a le mérite de couper court à toute discussion, lorsqu’il dit : « ces travaux ont eu, à l’époque coloniale, l’immense mérite de donner une dignité à des ensembles humains à qui était déniée la possibilité même d’avoir une culture… » Une autre anthropologue, Anne Doquet, insiste quant à elle sur les travers de cette institution d’une culture dogon : devant leurs visiteurs, les Dogons aujourd’hui ont à cœur de se montrer… dogons, quitte à entretenir une sorte de sous-culture folklorisée.

T. P.




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