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29/04/2005
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Portugal : Comment le français résiste…
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(MFI) Hier langue chic, aujourd’hui perçue comme démodée, le français au Portugal doit s’adapter à un contexte en rapide changement. Des bastions, cependant, résistent plutôt bien et montrent une capacité d’innovation.
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De « en passant » à « soi-disant », de « mon ami » à « tout court », les expressions françaises abondent dans les pages des journaux de référence portugais. Le discours direct est souvent truffé de ces petits mots prononcés avec délice, car ils marquent l’appartenance à l’élite intellectuelle. Lorsqu’il paraît en couverture d’un magazine d’information réputé, un chef de gouvernement le fait lisant Le Monde, gage de crédibilité… Le Monde diplomatique, lui, existe en portugais, tandis que Courrier International se lance au Portugal. Du côté des manifestations publiques, les commémorations de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir, de Jules Verne et de Georges Sand, mobilisent les foules pour des débats enflammés et des rendez-vous comme la Fête du cinéma et la Fête de la musique sont devenus incontournables.
On constate aussi qu’à la rentrée 2004, le lycée français de Lisbonne a enregistré 200 inscriptions supplémentaires d’élèves. Mais tous ces indices positifs ont leur contrepartie : on déplore alors la disparition de chaînes françaises sur le réseau câblé, la diminution des films français, la rareté des concerts d’interprètes contemporains, ou la baisse du nombre d’étudiants en français dans le supérieur. Car bien sûr le Portugal n’échappe pas à l’engouement pour l’anglais « utilitaire » au détriment d’un français autrefois dominant.
Du français roi au français « ringard »
Au XIX siècle la bourgeoisie portugaise choisit d’adopter les us et coutumes de la noblesse, et donc apprend le français, signe d’élégance et de raffinement. La tradition perdure, et à partir de 1947, alors que l’enseignement se démocratise, le français est étudié durant 7 ans au collège, et l’anglais trois ans. Vingt ans après, une première réforme accorde un statut d’égalité aux deux langues. En 1989, il n’y a plus de langue obligatoire, et les élèves ont le choix entre quatre langues : le français, l’anglais, l’allemand et l’espagnol. L’anglais est aujourd’hui la langue étrangère la plus enseignée, avec 89,8 % des élèves. Le français arrive en seconde position, avec 54,4 %, caractéristique partagée dans l’Union par l’Espagne et l’Italie (1)
« Un pays dont la langue nationale n’est pas une langue véhiculaire de première importance dans les relations mondiales a tendance à établir comme priorité, dans l’apprentissage des langues à l’école, le choix de langue de communication internationale, même si cette notion reste assez floue dans ses objectifs » constatent Isabelle Bareno et Catherine Clément dans un article paru dans la Revue internationale d’éducation (2). Le Portugal ne déroge pas à la règle. En revanche, la résistance du français face à l’anglais s’explique par la présence encore forte de la culture française. De plus, conscient de ses retards face à l’ensemble des politiques éducatives en matière de langue mises en place en Europe, le Portugal a rétabli l’obligation de choisir une seconde langue dès l’équivalent de la CM2 et jusqu’à la 3ème. « Nous constatons que 100 000 élèves supplémentaires ont opté pour le français comme seconde langue depuis le décret loi de 2001 » explique Claire Garand, attachée de coopération pour le français auprès de l’ambassade de France à Lisbonne. « Même l’abandon d’une des deux langues au lycée n’est pas si négatif pour le français » ajoute cette spécialiste. Dans le cas des lycéens qui ne conservent qu’une des deux langues apprises, alors l’anglais prédomine (166 000 élèves contre 33 250 en français). Or ils peuvent choisir aussi une 3ème langue, et ils sont alors 44 000 à opter pour le français contre 18 000 pour l’anglais.
Le choix de la diversité
Au Portugal, ce sont les universités qui forment les professeurs. Mais on en a formé beaucoup trop, alors que les enseignants doivent eux-mêmes trouver leur établissement. Des 30 000 diplômés de l’université qui veulent enseigner, 8 000 sont des professeurs de langue (portugais plus une langue), et la moitié des enseignants de portugais-français. Une situation qui résulte de la chute démographique, du manque d’intérêt des étudiants pour les sciences humaines et de la perte d’aura du français. « Désormais c’est l’anglais qui s’enseigne durant la quasi totalité de la scolarité. Le français et les profs de français se sentent un peu abandonnés » reconnaît Zelia Sampaio, présidente de l’Association Portugaise des Professeurs de Français, l’APPF. « En très peu de temps le Portugal a intériorisé la notion de langue utilitaire, accordée désormais en priorité à l’anglais » précise l’enseignante.
Dans la réalité, il y a presque rupture générationnelle : si l’anglais est incontournable, le français est désormais perçu comme une langue difficile et démodée. Et le Portugal n’a pas les moyens d’offrir un choix équitable entre les 4 langues étrangères enseignées « On va apprendre le français parce qu’on n’a pas eu le choix. Les parents ont peur que cela marginalise leurs enfants. C’est absurde ! » s’insurge Zelia Sampaio.
L’option retenue par le Portugal de donner un caractère obligatoire à deux langues pendant la scolarité est donc conforme aux objectifs fixés par l’Union Européenne (3). « Nous souhaitons que cela puisse être possible partout. Et que l’enseignement des langues, qui commence à 10 ans au Portugal, débute à 8 ou 9 ans comme dans la plupart des pays européens (4)» déclare Joseph Alonso, attaché de coopération éducative auprès de l’ambassade de France.
Un souhait qui vient d’être exaucé : le gouvernement formé à l’issue des élections législatives du 20 février 2005 a fixé à 8 ans le début de l’apprentissage, non pas d’une langue mais… de la langue anglaise. « Pourquoi l’anglais ? » s’étonne Joseph Alonso, « alors que cette langue est déjà la plus enseignée et la plus parlée comme seconde langue. Là encore on risque de s’éloigner des objectifs de l’Union visant la formation à la citoyenneté par la reconnaissance de l’autre et de sa langue » ajoute l’attaché de coopération. « Il est trop tôt pour connaître les applications d’une décision politique très récente » explique Claire Garand. « mais nous sommes réellement préoccupés par l’apparition d’une hiérarchisation entre les langues. A moins bien sûr que la perspective d’apprendre l’anglais pendant 10 ans ramène les élèves vers le français, l’allemand et l’espagnol » conclut Claire Garand.
(1) Rapport Eurydice 2005/ Chiffres clés de l’enseignement des langues à l’école en Europe.
(2) L’enseignement des langues au Portugal : quels enjeux ? Isabelle Barreno, Catherine Clément, in Revue internationale d’éducation, Sèvres, nº 33, septembre 2003.
(3) Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe, Jean-Claude Beacco, Michael Byram, Conseil de l’Europe, avril 2003.
(4) Les langues en Europe, enquête de la commission européenne, 2005.
Marie-Line Darcy
EMILE, un jeune français très apprécié
(MFI) Le premier EMILE (enseignement d’une matière par l’intégration d’une langue étrangère) au Portugal est français. Il est né en 2002 au Lycée Garcia da Horta de Porto. Le programme, qui offre la possibilité de suivre une matière dans une langue étrangère, concerne 9 sections de tous les niveaux en histoire et géographie et en maths. « Il a fallu dix ans de travail en partenariat entre les services de la coopération linguistique française et les ministères de l’éducation qui se sont succédés pour parvenir à ouvrir la “section francophone”. Pas par manque de volonté, au contraire. Mais il a fallu trouver un établissement scolaire capable d’accueillir le programme » signale Claire Garand. Le choix du lycée Garcia da Horta s’explique par plusieurs raisons. Ce lycée, l’un des plus importants de Porto, accueille naturellement les élèves issus du collège français Marius Latour. De plus, il comptait déjà dans ses effectifs des enseignants maîtrisant parfaitement le français. Leur adhésion d’ailleurs a été enthousiaste, et la section francophone fait l’objet d’un projet d’établissement. Car sans la pleine adhésion des participants, administration, professeurs, parents et élèves, un EMILE est voué à l’échec. A Garcia de Horta, le succès est tel que deux classes entières de 27 élèves chacune ont demandé à bénéficier des mêmes conditions à la rentrée 2004. Du même coup, l’effectif des jeunes apprenant les maths ou l’histoire-géo en français s’est porté à 88. « Il y avait un vide que nous sommes en train de combler. Que ce soit en français est bien sûr très satisfaisant pour nous. Mais et surtout le Portugal ne figure plus dans la catégorie statistique des pays qui ne possèdent pas de structure de type EMILE. C’est une bonne chose, quelle que soit la langue », tient à préciser Joseph Alonso. En attendant, de nouvelles sections francophones doivent ouvrir dans les cinq directions régionales de l’éducation. Ce sera pour la rentrée 2006.
M.L. D.
L’université du Minho, véritable laboratoire de langues
(MFI) Souvent citée en exemple pour son dynamisme, la vitalité de sa recherche et la qualité de l’enseignement dispensé, l’Université du Minho à Braga ne déroge pas à la règle quand il s’agit de l’enseignement des langues. Dans un contexte de morosité, surtout lorsqu’il s’agit du français, il a bien fallu s’adapter et proposer des solutions innovantes.
« En cinq ans, nous sommes passés de trente inscriptions en formation d’enseignants portugais-français à dix-neuf. C’est un net recul qui s’explique par l’absence de débouché » explique Eduarda Keating, professeur et coordinatrice de l’enseignement du français en L.E.A. (Langues Etrangères Appliquées). « C’est pourquoi nous sommes sortis de la filière professeurs de langues pour proposer des alternatives. » Les sections relations internationales qui existaient déjà remportent un franc succès, y compris en français : « nous enrichissons notre palette d’offres avec les L.E.A où les étudiants doivent choisir trois langues, dont une d’initiation en fin de cursus. » Le système donne de bons résultats dans la filière traduction par exemple, même si les effectifs sont variables et qu’il est encore tôt pour mesurer les résultats (les premiers diplômés l’ont été en 2003). « Nous avons un atout important, celui de proposer un stage en entreprise en 4ème année, les institutions ou sociétés ayant des besoins en traduction, notamment dans le secteur du tourisme, sont très demandeurs. Les étudiants comprennent que maîtriser 2 ou 3 langues en plus du Portugais est un avantage, et là le français se retrouve à égalité avec l’espagnol ou l’allemand » rapporte Eduarda Keating.
Le Minho est une région traditionnelle d’émigration vers la France, et aujourd’hui encore les liens sont étroits entre les deux pays. On l’oublie trop souvent, mais la France est le 3ème partenaire économique du Portugal. Désormais, les enfants d’immigrés reviennent tenter leur chance ici. « Nous, essayons de faire en sorte que ce soit un plus et non pas un boulet, alors que le français est passé de mode » ajoute l’enseignante. Un des atouts de l’université est aussi de former des spécialistes de la communication, des ingénieurs, des économistes. Tous suivent des cours de français, ce qui permet de rentabiliser le volant d’enseignants, ainsi que le matériel. « L’enseignement du français ici a une excellente réputation, et nous ne voulons pas la gâcher », reconnaît Conceição Carilho, directrice du département.
Le département multiplie les initiatives pour favoriser le rayonnement du département de français, pour faire connaître la culture et maintenir le lien entre le Portugal et la France, telles « les journées du conte, le théâtre, les conférences, les soirées spéciales… et même une émission en français à Radio Universitaire. Mais notre stratégie de visibilité, qui passe aussi par la formation des enseignants de français, a besoin de soutien. Car si nous arrivons à nous débrouiller, les ressources diminuent et nous devons chercher nous-mêmes des partenariats » précise la directrice du département. A Braga, on reconnaît le soutien indéfectible des institutions françaises au Portugal, mais on s’étonne parfois de décisions politiques prises en haut lieu et dont les applications sont en décalage avec les besoins d’une équipe dynamique, passionnée de « français » mais qui a appris à dire « jongler » en plusieurs langues.
M. D.
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