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29/04/2005
Noirs dans les camps nazis

(MFI) En 1995, Serge Bilé réalise un documentaire, Noirs dans les camps nazis, qui réunit quelques témoignages rassemblés dans l’urgence. Mais continuant à creuser le sujet, il en recueille d’autres dont il fait un livre, portant le même titre, paru dix ans plus tard.

La voix retentit, puissante. La caméra tourne autour du chanteur, d’un profil à l’autre. Dans la salle, le public debout est à l’image de celui qui, sur scène, pourtant étreint par une forte émotion, se tient digne et regarde droit devant. L’événement rassemble, à Strasbourg en 1995, des anciens déportés de la Seconde Guerre mondiale. John William, qui entraîne la salle dans son chant d’espoir, est noir. Cinquante ans auparavant, il a été déporté au camp de Neuengamme. Il avait alors 20 ans.
C’est après avoir vu John William, devenu chanteur, dans une émission de télévision que Serge Bilé, journaliste franco-ivoirien, décide en 1995 de se lancer dans la réalisation d’un documentaire sur les Noirs dans les camps nazis. « Je me suis dit qu’il ne devait pas être le seul. Je me suis mis à rechercher des témoignages, que j’ai enregistrés. » Le documentaire ne sera quasiment jamais diffusé, à l’exception de quelques festivals et d’une ou deux chaînes de télévision. Mais Serge Bilé continue à creuser le sujet, à rencontrer des témoins, directs et indirects, de l’époque. « Entre 1995 et 2005, j’ai appris beaucoup de choses, et j’ai donc eu envie de faire un livre qui soit la somme de tout ce que j’avais découvert depuis. »
Ce sera Noirs dans les camps nazis, un petit opuscule de 160 pages. Dans lequel Serge Bilé restitue ce qu’il a appris, découvert ou approfondi en dix ans : l’histoire du génocide des Herero, commis par la puissance coloniale allemande à l’orée du XXe siècle en Namibie ; l’épisode de la « honte noire en Rhénanie » – les troupes d’occupation françaises comptent dans leurs rangs des hommes venus d’Afrique – qui permet à Hitler d’écrire, dans Mein Kampf (1923), que « les juifs ont emmené les Nègres en Rhénanie dans le but de souiller la race aryenne » ; la stérilisation forcée, dès l’arrivée au pouvoir des nazis en 1933, des enfants métis nés des relations de ces hommes avec des Allemandes ; le fait que les lois de Nüremberg (1935) précisent que « n’est pas de sang allemand celui qui a, parmi ses ancêtres, du côté paternel ou maternel, une fraction de sang juif ou de sang noir »… Or il y avait, avant guerre en Allemagne, environ 24 000 Afro-Allemands selon Serge Bilé, originaires pour la plupart des ex-colonies du Reich – Cameroun, Tanganiyka, Togo.

Noirs dans les camps nazis, par Serge Bilé, Le serpent à plumes, 2005, 15,90 euros.

Ariane Poissonnier


Serge Bilé : « Pour que chacun sache quels ont été la place et le rôle des Noirs »

(MFI) Noirs dans les camps nazis est un succès de librairie. Un début de controverse, sans doute davantage inspirée par la polémique née des déclarations de l’humoriste Dieudonné que par une lecture attentive du livre de Serge Bilé, a tourné court. Recueilli avant cet épisode, l’entretien ci-dessous aborde les motivations et les méthodes de l’auteur.


Comment avez-vous travaillé pour réaliser puis écrire Noirs dans les camps nazis ?

Serge Bilé : J’ai commencé par la personne que j’avais vue à la télévision. J’ai appelé la Fédération nationale des déportés et émis le souhait de rencontrer John William. Ils m’ont convié, en juin 1995, à Strasbourg : il y avait un grand rassemblement pour le cinquantième anniversaire de la libération des camps. Je l’y ai interviewé, et cela m’a donné assez de force pour aller voir les autres déportés. A chacun je demandais s’il se souvenait d’avoir vu un Noir dans les camps, et franchement, très peu se souvenaient – j’ai rencontré une seule personne qui se rappelait d’une femme noire, dénommée Blanchette… Jusqu’au jour où une amie m’a parlé d’un musée de l’Holocauste à Washington, dont une partie est consacrée aux Noirs, et m’a envoyé une photo – c’est la couverture du livre. Avec ce cliché, je retourne voir les mêmes déportés. C’est bizarre, mais cette photo a créé un déclic ; beaucoup d’entre eux m’ont finalement dit : « Oui, peut-être, allez voir telle ou telle personne… » Et c’est comme cela que, de fil en aiguille, en Belgique, en Allemagne, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, en Espagne, en France, en Norvège, au Surinam, j’ai retrouvé ces parcours individuels. Il m’a fallu dix ans pour arriver à réunir ces témoignages. En 1995, je n’en avais recueilli que quatre ou cinq.

Pourquoi votre livre reste-t-il un assemblage d’histoires individuelles ?

Pour une raison toute simple : il est impossible aujourd’hui de définir combien de Noirs ont été déportés. A l’époque, c’était le temps des colonies, et les Noirs n’avaient pas de nationalité propre, ils n’étaient pas identifiés comme Maliens, Sénégalais, Ivoiriens ou Martiniquais, mais comme Français, Espagnols ou Anglais ! Il est impossible de distinguer aujourd’hui, sur une liste de noms, qui était noir et qui ne l’était pas. Par exemple, je prends le cas du Franco-Ivoirien John William, dont le vrai nom à l’époque était Ernest Hüss, parce que son père était alsacien : difficile de le distinguer, à la simple lecture, d’un autre déporté alsacien ! J’ai simplement réussi, à travers des témoignages recoupés, à reconstituer la vie de certains d’entre eux, avec forcément des trous dans ces parcours. Au regard de mes recherches, j’estime le nombre de déportés noirs entre 10 000 et 30 000.

Vous remontez à ce qui se passe en Namibie en 1904…

La Namibie a servi de laboratoire pour les Allemands, un laboratoire d’ailleurs inquiétant. En 1904, personne ne s’est ému de ce génocide des Herero, parce que cela ne touchait que des Africains, et malheureusement, trente ans plus tard, la même chose a recommencé, parce que les Allemands avaient le sentiment qu’ils avaient pu faire cela en toute impunité. Ensuite, quand l’Allemagne perd la guerre de 1914-18, le traité de Versailles l’oblige à accepter sur son sol des troupes, françaises et belges notamment, parmi lesquelles des troupes coloniales. Pour les Allemands, c’est l’humiliation suprême. Naturellement, entre ces soldats noirs et les femmes allemandes, des liens se créent, dont naîtront environ 800 enfants métis, que les nazis, lorsqu’ils arrivent au pouvoir en 1933, décident de stériliser aussitôt, et pour certains, de les envoyer dans les camps de concentration. La deuxième étape, ce sont, en 1935, les fameuses lois de Nüremberg, qui visaient aussi bien les juifs que les Noirs. Dès lors, les Noirs sont déchus de leur nationalité allemande, ils n’ont plus le droit de faire leur service militaire puis sont systématiquement stérilisés… Ceux qui enfreignent les lois de Nuremberg sont envoyés dans les camps.

Vous parlez également de ce qui se passe dans les armées américaine et française…

C’est vrai que les Allemands ont déclenché la guerre, fait preuve de barbarie et de racisme, mais j’essaie aussi de voir comment les autres ont pu se comporter. Je parle de l’armée américaine avec ces Noirs qui sont considérés comme des chiens, qui viennent en Europe pour libérer les Européens alors qu’eux-mêmes ne sont pas libres dans leur propre pays. J’aborde la question des tirailleurs sénégalais sortis des camps qui se révoltent dans les casernes françaises, parce que leur solde est dérisoire par rapport à celles de leurs collègues « blancs ». Cette révolte est très mal prise par l’Etat-major, qui décide de rapatrier manu militari des centaines de soldats africains. Beaucoup se retrouvent au Sénégal, mais la révolte ne s’éteint pas. Et un jour, ces tirailleurs sont fusillés, achevés par leurs collègues : c’est le massacre du camp de Thiaroye, en décembre 1944. J’ai voulu ainsi montrer que, finalement, le racisme était universel, et que ceux-là mêmes qui sont partis défendre la France avec leurs grands cœurs de colonisés, en ont été victimes de la part de ceux qu’ils sont venus libérer.
Je ne dissèque jamais dans les Noirs, je ne dis pas « tiens, je m’occupe des Africains, ou des Antillais, ou des Noirs américains… » Il faut les prendre de façon globale, car je pense qu’ils sont tous mis dans le même sac. Je voulais que ce livre soit une sorte de livre d’étape, où l’on voit, au-delà des camps de concentration, quelle était la condition des Noirs. Tout cela permet de mettre en perspective l’histoire, par rapport aux Allemands, mais aussi par rapport à l’Europe, à la France, aux Etats-Unis, pour que chacun sache quels ont été la place et le rôle des Noirs dans ce grand conflit mondial.

Propos recueillis par A. P.




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