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15/04/2005
Jean-Marie Téno : « Aujourd’hui, il n’y a plus aucune archive en Afrique »

(MFI) Présent au Fespaco, où son dernier film, Le Malentendu colonial, était en compétition officielle, le documentariste camerounais explique son rapport aux archives coloniales : comment il les lit, comment il les utilise dans ses films.

MFI : Quand avez-vous commencé à intégrer des images d’archives dans vos films ?
Jean-Marie Teno :
Dès mon premier film, Hommage, un court métrage de 13 minutes, où j’ai eu recours aux images de l’accession à l’indépendance du Cameroun, filmées par Cameroun Actualités. Hommage est un film hybride ; je ne sortais d’aucune école, avec une petite caméra 16 mm, je faisais les images, puis je prenais des sons avec un magnétophone nagra.

MFI : Quelle est l’histoire du film ?
J.-M. T. :
Quand mon père est mort, en 1980, j’étais en France, à la fac, sans un sou, et je n’ai pu assister à son enterrement, au Cameroun. Quatre ans plus tard, j’ai mis de côté un peu d’argent, et j’ai pu repartir au pays et organiser ses funérailles. Hommage raconte cette histoire, la mienne et celle de mon père. J’ai utilisé des images d’archives de l’indépendance pour donner des repères temporels. J’utilisais tous les supports visuels possibles, j’ai fait des trucages, des surimpressions. Si j’avais eu des images de synthèse, j’en aurais mis dans le film !

MFI : La masse des archives est considérable. Comment choisissez-vous ?
J.-M. T. :
Les questions que je me pose tout de suite sont : qui filme ? Dans quel contexte parle-t-il ? Quelle est sa légitimité ? Mon travail de documentariste fait que je suis en constante interrogation quant à ce que je vois. J’essaie de lire les images le plus objectivement possible, de voir comment elles font sens avec le discours qui les sous-tend, celui qui a formaté l’imaginaire des gens.

MFI : Afrique je te plumerai repose en large partie sur les archives coloniales, photos et actualités filmées. Ce sont souvent des images très dures…
J.-M. T. :
Je regarde les images et j’essaie de voir ce qu’elles me donnent comme émotion. Je ne suis pas un stakhanoviste des explications. Mais il ne faut pas trop catégoriser : toutes les images ne sont pas insupportables. Le rapport filmeur/filmé n’était pas toujours un rapport d’oppression. Les « filmeurs » n’étaient pas tous des suppôts du colonialisme. Les images, il faut les regarder pour ce qu’elles sont. Leni Riefenstahl a été un vecteur de la propagande nazie, et ses films sont d’une séduction incroyable. Quand elle filme la forêt, est-ce que ce sont encore des images nazies ? Les choses ne sont pas si simples…

MFI : Comment présenter les archives ?
J.-M. T. :
Ces films n’ont de sens que contextualisés. Il y a toujours une arrière-pensée. Pendant la colonisation, quand les cameramen montrent des Africains, c’est bien sûr pour justifier leur politique. Toutes ces images d’actualités qui montraient des enfants noirs dans une classe avec leur maître blanc [il imite une voix off] : « Oooh, regardez comme ces enfants aiment leur maître… » C’est tellement confortable de projeter son désir et son discours sur des gens qui n’ont pas voix au chapitre.

MFI : On a l’impression que, même lorsqu’elles circulent, les archives coloniales restent cantonnées au monde occidental…
J.-M. T. :
Il y a quelques années, durant le Fespaco, on a projeté des images d’archives dans les salles. Sans explication. Là c’est catastrophique, parce qu’on balance tous ces clichés, tous ces stéréotypes aux gens sans commentaire, sans rien. Dans les salles, le public africain riait, les gens riaient sans voir que c’est d’eux mêmes qu’ils se moquaient.

MFI : Si aujourd’hui, on vous demandait de présenter un cycle similaire ?
J.-M. T. :
Je reprendrai les archives depuis le début. Je raconterais cette histoire du point de vue des Africains. En montrant la version officielle et ce que les Africains subissaient. Je montrerais l’histoire de la construction du Congo-Océan et en contrepoint, un historien dirait : « Entre telle et telle date, tant de morts ». Il est nécessaire de proposer une relecture des images d’archives comme Marc Ferro l’a fait en faisant dialoguer les archives françaises de la guerre avec les archives allemandes.

MFI : Mais il y a déjà des chercheurs qui le font…
J.-M. T. :
Oui, mais ce sont toujours des Blancs. Un Français ne pourra jamais comprendre ce que les Africains ressentent. Comme moi : quand on me parle de sexisme, je peux le comprendre, mais en aucun cas éprouver ce que ressent une femme qui en est victime…

MFI : Comment expliquez-vous que les Africains s’intéressent si peu à ce travail ? Et d’une manière générale le désintérêt des Africains pour leurs images patrimoniales ?
J.-M. T. :
Parce que ce n’est pas assez valorisant. Aujourd’hui, il n’y a plus aucune archive en Afrique. Il faut aller les acheter chez Pathé : 3 000 euros la minute.

Propos recueillis par Elisabeth Lequeret
à Ouagadougou le 5 mars 2005.





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