L'essentiel d'un livre
Au sortir de l'enfance
(MFI) Dans ce troisième volet de son triptyque consacré à son enfance créole, le Martiniquais Patrick Chamoiseau raconte sa découverte de l’univers féminin et la fin de l’innocence.
Si l’on sait quand commence l’enfance, sait-on quand précisément elle s’achève ? Où se situe la frontière entre l’enfance et l’âge d’homme ? Y a-t-il un repère ? Pour l’écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau qui vient de publier A bout d’enfance, le troisième volet de son récit autobiographique mettant en lumière ses années de formation, ce repère, ce serait la mort de la mère. L’écrivain s’en est convaincu lorsqu’il a perdu récemment lui-même sa mère et a recueilli dans les interrogations et les souvenirs suscités par cet événement douloureux la substance de son nouveau livre. « Il y a cinq ans, ma mère est morte. Un abîme s’ouvrait sous mes pas. C’était la véritable fin de l’enfance. J’ai voulu mieux comprendre ce qui se jouait là. Alors, mon livre a commencé à germer. »
Un livre construit autour de la quête de l’auto-accomplissement. Après avoir exploré dans les deux premiers volumes de son autobiographie (Antan-d’enfance, paru en 1990, et Chemin-d’école, paru en 1994), les moments privilégiés de cette période d’« imprégnation fondamentale » qu’est l’enfance, Chamoiseau tente de rendre compte cette fois de la fin progressive mais inexorable de l’innocence à travers les drames et les révoltes de l’adolescence. Le dernier-né des cinq enfants d’une famille modeste de Fort-de-France, le « négrillon » – terme par lequel l’auteur-narrateur désigne et distancie le jeune garçon qu’il fut – suffoque dans le milieu familial accablé d’interdits et se tourne vers le monde extérieur pour y puiser les armes de son émancipation. Cette émancipation se fait par étapes : séparation d’avec la mère devenue moins pénible (« il ne suffoquait plus en la voyant s’éloigner »), prise de conscience de son ti-bout, cette partie de son anatomie qui ne cesse de l’intriguer et de l’inquiéter (« le ti-bout parfois se signalait à lui de façon incompréhensible, pas désagréable... ») et découverte des filles par les persiennes de son école... ces créatures étranges qui « ressemblent à des êtres-humains, sauf qu’elles portent des nattes, des papillons et des nœuds papillons assortis aux robes à fleurs et à dentelles... ». La découverte des filles, de leur différence, de leurs mystères est la grande affaire de ce récit de sortie de l’enfance. Celles-ci bouleversent la vision du monde du négrillon, ses hiérarchies sociales et fantasmagoriques et s’imposent à lui sous les traits de la belle voisine mystérieuse et inaccessible qui hantent désormais ses jours et ses nuits. Elles lui inspirent la poésie, la mélancolie et surtout cette conscience obscure que sa quête de la complétude et d’achèvement devra désormais passer par elles. C’est le début de la fin : adieu, innocence !
Composé dans le style à la fois elliptique et poétique auquel l’auteur de Texaco (1992) et d’Eloge de la créolité (1989) nous a habitués, partageant habilement la parole entre la voix du négrillon d’antan, riche de questionnements, et celle du narrateur d’aujourd’hui empêtré dans sa quête de soi, A bout d’enfance clôt une autobiographie littéraire émouvante et réussie. Réussie, car elle nous aide à remonter aux sources palpitantes (« carrefour » dirait Kundera) d’une des oeuvres littéraires les plus originales et significatives de notre temps.
A bout d’enfance, Patrick Chamoiseau, Gallimard, collection « Haute enfance », 286 pages.
Tirthankar Chanda
Retour à Ti-Brava
(MFI) Le Togolais Kangni Alem est venu à la littérature par le théâtre. Son œuvre, riche de trois pièces et de nombreuses adaptations et mises en scène, interroge les heurs et malheurs du monde sur un mode poétique et halluciné, puisant son inspiration chez Brecht et Beckett. Exilé en France depuis le début des années 1990, l’auteur, qui a milité contre le régime dictatorial de Gnassingbe Eyadéma, s’est tourné progressivement vers la fiction où le chaos africain est mis à l’épreuve d’une plume acerbe et parodique. Après un recueil de nouvelles, La gazelle s’agenouille pour pleurer, Kangni Alem a publié en 2002 son premier roman, Cola-Cola Jazz, qui raconte l’histoire de la jeune Parisienne métisse Héloïse débarquant à Ti-Brava en Afrique à la recherche de son père. Canailles et charlatans s’inscrit dans le prolongement de ce premier roman. On retrouve Héloïse et sa bande de copains, tous aussi désorientés les uns que les autres. Le roman s’ouvre sur le suicide de la mère de la protagoniste. A Héloïse incombe la tâche d’aller disséminer les cendres de la défunte à Ti-Brava. Commence alors une série de nouvelles aventures qui vont déboucher sur la réconciliation entre Héloïse et son père sans que le mystère des origines de la belle métisse soit complètement éclairci. Bref, c’est un roman initiatique doublé d’un polar psy teinté d’allégorie bouffonne. Mais aussi un roman profondément moderne qui s’ouvre sur un labyrinthe de récits.
Canailles et charlatans, Kangni Alem, Editions Dapper, 170 pages.
T. C.
Deux jeunes esclaves dans l’océan Indien
(MFI) Tout semble bienheureux sous le soleil de cette matinée de fête de 1842, lorsqu’une horde de « Malgaches ennemis, ceux de la septième colline, le clan des destructeurs » surgit dans le village, extermine nombre de ses habitants et fait une razzia sur ceux qui restent... C’est ainsi que deux jeunes enfants, Sahy et Nora, vont connaître la tragique destinée de la traite et de l’esclavage vers l’île de La Réunion où ils seront vendus puis employés dans une riche propriété. Sahy sera « esclave de pioche » et contraint aux travaux des champs tandis que Nora sera employée aux cuisines dans la « magnifique maison de la grande dame blanche ». Une destinée qui ne prendra fin qu’avec l’abolition obtenue en 1848 après des années de rébellion et de marronnage. De toute évidence, la Réunionnaise Monique Agenor veut faire de son nouveau roman, Les Enfants de la neuvième colline (Syros jeunesse), un outil pédagogique pour raconter la Traite au quotidien, dénoncer les culpabilités mais aussi les complicités locales qui l’ont rendu possible et conclure par un hymne à la liberté et un hommage à ceux qui ont lutté et payé de leur vie la fin du cauchemar. L’occasion de tourner le regard vers cette région du monde qui ne fut pas épargnée par ce drame et demeure pourtant souvent oubliée dans les traces de l’histoire.
Les Enfants de la neuvième colline, Monique Agénor, Syros jeunesse, 140 pages.
Bernard Magnier
Zahia Rahmani traque la douleur au cœur des mots
(MFI) Avec Mose, son premier roman (publié en 2003), Zahia Rahmani restituait le destin tragique d’un père harki mais aussi la détresse de sa fille emportée par un mal dont on ne guérit pas. Avec Musulman roman, son second titre, elle poursuit sa quête et traque dans le cœur même des mots les douleurs d’un itinéraire, d’une destinée, presque d’une prédestination. Zahia Rahmani dissèque la force des mots et en l’occurrence celle du mot « musulman » qu’elle associe au mot « roman » pour en faire le titre de son livre. Elle analyse comment d’un mot peut surgir un univers qui prend au piège de ses mailles et enserre l’individu dans une collectivité et ses représentations les plus oppressantes et les plus convenues. Comment un mot peut sous-tendre le diffus, le confus et la confusion. Comment un mot devient une étiquette apposée sur un individu et qui désormais conditionnera le regard de l’autre. L’enfant qui renonce à sa langue kabyle, celle qui se dit volontiers « l’impure » et la femme prisonnière devant ses geôliers ne font qu’un. Elle, qui ne voudrait refuser aucune part d’elle-même, doit faire face à tous les rejets, et se voit offrir cette effrayante alternative : « Ou tu es des nôtres ou tu meurs ». Dès lors, une seule réponse est possible : « Je meurs. Je n’ai pas le choix » !
Musulman roman, Zahia Rahmani, Ed. Sabine Wespieser, 160 pages.
B. M.
Mémoires à deux voix
(MFI) Pour raconter les années de prison, la séparation et les persécutions quotidiennes infligées aux prisonniers politiques et à leur famille, Abraham Serfaty et Christine Daure avaient choisi d’écrire à quatre mains La mémoire de l’autre. Jocelyne Laâbi et son mari Abdellatif ont préféré publier deux ouvrages distincts. Leur dialogue n’en a pas moins de force. Avec La liqueur d’aloès, Jocelyne Laâbi livre le récit de son enfance marocaine et de sa vie d’épouse et de mère. Arrivée au Maroc à l’âge de sept ans, la jeune femme rencontre le poète Abdellatif Laâbi à la fin des années 1960, l’épouse et lui donne trois enfants. Après son incarcération en 1972, il lui faudra à la fois la fois veiller sur sa famille et sur le quotidien du prisonnier et de ses compagnons. Ce livre, d’une grande sobriété, raconte le cheminement d’une femme digne et courageuse confrontée à l’arbitraire du Maroc d’Hassan II. De l’autre côté des murs, Abdellatif Laâbi résiste aussi. Le poète, coupé du monde, trouve dans la fraternité des écrivains et de leurs textes la force de résister à la douleur quotidienne. Il sait aussi, par les lettres régulièrement envoyées à sa famille, maintenir le lien et insuffler la force dont ont besoin ceux qui l’attendent à l’extérieur. Chroniques de la citadelle d’exil est le recueil de ces correspondances. En 1980, Abdellatif Laâbi sortira de prison et retrouvera les siens. Le couple, sorti victorieux de l’épreuve, s’est installé en France en 1985.
La liqueur d’aloès, Jocelyne Laâbi, La Différence, 254 pages.
Chroniques de la citadelle d’exil, Abdellatif Laâbi, La Différence, 319 pages.
Geneviève Fidani
Du Maroc et de ses poètes
(MFI) Jamais une anthologie n’avait été jusqu’ici consacrée à la poésie du Maghreb. Abdellatif Laâbi vient combler ce manque en consacrant un ouvrage aux poètes marocains. Qui mieux que lui pouvait parler de ses frères en écriture ? Qui pouvait rassembler des textes, les choisir, les traduire et tenter de reconstituer le cheminement des poètes de l’indépendance à nos jours ? Le défi était de taille, Laâbi le relève avec éclat. Le lecteur ne pourra que déplorer avec lui que l’on ait fait si peu de cas des textes poétiques des siècles passés, au point qu’il est difficile de trouver des recueils antérieurs au XXe siècle. Comme si les poètes eux-mêmes n’avaient pas accordé à leur œuvre la place qui lui revenait et ne s’étaient pas donné la peine de compiler leurs textes. Paradoxalement, c’est la colonisation et le choc culturel qui en découle qui vont libérer les énergies créatrices et, jusqu’en 1930, donner naissance à une première poésie de combat. A partir de cette date et jusqu’à l’indépendance, les poètes marocains gravitent autour du mouvement nationaliste et se nourrissent du thème de la répression. Après 1956, les poètes se confondent avec l’élite intellectuelle du pays et se donnent pour mission la libération des individus et la modernisation du Maroc. Une démarche qui ne va pas sans heurts avec le pouvoir. Abdellatif Laâbi, fondateur de la revue Souffles, créée en 1966 et interdite en 1972, en fera lui-même les frais. Ce mouvement des poètes, resté inconnu du grand public, nous est restitué par la présente anthologie. Que l’auteur en soit remercié !
La Poésie marocaine de l’indépendance à nos jours, Abdellatif Laâbi, La Différence, 270 pages.
G. F.
Andersen, conteur et philosophe
(MFI) Pour célébrer le bicentenaire de la naissance d’Andersen, l’excellente collection Bouquins publie pour un prix relativement modique (25 euros) ses œuvres complètes : plus de 1 600 pages, où le lecteur pourra se rendre compte de l’ampleur et de la diversité de l’œuvre du Danois le plus connu du monde. D’Andersen, vous connaissez peut-être Le vilain petit canard, La petite fille aux allumettes et La petite sirène. Mais avez-vous lu L’ombre, histoire de la cohabitation d’un savant et de son double négatif ? Cohabitation pacifique, puis houleuse, et qui se terminera par la mort du premier, éliminé purement et simplement par le second. Dans ces contes bat le cœur de Copenhague, la ville « la plus enfantinement gaie du monde », mais une lecture plus précise prouve que leur portée dépasse de loin leur but revendiqué (l’émerveillement des marmots) pour toucher au plus profond de l’âme humaine.
Andersen, Contes et histoires, Le livre de Poche, coll. Bouquins, 1 630 pages.
Elisabeth Lequeret
Derrière les récits, au Rwanda
(MFI) Le génocide qui a eu lieu au Rwanda, en 1994, est entouré de récits. Il y a d’abord ceux qui ont été produits avant : œuvres d’explorateurs et de colonisateurs de tous poils, ces derniers ayant notamment contribué à forger la « fable du Hamite », devenue l’un des ressorts de la folie meurtrière. Viennent ensuite les récits de « l’après », qui tentent de raconter ce qui s’est passé en 1994. Après avoir décrit les premiers, c’est surtout aux seconds que Catherine Coquio s’intéresse dans cet ouvrage, cherchant à analyser leur forme (témoignages ou littérature), leur signification et la réception que peut en faire le lecteur. Elle s’interroge notamment sur la place du tiers, qui, comme le Français Jean Hatzfeld avec Dans le nu de la vie, récit des marais rwandais, transmet la parole de rescapés ou comme le Sénégalais Boubacar Boris Diop, avec son roman Murambi, le livre des ossements, joue le rôle du « témoin d’à côté ». Cette intervention extérieure pose trois questions : « celle d’une reconduite éventuelle de postures coloniales dans le processus mémoriel, lorsque l’intervention est européenne ; celle d’une projection ou appropriation abusive lorsqu’elle est africaine ; celle d’une déréalisation de l’événement allant de pair avec l’esthétisation de son écriture, que le tiers soit Européen ou Africain ». La démarche et les questions que soulèvent Catherine Coquio sont à prendre en compte : elles peuvent en effet contribuer à éviter que de nouveaux récits impriment leur marque au réel, comme l’ont malheureusement fait ceux qui ont conduit au génocide.
Rwanda, le réel et les récits, Catherine Coquio, Belin, 217 pages.
Fanny Pigeaud
Musique, politique et religion en Jamaïque
(MFI) Bruno Blum connaît bien la Jamaïque et ses musiques : ce touche-à-tout, tour à tour journaliste, musicien, animateur de radio et auteur d’ouvrages musicaux, a eu notamment l’occasion de produire des enregistrements de Bob Marley. Peu étonnant alors que son histoire de la musique jamaïcaine contemporaine soit plutôt bien documentée, abordant aussi bien le parcours des grands noms du reggae ou du ragga que le contexte politique, économique et social de leurs productions ou le contenu de ces dernières. La culture rasta, un temps en perte de vitesse, est évidemment de la partie. Bruno Blum décrit son retour en force sur l’île au milieu des années 1990 : « La lassitude des thèmes populistes fait place à une demande de sens de la nouvelle génération, qui cherche des réponses un peu moins stupides que les bagouzes en toc, les survêtements de marque hors de prix, les 4x4 japonais, la course au crack ou les rails de coke colombienne », explique-t-il, sans oublier de souligner les graves attaques (parfois proches de l’appel au meurtre) portées contre les homosexuels par ce mouvement qui prône pourtant la justice sociale. « Tout le monde pleure pour que vienne la paix/Mais personne ne pleure pour que vienne la justice/Je ne veux pas la paix/Je veux des droits égaux et la justice », chantait ainsi Peter Tosh, en 1977. Projet difficile à réaliser, quand on sait qu’avec les subventions et détaxes américaines pour l’agriculture, 95% des denrées de base de la Jamaïque sont aujourd’hui importées. « Leur prix de gros est inférieur de moitié à celui pratiqué par les producteurs de l’île », note Bruno Blum. Le ton ludique de son ouvrage ne l’empêche pas, ainsi, d’aborder les grands enjeux de la société jamaïcaine.
Le Ragga, Bruno Blum, Hors Collection, 158 pages.
F. P.
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Al Qaida
(MFI) Al-Qaida n’existe pas, je l’ai rencontrée : c’est ce credo que Jason Burke ne cesse d’entonner dans son époustouflante enquête sur l’insaisissable nébuleuse terroriste. Pour le journaliste anglais, grand reporter au magazine The Observer, il a existé quelque chose d’assez proche de l’idée qu’on se fait d’Al-Qaida seulement entre 1996 et 2001. « Sa base était l’Afghanistan et j’avais assisté à la phase finale de son élimination », précise ce fanatique des voyages, qui a sillonné l’ancien fief des talibans, le Pakistan et l’Irak pendant des années, rencontrant leaders et petites mains de la terreur islamique. Mais aujourd’hui que le réseau a été largement démantelé, Al-Qaida est avant tout une « idée », le symbole d’une contre-culture pour des millions de musulmans frustrés, enragés par l’injustice et l’impuissance. « Les militants croient mener une bataille de la dernière chance pour la survie de leur société », explique le Britannique. A travers de nombreux portraits, rappels historiques et récits de ses tribulations dans l’œil du cyclone djihadiste et dans les banlieues occidentales de l’islam, il nous aide à comprendre ce qui aspire ces hommes vers la mort, qui les soutient dans leurs entreprises et pourquoi. Protéiforme et fragmenté, le mouvement est plus puissant et dangereux que jamais, assène Burke. D’autant qu’en privilégiant l’arme militaire, les Occidentaux consolident la vision des terroristes, les aidant « à radicaliser et à mobiliser ».
Al-Qaida, La véritable histoire de l’islam radical, Jason Burke, La Découverte, 313 pages.
Malika Mabrouk
Petit précis de physique amusante
(MFI) Savez-vous que c’est moins la masse – pourtant énorme – du soleil qui est à l’origine des marées que celle de la Lune ? Qu’un parachutiste en chute libre ne dépend pas des lois de la gravitation (ce qui ne l’empêche pas de se rapprocher du sol à la vitesse impressionnante de cinq mètres par seconde !) ? Et qui était le chat de Schrödinger ? Tous ceux que fascinent les lois de la physique trouveront dans cet ouvrage imposant chaussure à leur pied… et réponse(s) à leurs questions. Rédigé par un professeur de physique et une journaliste scientifique, La physique mot à mot est un peu plus ardu qu’un livre de vulgarisation, mais son style clair et concis devrait le rendre accessible au plus grand nombre. De A comme Accélérateur de particules à Z comme Effet Zeeman (une expérience datant de la préhistoire de la physique atomique).
La physique mot à mot, Bernard Diu et Bénédicte Leclercq, Odile Jacob, 721 pages.
E. L.
Complètement TOC
(MFI) Vous vous lavez les mains trente fois par jour ? Vous ne pouvez-sortir de chez vous sans vérifier (dix fois plutôt qu’une) que le robinet de gaz est bien fermé, la lumière éteinte, la porte verrouillée ? Une table en désordre, un tableau mal accroché vous mettent dans des états d’angoisse sans équivalent ? Tout porte à croire que vous êtes atteint de TOC (« troubles obsessionnels compulsifs »), cette maladie a priori bénigne, mais qui, dans ses formes graves, peut envahir la vie mentale, infiltrer toutes les activités, faire disparaître liberté et plaisir. Psychiatre, Jean Cottraux consacre tout un ouvrage aux divers visages qu’elle peut revêtir, à ses causes et aux traitements envisageables. D’une lecture facile, Les ennemis intérieurs est à recommander à tous ceux qui souffrent de TOC, ainsi qu’à leur entourage.
Les ennemis intérieurs, obsessions et compulsions, Jean Cottraux, Odile Jacob, 265 pages.
E. L.
Eh bien dansez, maintenant !
(MFI) Des déhanchements de Salomé aux rave parties, la danse a toujours été le lieu du défoulement et de la séduction, mais, aussi, celui où se déplacent les limites du corps : « Que peut faire un corps avec lui-même quand lui-même n’est plus pour lui un lieu stable ? » notait Nietzsche. Dans Le corps et sa danse, Daniel Sibony invoque largement l’auteur du Gai savoir, mais aussi Baudelaire et Mallarmé. La danse est la retranscription de la musique par ce qui nous est le plus personnel, le corps, « lieu où se rappellent les traumas, les chocs physiques qui furent vécus, puis classés invivables ». C’est à ce titre qu’elle intéresse ce psychanalyste érudit, qui relève avec pertinence que la transe vient du mot transir (« aller au-delà »). D’où l’expression « transir de froid », mais aussi « transiter » (autrement dit, « passer par »). De fait, toutes les danses relèvent de cette dimension d’auto-hypnose du corps. Ce petit livre touffu – parfois confus – a le mérite de tracer quelques pistes de réflexion dans un champ jusqu’ici plutôt ignoré des philosophes et des psychanalystes.
Le corps et sa danse, Daniel Sibony, Points Essais, 415 pages.
E. L.
Un auteur à découvrir
Calixthe Beyala, le tournant
(MFI) Calixthe Beyala s’était fait connaître en racontant les heurs et malheurs des femmes africaines. Son nouveau roman, La Plantation, puise son matériau dans des turbulences plus politiques. Il révèle la capacité de la romancière à se renouveler.
Auteur d’une quinzaine de titres, dont de nombreux romans à succès tels que Le petit Prince de Belleville (Albin Michel, 1992), Assèze l’Africaine (Albin Michel, 1994) ou Les Honneurs perdus (Albin Michel, 1996), mais aussi des essais dénonçant la condition de la femme noire, la franco-camerounaise Calixthe Beyala est incontestablement l’un des écrivains majeurs de la francophonie. En France, ses livres sont commercialisés par les librairies spécialisées, mais aussi dans les supermarchés, signe de sa grande popularité.
Depuis son premier roman, C’est le soleil qui m’a brûlée, paru en 1987 aux éditions Stock, l’univers romanesque de Calixthe Beyala s’est constitué autour de la pensée du devenir de la femme noire. Ses protagonistes sont souvent des jeunes femmes issues des bas-fonds d’une société profondément marquée par la colonisation mais aussi par ses traditions patriarcales. Elles sont méprisées, humiliées, dégradées, réduites à leur sexe, à n’être que des objets d’échange. Prisonnières d’un monde phallocratique dans lequel le corps féminin est privé de son humanité, elles finissent dans des bordels, à vendre leurs charmes au plus offrant. Mais pour victimes qu’elles soient, les héroïnes de Beyala ne sont pas des êtres passifs. Elles tentent obscurément de transformer leur faiblesse en force afin de s’ériger en sujets de leur propre histoire. Elles n’y parviennent pas toujours, mais tracent immanquablement la voie d’une possible libération.
Avec le nouveau roman de Calixthe Beyala, La Plantation, on change complètement de registre et d’univers. C’est sans doute pour démentir la critique qu’on lui a parfois faite d’écrire depuis vingt ans le même livre que la romancière a décidé de raconter cette fois une histoire plus politique. Dans un entretien consacré à la genèse de ce nouveau roman, Beyala a expliqué que c’est après sa rencontre avec une journaliste d’Afrique du Sud, blanche mais profondément africaine, que l’idée lui est venue d’écrire « une saga sur la fabuleuse histoire des peuples blancs du Zimbabwe, (sur) les expropriations, les maltraitances et les humiliations qui ont suivi ». L’intrigue de La Plantation se déroule en effet dans le Zimbabwe contemporain où des familles blanches à la tête des vastes propriétés agricoles sont menacées d’expropriation par un chef d’Etat jamais nommé, mais ironiquement qualifié de « Président-élu-démocratiquement-à-vie ». Celui-ci se targue de vouloir restituer à son peuple les terres occupées par les colons.
Beyala met en scène des familles blanches préoccupées par la tournure que prennent les événements, s’interrogeant sur la légitimité de leur présence en Afrique. C’est la famille Cornu, qui est au cœur du drame zimbabwéen, que la romancière décrit sans aucun manichéisme et avec une justesse d’analyse étonnante. A travers les dilemmes et les amours contrariées des filles Cornu, Fanny et Blues, elle réussit à suggérer la complexité de la situation zimbabwéenne, devenue espace d’affrontement de deux légitimités. Celle des fermiers blancs qui ont bâti leur prospérité à force de travail, qui sont imprégnés de la culture du pays, qui n’ont connu d’autre terre qu’africaine. Et bien sûr celle des Noirs, plongés pour leur grande majorité dans la misère et dans la servitude, exploités par les Blancs mais aussi par leurs nouveaux maîtres noirs dont l’objectif réel est de chasser les Blancs pour s’approprier leurs privilèges et leurs terres. Saga familiale et historique, La Plantation est une réécriture d’Autant en emporte le vent, transposée en Afrique australe. A travers cette fresque épique et parodique, Beyala célèbre le peuple africain, indépendamment de la couleur de sa peau.
La Plantation, par Calixthe Beyala. Albin Michel, 464 pages, 21,50 euros.
T. C.
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