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MFI HEBDO: Culture Société Liste des articles

24/06/2005
Chronique Livres

L'essentiel d'un livre
Confessions d’un médecin de campagne

(MFI) A travers l’histoire d’un médecin de brousse raté, le romancier Sud-Africain Damon Galgut raconte avec habileté et ironie l’apathie et la corruption qui guettent le pays de Mandela.


Avec Achmot Dangor, Zakes Mda, Zoë Wicomb, Ivan Vladislavic ou Marion van Niekerk, pour ne citer que ceux-là, Damon Galgut constitue la nouvelle génération d’écrivains sud-africains qui redessine le paysage littéraire de son pays. Sous la plume de ces conteurs et écrivains talentueux, la littérature d’Afrique du Sud s’éloigne progressivement des thématiques obligées de la résistance contre l’apartheid qui ont fait la réputation des Gordimer, des Brink, des Breytenbach et explore à travers des sujets moins spectaculaires mais autrement plus fondamentaux tels que l’amour, la mort, la violence, la trahison, le succès, l’échec, la vérité de l’expérience sud-africaine. L’histoire douloureuse d’un médecin de campagne confronté à l’inertie d’une société longtemps figée et que les bouleversements politiques récents n’ont pas réussi à libérer de ses pesanteurs psychiques et administratives s’inscrit dans cette tentative de la littérature sud-africaine post-apartheid de donner corps au riche présent du pays de Mandela.
Celui-ci est fait d’exaltation et d’apathie, des sentiments contraires qui sont au cœur d’Un docteur irréprochable de Damon Galgut. Le roman s’ouvre sur l’arrivée d’un jeune médecin dans un hôpital délabré d’un ancien bantoustan. Laurence Waters est fraîchement diplômé d’une grande école de médecine et doit effectuer un an de service médical. C’est à sa demande que l’administration l’a dirigé vers un hôpital de brousse difficile où Laurence espère pouvoir s’investir pleinement. Or, d’emblée, tout se passe mal. Le jeune diplômé s’attendait à un hôpital moderne mais se retrouve dans un bâtiment aux murs fissurés, aux fenêtres cassées et où la brousse menace de reprendre ses droits. Pire encore, loin d’être un lieu plein d’activités et pris d’assaut par des patients venus des villages environnants, l’hôpital où Laurence vient de débarquer est presque vide, isolé car les malades préfèrent aller à l’hôpital mieux équipé de la ville la plus proche. « Une ruine soumise à un lent abandon », écrit Galgut.
Laurence est reçu par Franck Egloff, l’assistant de la directrice de l’hôpital. Arrivé il y a une dizaine d’années, tout feu tout flamme comme Laurence aujourd’hui, Franck a perdu son enthousiasme des débuts et s’est résigné à l’inactivité, à l’incompétence et au népotisme. Autant Laurence est enthousiaste, bouillonnant d’énergie, confiant « aveuglément en (son) pouvoir de changer les choses », autant Franck est cynique et passif. Mais ils sont condamnés à travailler ensemble, à partager la même chambre. La tension grandissante entre les deux n’exclut pas pourtant l’attirance. Le cadet voit en l’aîné un frère et un mentor, alors que ce dernier admire en Laurence son engagement, sa conviction, les efforts patients qu’il déploie pour mettre en place un dispensaire itinérant destiné à soigner les malades sur place. Tout au long du livre, il y a un sous-courant d’attirance homo-érotique qui ne se concrétisera jamais, mais qui nourrit l’action et conduit au drame qui clôt ce très beau roman d’amitié ratée, de frustration et d’échec.
Racontée à la première personne, à travers la voix distanciée mais caustique de Franck Egloff, l’histoire d’Un monde irréprochable se lit d’une seule traite. Le lecteur s’identifie au narrateur, partageant son scepticisme et son exaltation et se culpabilisant avec lui d’avoir manqué de saisir « le sens du futur ».

Un docteur irréprochable, par Damon Galgut. Traduit de l’anglais par Hélène Papot. Editions de l’Olivier, 294 pages.

Tirthankar Chanda


La peur du crocodile

(MFI) Le ventre du crocodile, écrit par le directeur du Théâtre national et de l’Opéra du Cap, auteur fameux d’une série policière et de livres pour enfants, s’adresse aussi bien aux adolescents qu’aux adultes. Le jeune Seraki vit à Soweto, dans une maison dont « le toit et les murs en ferraille rouillée cliquettent en se déformant sous le soleil » : sa mère travaille chez les Blancs à l’autre bout de la ville ; son père, au chômage, boit ; Phakane, son grand frère adoré est en prison ; à l’école, « il n’y a pas assez de pupitres, pas assez de livres, pas assez de papier » ; dans la rue, les gangs de skollies (voyous) sèment la terreur. La rencontre de Mosake, directeur tout-puissant d’une comédie musicale, va changer la vie de Seraki. Engagé pour chanter et danser dans la production iSezela, il part à Broadway, capitale du music-hall ; il espère gagner assez pour sauver son frère, mais les crocodiles sont partout, même parmi les siens. C’est la peur atavique du méchant crocodile, le mythique iSezela, qui fait de vous une victime. Il suffit parfois de lui tenir tête pour que crève le ventre pourri de la bête immonde qui se cache sous des noms aussi divers que corruption, exploitation, racisme... Le récit se passe en 1989, une année de libération pour Seraki comme pour le plus ancien prisonnier politique d’Afrique du Sud, Nelson Rolihlahla Mandela, l’année où meurt le crocodile de l’apartheid en Afrique du Sud.

Le ventre du crocodile, Michael Williams. Editions Dapper Littérature, 286 pages.

Catherine Brousse


Une jeune femme libre et maghrébine

(MFI) Qui est vraiment Zaynab Hassân ‘Abd Al-Jabbâr ? Une jeune femme moderne travaillant dans un journal et tenant la dragée haute à ses collègues masculins ? La maîtresse exigeante d’un homme de lettres qu’elle torture ou rassure au gré de ses humeurs ? Ou la fille inguérissable d’un père mal aimant et d’une mère soumise et terrorisée ? L’héroïne du dernier roman d’Aroussia Nalouti -le premier traduit en français- est à l’image d’une génération entière de femmes maghrébines tentées par l’émancipation et souvent rattrapées par les rigueurs de la tradition. Zaynab, qui s’est ouvert les chemins de la liberté en travaillant, peine à se défaire de l’image paternelle. Est-ce en pensant à cet homme égoïste et brutal qu’elle soumet son amant à des sautes d’humeurs incessantes ? Est-ce pour venger l’humiliation maternelle qu’elle se consacre avec acharnement à son travail ? Au fil du roman se dessine l’image d’une jeune fille fragile mais déterminée à se construire en brisant toutes les entraves. La mort de la mère et le meurtre – symbolique – du père seront l’occasion de guérir des blessures originelles pour entamer une nouvelle vie. Pour devenir femme et peut-être mère, Zaynab comprendra qu’il importe avant tout de ne plus être que la fille de ses parents. Un récit aux accents universels qui, bien au-delà de la condition de la femme arabe, aborde la question du cheminement de tout être humain.

Zaynab ou les brèches de la mémoire, Aroussia Nalouti. Traduit de l’arabe par Evelyne Larguèche et Françoise Neyrod, Actes Sud, 107 pages.

Geneviève Fidani


Irak : guerre après guerre

(MFI) En pleine guerre Iran-Irak, Abdallah, étudiant en rupture d’université, rejoint contraint et forcé les rangs de l’armée irakienne. Soldat, il découvre les rigueurs de la discipline et connaît la prison militaire dont il sortira marqué à jamais. Bientôt, le jeune conscrit doit quitter Bassora pour rejoindre le front. Il découvre alors une guerre semblable à celles du passé. Séjours dans les tranchées, vermine, combats au corps à corps, baïonnette au canon, plaies suintantes. Janane Jassim Hillawi transporte son lecteur sur des champs de bataille qui évoquent à la fois les retraites napoléoniennes décrites par Tolstoï et la Première Guerre mondiale. Confronté à la souffrance infinie des peuples en guerre, le jeune homme devient peu à peu un militaire expérimenté. Après une tentative de désertion manquée et une blessure, Abdallah tombe aux mains de la résistance kurde. Condamné à sillonner de longues années les montagnes du Kurdistan irakien et iranien aux côtés des rebelles, il est forcé pour survivre de prendre part à leur combats. Une nouvelle fuite le ramène à Bassora, devenue ville fantôme, où il errera parmi les ruines et les souvenirs de sa famille jusqu’à la fin du conflit. Pays de nuit est le neuvième ouvrage de Janane Jassim Hillawi. L’auteur, qui vit actuellement en Suède, est considéré comme le chef de file des romanciers irakiens. Il livre ici un roman saisissant, levant enfin le voile sur les horreurs de la guerre Iran-Irak et conduisant le lecteur à une réflexion sur leur caractère universel.

Pays de nuit, Janane Jassim Hillawi. Actes Sud, 357 pages.

G. F.


Touiavii, des Samoa au pays des Papalaguis

(MFI) Au début du 20e siècle, Touiavii, un chef de tribu des îles Samoa (Océanie) alphabétisé par les frères maristes, eut l’occasion de venir en Europe à l’occasion de la tournée d’une troupe folklorique. Observant avec ses yeux neufs le monde occidental, il nota ses impressions et réflexions de voyage et, de retour sur son île d’Opulu, confia le texte à Erich Scheurmann, un Allemand de passage. Le livre fut publié, en 1920, sous le titre, Le Papalagui (ce qui signifie littéralement le « pourfendeur du ciel » et désigne le Blanc, l’étranger, en samoan) avec un sous-titre explicatif « Les étonnants propos de Touiavii, chef de tribu, sur les hommes blancs ». Le Papalagui est une mise en garde « pensée pour ses compatriotes polynésiens » par l’un d’entre eux qui, ayant approché la culture européenne, en a, de suite, perçu les limites, les folies et les impostures. Le portrait des Occidentaux est sans complaisance et, de toute évidence, l’auteur ne les envie guère et souhaite détourner son peuple des tentations d’un monde subordonné aux notions de temps et de propriété, régi par le « métal rond » et le « papier lourd » et qui a perdu ses liens avec la nature. Accompagné d’une préface de Scheurmann, d’une carte, des propos de la traductrice, d’un lexique et d’une bibliographie, ce petit livre est une bel instrument de découverte et une savoureuse invitation à la réflexion.

Le Papalagui, Touiavii. Pocket, 160 pages.

Bernard Magnier


Sept dramaturges en quête de personnages

(MFI) Ils étaient sept écrivains africains à relever le défi proposé, au début de l’année 2005, par l’équipe de « Gare au Théâtre » à Vitry-sur-Seine dans la banlieue parisienne. Sept dramaturges qui allaient devoir écrire « sous la contrainte » et choisir parmi les articles et photos contenus dans les journaux quotidiens du 21 février, un sujet qui leur inspirerait un texte court, dialogué, de moins de dix minutes avec une distribution de trois ou quatre comédien(ne)s. Ainsi Tiécoro Sangaré (Mali), Valérie N’Goma (R.D. Congo), Kouam Tawa (Cameroun), Rodrigue Norman et Gustave Akakpo (Togo), Frédérique Sempè Lemon (Bénin) et Diaga M’Bass Seck (Sénégal) ont joué le jeu, accompagnés de 8 metteurs en scène et de 29 comédiens. Les saynètes ont été représentées en mars 2005 et sont désormais réunies dans un numéro spécial, « L’Afrique en jeu », de la Revue de la Gare. Graves ou cocasses, scrupuleusement fidèles aux normes imposées ou plus distants, tous ces textes constituent une expérimentation réjouissante et une remarquable initiative quand on sait combien la confrontation d’expériences, la mise en commun, le dialogue, la notion de coulisses et de laboratoire tiennent une place prépondérante dans la formation d’un écrivain et singulièrement d’un dramaturge.

Revue de la gare, n°8. 172 pages.

B. M.


Révolte sur la planète Majipoor

(MFI) Pape de la science-fiction américaine, Robert Silverberg livre avec Le roi des rêves le septième et dernier volume du gigantesque « cycle de Majipoor », entamé voici vingt-cinq ans par le désormais mythique Château de Saint-Valentin. Ce septième opus débute sur la planète géante Majipoor, où la mort du Pontife Confalume et la nomination de son successeur font planer sur le royaume l’ombre d’une guerre civile. On aura compris que, plus qu’un roman ébouriffant, Le roi des rêves est aussi une réflexion - acide - sur la nature du pouvoir et la légitimité de ses tenants.

Le roi des rêves, Robert Silverberg, Le Livre de poche, 670 pages.

Elisabeth Lequeret


Ruptures à l’Est

(MFI) Le thème central de ce roman est la rupture, survenue au cours de l’hiver 1961, entre l’URSS et le plus petit pays du camp socialiste, l’Albanie. Une vaste fresque dans laquelle Ismaïl Kadaré ne cache ni son engagement communiste, ni son ardent patriotisme albanais, ni même son hostilité aux Soviétiques, lui qui dans sa jeunesse se passionna pour Pouchkine et Gogol.

L’hiver de la grande solitude, Ismaïl Kadaré, Le livre de poche, 730 pages.

E. L.


Du rire et des Arabes

(MFI) Parce qu’il est un fin connaisseur et un inlassable traducteur des textes arabes, Jean-Jacques Schmidt s’autorise une incursion érudite dans le monde de l’humour. Si les textes humoristiques sont relativement rares, les premiers, qui remontent à la période préislamique, démontrent que le rire et la plaisanterie font partie intégrante de la civilisation arabe. L’humour permet d’abord aux tribus de mieux supporter leurs difficiles conditions de vie. Au début de l’islam, la dérision et la moquerie se portent sur les ennemis de la religion qui sont combattus par le fer autant que par le rire. Peu à peu, en même temps que les peuples se sédentarisent, l’humour se fait caustique, frondeur, enjoué, reflétant une prospérité et un sentiment de sécurité nouveaux. C’est dans la société abbasside que la plaisanterie et l’humour connaissent leurs plus belles heures. L’humour se libère du carcan religieux et se nourrit de rapports humains plus raffinés et plus complexes. La religion et les théologiens deviennent même des cibles de choix pour les plaisantins. Moins pudibonds qu’on ne le pense, les Arabes affichent aussi un faible pour la grivoiserie. Si les témoignages concernant la période anté-islamique sont rares, les périodes suivantes offrent de nombreux textes réunis et classés par époque par Jean-Jacques Schmidt. Le lecteur peut ainsi, au gré de sa fantaisie, piocher anecdotes et citations et découvrir les raffinements de l’humour arabe.

Le livre de l’humour arabe, Jean-Jacques Schmidt, Actes Sud/Sindbad, 220 pages.

Geneviève Fidani


Jim Morrison, autopsie du « roi Lézard »

(MFI) Poète rebelle, icône rock, prédicateur sous acide, Jim Morrison fut tout cela. Et aussi : prophète, mystique, ivrogne, bisexuel aux appétits dévorants. Pour le monde entier, le roi Lézard incarne la fin des années 1960. De la musique qu’il créa avec les Doors, plus de 50 millions de disques ont été vendus dans le monde, dont 13 millions pendant la dernière décennie. Stephen Davis avait déjà affronté d’autres légendes vivantes de la musique, notamment les Rolling Stones, Led Zeppelin et Bob Marley, avant de s’attaquer à la plus grande rock star américaine de son temps. Cette monumentale biographie ne lève certes pas le voile sur les circonstances de la mort mystérieuse de Morrison, à Paris, en 1971, mais le portrait, incisif et impitoyable qu’il livre du fondateur des Doors suffit à tenir en haleine jusqu’à la dernière page.

Jim Morrison, Stephen Davis, Flammarion, 475 pages.

E. L.


Les retombées des migrations

(MFI) Quel point commun existe-t-il entre l’Afrique de l’Ouest, le Mexique et la Chine ? Réponse : ces trois régions ou pays sont producteurs de flux migratoires importants. Pour saisir leur évolution, comprendre leurs modalités, leurs retombées économiques et culturelles, plusieurs chercheurs ont réuni leurs études sur le sujet. Elles révèlent des similitudes entre les comportements des émigrés chinois, africains et mexicains. A l’instar des migrants maliens, dont Daouda Gary-Tounkara retrace l’histoire entre les années 1930 et 1970 et décrit les stratégies pour investir les territoires à hauts revenus, on s’aperçoit que les émigrés chinois prennent en charge une partie du développement de leur région d’origine. Les migrants du Fujian ont ainsi investi leurs fonds dans le secteur des transports de leur province de départ dès la fin du 20e siècle, rapporte Eric Guerassimoff. Une école d’aviation civile a même été créée en 1929 par des Fujiannais expatriés. Mais si elles servent généralement leurs régions d’origine, ces migrations peuvent aussi avoir sur elles des conséquences négatives : l’économie des zones de forte émigration au Nigeria est devenue très dépendante des apports des migrants, note Adejumoke A. Afolayan. C’est le cas aussi dans les zones mexicaines d’émigration vers les Etats-Unis, où l’on observe un désintérêt pour certains secteurs d’activités - et parmi eux, l’agriculture - de la part de la population restée sur place.

Migrations internationales, mobilités et développement, Eric Guerassimoff (sous la direction de), L’Harmattan, 318 pages.

Fanny Pigeaud


Janet Jackson et les nouveaux puritains

(MFI) Un spectre hante l’Amérique. Pas celui des GIs de 20 ans morts en Irak, ni celui du déficit budgétaire, du chômage ou des sans-abris, non, ce spectre est café au lait et lesté de quelques dizaines de grammes de silicone : ce sein, puisqu’il faut bien le désigner par son nom, a causé une onde de choc dans la très puritaine Amérique, lorsque, le 1er février 2004, il fut accidentellement révélé lors de l’ouverture de la grande finale du foot américain, le Super Bowl. Pour Annette Lévy-Willard, journaliste à Libération, l’affaire ne fait pas de doute : c’est ce sein (et après lui l’affaire du mariage gay, la polémique sur l’avortement, les frasques de Michael Jackson et de divers hommes politiques), bref c’est le sexe qui, bien plus que le débat socio-politique, a fait (re)basculer l’Amérique dans le camp Bush à l’automne 2004. Un livre drôle et percutant, dont la thèse essentielle (celle du nouvel Ordre Moral américain) semble, hélas, de plus en plus plausible.

Chroniques de la guerre du sexe en Amérique, Annette Lévy-Willard, Grasset, 230 pages.

E. L.


Santé et anthropologie

(MFI) Anthropologue, Laurent Vidal s’intéresse aux champs religieux et sanitaires. Dans cet ouvrage, il livre les observations de ses études consacrées au traitement du sida en Côte d’Ivoire, de la tuberculose et du paludisme au Sénégal. Il rend ainsi compte des représentations du sida chez les malades qui partagent ou non l’information sur leur maladie, de la confusion qui peut subsister entre sida et tuberculose, mais aussi de la peur que garde le personnel soignant des patients séropositifs. Au cours de ces recherches menées au début des années 1990 à Abidjan, il s’est aperçu que les membres du corps médical ne révélaient pas toujours à leurs patients le nom de la maladie dont ils souffraient, par manque de temps ou par crainte de la réaction du malade. « Le patient se trouvait fréquemment dans la situation de devoir répondre à des interrogations (des parents, du conjoint, des collègues de travail…) sur la nature du mal qui l’affectait sans qu’il en connût lui-même la nature exacte », souligne Laurent Vidal. Lui-même, pourtant en position d’enquêteur, s’est du coup senti dans l’obligation de sortir de son rôle de chercheur et d’informer certains malades de leur séropositivité. L’ensemble l’a conduit à s’interroger sur la nature de la démarche anthropologique, sur la nécessité de considérer les parcours individuels pour rendre compte de comportements plus généraux, sur le rapport à l’enquêté et les questions éthiques dans la recherche.

Ritualités, santé et sida en Afrique. Pour une anthropologie du singulier, Laurent Vidal, Karthala, 208 pages.

F. P.


Hollywood, rêve ou cauchemar ?

(MFI) Quel point commun entre Hollywood et la Chine ? Blaise Cendrars en voit deux : « à Hollywood comme en Chine, il faut toujours sauver la face », note-t-il après avoir pris connaissance des derniers aboutissements d’une guérilla entre Ernst Lubitsch et Marlene Dietrich (résultat : Marlene : 1, Lubitsch : 0). L’autre point commun, c’est bien sûr ce mur qui entoure les studios « et qui fait de Hollywood une véritable cité interdite ». A ce mur, Cendrars se cognera le nez à maintes reprises. Ayant sollicité son ami l’acteur Charles Boyer pour un déjeuner, mais bloqué par le cerbère de service, il rate ami et déjeuner.
C’est en 1936 que le plus voyageur des romanciers arrive dans la Mecque du cinéma. Il y voit un spectacle « qui tient tout à la fois de Cannes, de Luna-park et de Montparnasse ». Ebloui comme tant d’autres par « la plus jeune capitale du monde », il visite en clandestin les bureaux de Mary Pickford, « une enfilade de bonbonnières avec des vieilles filles très honorables penchées sur des machines à écrire (…) et un amour de petit chien-chien blanc, pas plus gros qu’une pelote de laine, tombé, comme un chou à la crème de la table de thé dans les tapis. » Et énumère avec gourmandise la liste des 50 personnes, preneurs de son et autres accessoiristes, dont la présence est indispensable pour filmer le baiser d’un couple d’amoureux. Mais il voit aussi la misère, l’échec, les divisions de police postées à la frontière pour refouler les indigents. De l’illusion à son envers, le voyage vaut en tout cas le détour.

Hollywood, la Mecque du cinéma, Blaise Cendrars, Gallimard, Les Cahiers rouges, 150 pages.

E. L.


La culture kabyle de A à Z

(MFI) La culture kabyle a survécu à treize siècles d’arabisation. Cet ouvrage touffu et savant nous en livre quelques codes d’entrée. Signé de l’ethnologue Camille Lacoste-Dujardin, il contient un millier d’entrées traitant de la culture kabyle : tribus, jalons historiques, formes d’organisation sociale… A l’entrée « châtiment », on apprendra ainsi que le droit kabyle ignore la prison : les crimes les plus graves -la trahison- étaient punis de la suppression de la barbe ou de la moustache, au pire du bannissement. Ou de multiples détails, de l’organisation politique kabyle (« un modèle de démocratie villageoise », nous dit l’auteur) aux tenues vestimentaires des jeunes filles.

Dictionnaire de la culture berbère en Kabylie, Camille Lacoste-Dujardin, La Découverte, 395 pages.

E. L.


La Bible, aujourd’hui

(MFI) Revisiter la Bible : tel est l’ambitieux programme de cet ouvrage co-écrit par le philosophe Frédéric Lenoir et l’écrivain Annick de Souzenelle. Dans Alliance de feu, cette dernière explorait la symbolique du texte hébreu des trois premiers chapitres de la Genèse. Cette recherche se poursuit dans L’Alliance oubliée, qui décrit les différentes approches du texte biblique : juive ou chrétienne, littérale ou symbolique, historique ou religieuse. Entre le philosophe et l’écrivain se noue un dialogue passionnant, conclu par un petit essai d’interprétation biblique.

L’Alliance oubliée, Annick de Souzenelle, Frédéric Lenoir, Albin Michel, 267 pages.

E. L.


Da Vinci mode

(MFI) De Léonard de Vinci, on connaît la Joconde, icône du Quattrocento dont le sourire continue d’attirer par milliers, au Louvre, des touristes du monde entier. Mais sait-on que cet homme faisait valoir aux yeux de ses commanditaire ses talents d’« ingeniere » plutôt que de peintre ? Que ses carnets de travail regorgent de dessins de mortiers qui crachent la mitraille, de plans de fortifications, de chars d’assaut, de balistes géantes capables de tuer à distance ? Que dans les pages d’un codex, un chercheur stupéfait découvrit, voici quelques années, le dessin presque parfait d’une bicyclette moderne ? En 1939, le grand historien d’art Kenneth Clark tentait de percer le mystère Léonard dans ce livre, devenu depuis un classique des beaux-arts. A lire absolument, en ces temps où le Da Vinci Code de Dan Brown trône au sommet des listes de best-sellers.

Léonard de Vinci, Kenneth Clark, Le Livre de poche, 413 pages.

E. L.


Un auteur à découvrir
Une Algérienne à l’Académie française

(MFI) L’élection (le 16 juin dernier) de l’écrivain algérienne à l’Académie française est un clin d’œil de la France officielle à son histoire, complexe mais étroite, avec le monde maghrébin.


La nouvelle « immortelle » est donc une Algérienne. Elue à l’Académie française, Assia Djebar sera la première femme africaine à siéger sous la Coupole. Auteur d’une vingtaine de romans, de recueils de nouvelles, de pièces de théâtre, de poésies et de films, Djebar est, comme le disait son ami Tahar Djaout, « la plus importante femme écrivain du Maghreb ». Son élection à la célèbre Académie créée par Richelieu au 17e siècle est le couronnement d’une carrière exceptionnelle placée d’emblée sous le signe de la double culture.
De son vrai nom Fatima-Zohra Imalayene, Assia Djebar aime se définir comme « écrivain français de parents algériens ». Née à Chechell en Algérie en 1936, de mère berbère et de père instituteur, elle a fait des études secondaires au lycée de Blida où elle était la seule élève musulmane. Sa découverte de la langue française date de cette époque. Très vite, elle en fit une sorte de « refuge linguistique » car, comme elle l’écrira plus tard dans son livre autobiographique Ces voix qui m’assiègent, « lire et écrire dans cette langue, dans les années 1950, était aussi pour les femmes algériennes une façon d’être libres, d’accéder au savoir, de sortir du cercle exclusivement féminin. » Mais en même temps, comme on peut l’imaginer, le choix d’écrire dans la langue du colonisateur a été une souffrance. Djebar a su transformer son dilemme en un projet d’écriture que l’on résumera ainsi : mettre en oeuvre à travers le récit une polyphonie de voix et de registres, façon d’offrir une résistance au monolinguisme factice qui écrase son pays. Opposée à l’arabisation forcée de son pays depuis l’indépendance aux dépens du français, mais aussi du berbère, elle a fait de la mort ou de la disparition des idiomes l’une des thématiques centrales de sa fiction, comme en témoignent les titres de certains de ses ouvrages : Oran langue morte (Actes Sud, 1997) ou La disparition de la langue française (Albin Michel, 2003).
Assia Djebar a fait paraître ses premiers romans avant l’indépendance algérienne. Ils ont pour thème la guerre, les familles disloquées, mais aussi la montée de l’individualisme au sein de la bourgeoisie. C’est d’ailleurs le sujet de son tout premier roman La Soif, publié aux éditions Julliard en 1957. Ce roman, qui met en scène l’émancipation d’une jeune fille bourgeoise aux prises avec les interdits et sa découverte du corps et de la sensualité, a valu à Djebar la réputation sulfureuse de « Françoise Sagan musulmane ». Après avoir traversé des phases successives de roman psychologique et de roman engagé, c’est dans les années 1980, avec son célèbre recueil de nouvelles Femmes d’Alger dans leur appartement (éditions Des Femmes, 1980) et L’Amour, la fantasia (Lattès, 1985), qu’Assia Djebar entre véritablement dans son sujet qui est la condition féminine dans le monde arabe, dont les contraintes et les déchirements sont saisis à travers la parole, la mémoire personnelle et historique. La métamorphose du récit s’accompagne aussi d’une révolution de l’écriture qui se manifeste à travers l’éclatement des genres et le mélange fécond de l’autobiographique, du fictif et du mythologique, qui sont devenus au cours des années les marques de reconnaissance de sa fiction.
La Disparition de la langue française est le dernier roman d’Assia Djebar. L’écrivain y raconte, à travers la voix d’un narrateur masculin, les années de la guerre civile et la descente dans l’enfer de l’intégrisme religieux et identitaire de son pays natal où elle n’est pas retournée depuis dix ans. Partageant sa vie aujourd’hui entre la France et les Etats-Unis où elle enseigne au département des études françaises de la New York University, la nouvelle « immortelle » nourrit parfois des espoirs de mortelle et chuchote aux caméras : « J’espère mourir en Algérie. J’aime les cimetières musulmans. Le troisième jour après l’enterrement, les femmes viennent parler sur la tombe. »

T. C.




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