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12/05/2005
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Le prince de Tunis
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(MFI) Deuxième long métrage de Mohamed Zran, Le Prince conte les amours empêchées d’une banquière et d’un fleuriste de Tunis. Bluette, donc. Mais sous la forme aimable de la romance, Zran n’en livre pas moins un portrait incisif et parfois cruel de la jeunesse tunisoise, rêves abolis, espoirs en fuite ou plombés par le principe de réalité, tentation de l’ailleurs…
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Qui est le Prince ? Peut-être le prince charmant, tel qu’il habite sans qu’elle le sache le cœur de Dounia, jolie banquière divorcée, dont les yeux de biche ameutent chaque matin les commerçants du quartier. Par son titre, son cadre fleuri, sa joliesse colorée autant que par son intrigue, Le Prince s’avance sous les auspices naïves de la fable sentimentale. L’histoire tient en peu de lignes. Une femme d’affaires tente de masquer sous les dossiers de ses clients le vide sentimental qu’elle cultive depuis son divorce. Un fleuriste tombe amoureux d’elle. Timide et paralysé par le fossé culturel qui les sépare, Adel trouve un imparable subterfuge pour croiser chaque jour la femme de ses pensées : lui livrer quotidiennement un bouquet de fleurs, hommage d’un admirateur « anonyme ». Langage des fleurs contre fracture socio-économique ? D’emblée, le film de Mohamed Zran séduit pour sa capacité à se laisser voguer sur les eaux suaves de la romance, sans jamais abandonner le cap d’une satire sociale non dépourvue d’acidité.
De fait, entre les deux amoureux gravite tout une galaxie de personnages subtilement campés qui dessinent un portrait abrasif de la petite-bourgeoisie tunisoise autant que des laissés pour compte du pays. Voici donc Houda, la meilleure amie de Dounia, qui voit pragmatiquement dans le mariage le sésame d’une respectabilité gagnée de haute lutte. Plus populaire, l’univers d’Adel le fleuriste jette un coup de sonde dans la Tunisie des HLM et des fins de mois difficiles : père chômeur et obsédé par le PMU, mère dépressive, sœur exaspérée, potes dragueurs, hâbleurs, prêts à toutes les combines pour payer la boukha générale, le soir au café. Deux univers à l’improbable intersection, mais qui partagent un même mal-être dans un monde où l’argent règne en maître sur les corps et les esprits. Entre les deux, Le prince virevolte sans jamais choisir son camp.
Le film de Zran joue sans cesse sur ces deux tableaux : parce que la trame de la romance (convoleront-ils ?) permet au cinéaste, par la multiplicité des univers qu’ils traverse, de jeter ponts et passerelles au dessus d’une société où la « mondialisation » devient l’alibi de tous les reniements. La plus belle scène du film est sans nul doute celle où le rédacteur en chef désormais ruiné d’une petite revue de poésie, ami proche d’Adel, se voit contraint de faire ses cartons à la six-quatre-deux, avant l’arrivée des huissiers. Sous les yeux d’un ancien condisciple de fac, businessman à succès, qui lui propose de monter « une revue spécialisée pour les gens qui n’ont pas le temps de lire » : « Moi, travailler pour les touristes et les nouveaux riches ? Merci ! »
Elisabeth Lequeret
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