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22/07/2005
Chronique Livres

L'essentiel d'un livre
Le vieil homme et la vierge

(MFI) Le Colombien Gabriel Garcia Marquez livre avec son nouveau roman, Mémoire de mes putains tristes, une émouvante histoire où l’amour et la mort se côtoient.


(MFI) « Je suis laid, timide et anachronique », dit d’emblée le narrateur nonagénaire de Mémoire de mes putains tristes, en guise de présentation. C’est sans doute pour cela qu’il n’a jamais rencontré l’amour tout au long de cette longue vie qu’il a vécue en solitaire, se partageant entre son travail de journaliste au Diario de la Paz et les prostitués qui l’ont réconforté dans sa solitude. Il n’a jamais couché avec une femme sans la rétribuer, aime-t-il répéter à qui veut l’entendre. Alors, quand à la veille de ses 90 ans, il est pris d’une envie impérieuse de s’offrir une folle nuit d’amour avec une jeune fille vierge, vers qui, pensez-vous, se tourne-t-il ? Vers la mère maquerelle dont il fut jadis un des meilleurs clients, à tel point qu’il était un des premiers à être prévenu chaque fois que celle-ci avait une « nouveauté » disponible. Fidèle à sa réputation, Rosa Cabarcas ne faillira pas à son ancien client et finira par lui trouver une jeune fille de 14 ans. Mais lorsque, le soir venu, celui-ci se rend au bordel, tremblant de désir, la petite est endormie, sous l’effet de la drogue que la patronne lui a fait boire pour la tranquilliser. Le vieil homme passera la nuit à regarder la jeune fille, à admirer sa beauté adolescente et ardente, avant de s’endormir à ses côtés sans avoir même essayé de la réveiller. Le rituel est reconduit nuit après nuit jusqu’au jour où le bordel est fermé par la police à cause d’un meurtre. Le vieil homme panique à l’idée de ne plus revoir sa belle innocente, de n’avoir plus l’opportunité de lui lire des contes de fée comme il l’a fait pendant toutes ces nuits. Est-ce de l’amour ? Peut-être. Toujours est-il que notre nonagénaire solitaire ne peut plus imaginer vivre sans sa « Degladina », car elle lui a fait entrevoir la possibilité de mourir d’amour plutôt que de vieillesse.
A mi-chemin entre La belle au bois dormant (Grimm) et Lolita (Nabokov), ce bref roman de 128 pages est un véritable enchantement. Marquez n’avait pas écrit de romans depuis dix ans. La parution aujourd’hui de Mémoire de mes putains tristes marque son retour à la fiction. Il y revient avec une maîtrise narrative et une maturité qui laissent le lecteur pantois d’admiration. On est loin ici de l’écriture hyperbolique et proche du fantastique qui avait fait le succès des Cent ans de solitude (1968) ou de L’automne du patriarche (1975) et qui avait valu à l’auteur le prix Nobel de littérature en 1982. Mais cette fois, c’est en conteur apaisé qui a abandonné les tours de force d’une imagination débridée pour la poésie et la densité du vécu, que Marquez a entrepris de décliner, à travers le thème dérangeant de l’amour-passion d’un vieillard pour une adolescente endormie, le mythe de la régénération et la fable universelle de la quête de la vie éternelle.
Comment ne pas rapprocher ce récit crépusculaire du combat de l’auteur lui-même contre la maladie et la vieillesse ? Agé de 78 ans, Gabriel Garcia Marquez livre depuis quelques années un corps à corps acharné et sans doute perdu d’avance contre le cancer. Malgré leur différence d’âge, le héros-narrateur nonagénaire de son nouveau roman est un peu l’auteur lui-même, comme semble le suggérer le mot « mémoire » placé devant le titre. Cette résonance autobiographique n’est sans doute pas étrangère à la nostalgie mélancolique que dégage ce très beau roman sous la plume d’un maître incontesté de la littérature contemporaine. Un maître à l’imagination ni « timide », ni « anachronique » !

Mémoire de mes putains tristes, Gabriel Garcia Marquez. Traduit de l’espagnol par Annie Morvan. Grasset, 130 pages.

Tirthankar Chanda


Peur sur la ville

(MFI) Climat de peur est un recueil de cinq conférences prononcées en 2004 par Wole Soyinka pour la BBC. Le leitmotiv de ces conférences est le climat de peur qui règne dans le monde depuis les attentats meurtriers du 11 septembre 2001. Le Nigérian en impute bien entendu la responsabilité à Oussama ben Laden, tout en établissant une équivalence entre l’utilisation que fait al-Quaïda du sacré et le langage quasi-messianique d’un George Bush. Tous les deux enferment des peuples entiers dans une communauté de convictions et d’aveuglement. Pour Soyinka, l’origine du mal se trouve dans l’explosion de l’avion de l’UTA dans le ciel africain en 1989, qui était passée quasi-inaperçue. C’est parce que la communauté internationale n’avait pas dénoncé ce premier acte terroriste, sans doute parce que cela se passait en Afrique, que la piste de la peur s’est étendue et s’est élargie pour englober aujourd’hui la planète entière, affirme-t-il. Enfin, cette peur est différente, explique le conférencier, de la peur des calamités naturelles, de la guerre ou de la catastrophe nucléaire qui a caractérisé toute la période de la Guerre froide. Elle est déshumanisante, car elle conduit à une diminution de notre estime de soi, de notre dignité, de notre liberté d’action. Climat de peur s’inscrit dans la réflexion que mène Soyinka sur le fanatisme religieux, sur les idéologies identitaires et confirme la réputation de son auteur, l’un des penseurs incontournables de notre modernité.

Climat de peur, Wole Soyinka. Traduit de l’anglais par Etienne Galle. Actes Sud, 148 pages.

T. C.


Carnet du Rwanda

(MFI) Dans un taxi et par dessus l’épaule du chauffeur, un photographe observe le Rwanda, quelque dix années après le génocide. Jean-Luc Cramatte saisit des instants de vie et de survie. D’étranges moments où rien ne semble trahir le drame pourtant si proche, avec ça et là, de terribles images qui surgissent et ramènent avec elles le drame vécu. Jean-Luc Cramatte a choisi de demander à quatre écrivains (David Collin, Bruno Doucey, Christian Doumet et Nimrod) d’accompagner ses photos d’un texte. De cet ensemble est né Par dessus l’épaule de Théodore. L’impression est étrange. Les images paraissent saisies sous le double prisme de l’objectif de l’appareil et de la vitre du véhicule. Il en ressort une étrange impression d’instants dérobés, furtifs comme le passage de la voiture, comme le séjour du photographe. Des bribes de temps et d’espaces. Des fleurs le long d’un mur, un marchand de journaux, une publicité pour un soda ou une marque de bière, des vélos et des mobylettes, un commerce de « frigos d’occasion » mais aussi, au détour de la route, un espace clos pour une tombe, des lambeaux, une parcelle de terre qui recouvre un charnier... La vie et la mémoire mêlées. Les écrivains ont mis leurs mots en préface à ces images, avec une distance qui sied à l’entreprise. Au bout du compte, le livre dérange. A bon escient. Il est témoignage et « feinte » comme l’affirme le Tchadien Nimrod, qui voit en ces traces des « cartes postales envoyées du front »...

Par dessus l’épaule de Théodore, ouvrage coordonné par Jean-Luc Cramatte. Ed. Labor et Fidès, 120 pages.

Bernard Magnier


Alfred Alexandre : un romancier post-créole

(MFI) « Le canal dessinait une frontière, une saignée d’eau gluante, entre le reste de la ville et notre bout du monde, et ils étaient rares, de l’autre côté de la vie, à enjamber le pont pour se risquer, même en plein jour, sur notre territoire. Et on peut le comprendre… ». Ainsi commence le premier roman du Martiniquais Alfred Alexandre. Un premier roman brillant dont l’action se déroule dans les marges de Fort-de-France, dans l’univers des camés, des immigrés, des prostitués. Les héros marginaux d’Alfred Alexandre ont pour nom Francis, Jimmy, Clara. Ce sont des traîne-misère, des laissés-pour-compte qui s’enferment progressivement dans leur monde carcéral, clos, cancéreux en attendant que le canal les engloutisse dans son ventre anthropophage. Le canal est la frontière qui sépare les personnages de ce récit sombre, de la société bourgeoise bien-pensante dont ils sont parfois issus, mais aussi de cet ailleurs lointain auquel ils aspirent sans jamais oser s’arracher à l’inertie de l’ici et maintenant. Né en 1970, philosophe de formation, Alfred Alexandre appartient à la nouvelle génération d’écrivains antillais, la génération « post-créole » qui tente de renouer avec le romanesque délaissé par les Chamoiseau ou les Glissant. Qualifiant ces aînés de « poètes déguisés en romanciers », ce jeune romancier recherche ses modèles du côté des Richard Wright, des Chester Himes ou d’Hubert Selby, sans jamais oublier la spécificité du monde caribéen, qui demeure sa véritable source d’inspiration.

Bord de canal, Alfred Alexandre. Editions Dapper, 189 pages.

T. C.


Des nouvelles d’Algérie

(MFI) Trente années de création littéraire algérienne avec la nouvelle pour instrument de mesure, voilà ce que propose Christiane Chaulet-Achour dans son anthologie, Des nouvelles d’Algérie, 1974-2004. Résolument ouverte à la création la plus contemporaine, cette anthologie de 25 nouvelles écrites en français, à l’exception d’une nouvelle écrite en arabe et d’une autre en kabyle, offre un panorama très complet, mêlant révélations et découvertes, inédits et emprunts à des recueils, nouveaux talents et voix des aînés aujourd’hui disparus. Le parcours chronologique proposé permet une « traversée » historique sans pour cela que la littérature apparaisse comme le témoin fidèle d’une immédiate actualité. La qualité et la diversité des textes donnent la mesure de la nouvelle algérienne et permettent d’en suggérer la richesse d’inspiration. Que l’écrivain choisisse de conter la peine d’Eve à la mort d’Abel (Anouar Benmalek), de plonger dans les souvenirs d’enfance et l’évocation d’une institutrice armée d’un revolver (Arezki Metref), d’évoquer le suicide (Hawa Djabali et Mohamed Sari), ou d’emprunter la dérive onirique (Salim Bachi), la gravité demeure présente, et il est souvent question de disparition et de rupture, de douleurs et de terreur : la mort rôde sur l’ensemble du recueil. Si l’absence de certains nouvellistes
– parmi lesquels Assia Djebar, depuis peu élue à l’Académie Française, ou Abdelkader Djemaï dont le recueil Dites-leur de me laisser passer est absent de la bibliographie – peut surprendre, il convient d’admettre que toute anthologie est un choix et que celle-ci ne déroge pas à la règle.

Des nouvelles d’Algérie, Christiane Chaulet-Achour. Editions Métailié, 350 pages.

B. M.


Dis papa, c’est quoi la démocratie ?

(MFI) Le professeur André Salifou a conçu ce livre sous forme d’entretiens avec ses enfants, dont les questions permettent de cerner les définitions, les fondements, les institutions et le fonctionnement de la démocratie. L’ouvrage est destiné à ses acteurs, actuels et futurs. Il donne des clés pour comprendre les rapports entre les trois pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire – piliers de la démocratie –, et l’importance des contre-pouvoirs, afin qu’à terme ceux-ci puissent les faire fonctionner, dans une Afrique qui cherche encore les voies d’une démocratisation adaptée. Pour ce faire, l’histoire civique et politique des démocraties occidentales, France, Grande-Bretagne ou Etats-Unis, est convoquée, mais aussi celle du Sénégal, du Bénin, du Mali ou de l’Afrique du Sud. En annexes, quelques textes fondamentaux sont proposés, dont la Charte du Manden. Ancien président de la Conférence nationale souveraine du Niger, l’auteur, qui fut ministre des Affaires étrangères et émissaire de la Francophonie et de l’Union africaine dans plusieurs missions de maintien de la paix, apporte ici le fruit de son expérience politique, autant que son talent de pédagogue et son expertise d’universitaire.

Entretiens avec mes enfants sur la démocratie en Afrique, André Salifou. Présence africaine.

Antoinette Delafin


Le Burkina Faso, entre cinéastes et romanciers

(MFI) Le désormais célèbre Fespaco, festival du cinéma africain de Ouagadougou, a donné au Burkina Faso une enviable vitalité culturelle. D’autant plus qu’il est couplé avec la Semaine nationale de la culture, vouée à la littérature. Ainsi les autorités ont-elles préservé un certain équilibre entre l’image et l’écrit, comme le fait Jean Ouedraogo dans son livre Cinéma et littérature du Burkina, une suite d’entretiens alternés avec des cinéastes et des écrivains burkinabè. On fait ainsi la connaissance de Jacques Prosper Bazié, dont les poèmes et les romans sont souvent hantés par l’idée de la mort, du réalisateur Gaston Kaboré qui veut renouer dans ses films (Wend Kuuni et Buud Yam) avec la tradition africaine du conte, du cinéaste Kollo Daniel Sanou qui définit bien l’une des quasi-constantes du cinéma africain : des films réalisés le plus souvent « sans fric ». Dani Kouyaté revendique son appartenance à une famille de griots pour justifier sa vocation cinématographique, tandis que Fanta Regina Nacro s’explique sur la place consacrée au sida dans ses films et raconte comment elle a inventé « l’arbre magique qui produit des préservatifs ». Le livre se poursuit par un entretien avec l’un des plus prestigieux cinéastes africains, Idrissa Ouedraogo, puis avec Pierre Roamba, un des co-auteurs de la fameuse série « Taxi-brousse », et pour finir avec la romancière Marie Ange Somdah, qui écrit aussi bien en anglais qu’en français, car, dit-elle, autant que je sache, « mes ancêtres n’étaient pas Gaulois ».

Cinéma et Littérature du Burkina Faso, Jean Ouedraogo. CIDIHCA (Montréal), 327 pages.

Claude Wauthier


Maroc : qui commande les croyants ?

(MFI) A l’heure où Nadia Yassine, la fille du leader islamiste charismatique marocain, reprend la main médiatique en déclarant que la monarchie n’est pas adaptée au Maroc, le livre de l’universitaire Malika Zeghal intitulé Les islamistes marocains, le défi à la monarchie semble tomber à pic. Sujet longtemps tabou dans le royaume chérifien, où le roi, « Commandeur des croyants », est censé incarner la légitimité religieuse du régime, l’islamisme est aujourd’hui un objet de débats et d’inquiétude pour une grande partie de l’élite marocaine. Car comme le montre Malika Zeghal dans son analyse parfois ardue mais fondée sur une longue enquête de terrain et une solide culture historique, la monarchie n’est désormais plus l’institution religieuse centrale et s’en trouve, par conséquent, fragilisée. Comme partout au Maghreb, l’islamisme moderne est apparu au Maroc à la fin des années 1960, en tant que mouvement violemment « anti-gauche » et avec la bénédiction du pouvoir. Plus de trente ans après, « l’islam politique s’est diversifié […] et connaît une compétition intense entre ses diverses tendances – qui vont de l’islam politique participatif du Parti de la justice et du développement aux revendications et pratiques du groupe du cheikh Yassine, jusqu’aux accès de violence des groupes de la nébuleuse de la salafiyya jihadiyya ». La mouvance islamique est donc loin d’être unie. La question est de savoir si Mohammed VI, qui se démarque de son père Hassan II en misant sur l’ouverture politique et la modernisation de la société, aura quand même hérité de lui l’art machiavélique de diviser pour pouvoir continuer à régner.

Les islamistes marocains, le défi à la monarchie, Malika Zeghal, La Découverte, 333 pages.

Malika Mabrouk


Arabes et Juifs : la mémoire perdue

(MFI) Les soubresauts de l’actualité du Moyen-Orient ne contribuent guère à nous le rappeler, mais Arabes et Juifs ont longtemps été capables d’empathie et de tolérance mutuelles. Les exemples de cohabitation harmonieuse, en Espagne ou au Maghreb, ne manquent pas. La haine et l’incompréhension cristallisées par le conflit israélo-palestinien, ne seraient nées que de l’appropriation des discours extrémistes des deux bords par les responsables politiques, d’abord désireux de masquer leurs propres faiblesses. Il importe aujourd’hui que les peuples retrouvent la voie du dialogue et s’affranchissent des discours de leurs dirigeants. Tel est le postulat défendu par Michel Abitbol, professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem. Paradoxalement, constate l’auteur, c’est au moment où la diaspora juive vivant dans les pays arabes s’en est allée pour rejoindre Israël, l’Europe ou les Etats-Unis que le discours arabe à son égard s’est durci. Curieusement, l’éloignement « physique et mental » a donné lieu, selon Michel Abitbol « aux mythes et aux fantasmes les plus débridés, d’un côté comme de l’autre ». Tandis que les Arabes rejetaient en vrac judaïsme, sionisme et une collusion supposée des Juifs avec le capitalisme occidental, les religieux Juifs, enhardis par les victoires militaires du jeune Etat d’Israël contre ses voisins arabes, se mettaient à rêver du rétablissement d’un Etat juif dans ses frontières bibliques. Un demi-siècle plus tard, on sait à quelle situation ces discours ont conduit. Est-il encore temps de rétablir le dialogue pour influer sur le cours de l’Histoire ?

Les Amnésiques, Juifs et Arabes à l’ombre du conflit du Proche-Orient, Michel Abitbol, Perrin, 406 pages.

Geneviève Fidani


Marie, figure du Coran

(MFI) La figure de Marie, vierge et mère du Christ, est bien entendu familière aux chrétiens. On sait moins que son nom (Maryam) est cité plus souvent dans le Coran (34 fois) que dans le Nouveau Testament (19 fois). Pour les musulmans, Maryam est désignée comme la mère d’Isâ – le messie auquel le Coran ne reconnaît aucune divinité – mais aussi comme la femme représentant toutes les autres. Les sourates 19 et 3 présentent assez longuement le personnage de Maryam, qui est pour le Coran à la fois fille de ‘Imrân , donc sœur de Moïse et Aaron, et mère de Jésus. Ce procédé défiant la chronologie se retrouve à de nombreuses reprises. Il est l’une des clés de la relation au temps telle qu’on la perçoit dans le Coran. Une approche très différente de celles de la Bible et des Evangiles, plus attachés au déroulement des faits. Il s’agit pour le Coran de citer Maryam parmi les signes de la révélation et du mystère, peu importe sa place exacte dans l’histoire. La confusion entre Myriam fille de ‘Imran et Marie était jusque-là expliquée par certains islamologues chrétiens par une faiblesse du texte. Michel Dousse, docteur en histoire des religions et spécialiste des monothéismes abrahamiques, refuse ce présupposé et propose une nouvelle lecture des textes coraniques. Pour lui, la figure de Maryam symbolise une recherche absolue de conformité à la volonté divine et la place qui lui est faite dans le Coran, pour être différente de celle que lui accordent la Bible et les Evangiles, n’en est pas moins importante. Refusant toute échelle de valeur entre les différents textes, Michel Dousse prône une lecture « dialoguante » des Ecritures, seule approche selon lui capable d’amener à la compréhension de l’originalité d’un texte sacré.

Marie la musulmane, Michel Dousse, Albin Michel, Coll. « L’islam des Lumières », 268 pages.

G. F.


Symboles, mode d’emploi

(MFI) Vous vous doutiez bien que l’âne symbolise la fatigue et le collier, la dépendance. Mais saviez-vous que le canard s’associe à des angoisses de castration, que le diamant peut exprimer la crainte d’être emprisonné ? Pour Georges Romey, auteur de ce volumineux dictionnaire, « le monde est un gigantesque livre d’images. Toutes sortes de symboles peuplent nos rêves et le fond de nos âmes. Que signifient ces visions fantasmatiques et oniriques ? » Réponse en 700 pages.

Dictionnaire de la symbolique des rêves, Georges Romey, Albin Michel, 700 pages.

Elisabeth Lequeret


Jazz pas mort

(MFI) Le hard bop compte parmi ses créateurs des musiciens aussi prestigieux que Thelonious Monk, Sonny Rollins, John Coltrane, ou encore Miles Davis. A l’inverse du jazz cool des années 1950, inspiré par quelques talentueux instrumentistes blancs californiens, le hard bop apparaît comme une sorte de be bop rénové, d’essence en grande partie afro-américaine : gospel et soul music. Les stars de cette anthologie de poche sont bien sûr les pianistes, suivis des saxophonistes et des trompettistes. Stars du genre comme seconds couteaux, personne n’est ici oublié : l’inventaire que propose Roland Guillon tend à l’exhaustivité. Pour chacun, il livre quelques repères biographiques, décrit grandes innovations stylistiques et sources d’inspiration et, le cas échéant, émules.

Anthologie du hard bop, Roland Guillon, L’Harmattan, 256 pages.

E.L.


Histoires de peau

(MFI) Qu’est-ce que l’intime ? Ce petit précis auquel ont contribué – entre autres – philosophes, critiques d’art et ethnologues tente de cerner le problème en une poignée de chapitres. C’est bien sûr de la place de l’intime et du foyer dans nos sociétés contemporaines (et de son corollaire immédiat : la désaffection pour le politique) qu’il est ici question. Mais aussi de sa place dans les arts, à une époque où les « auto-fictions » règnent sur les étalages des libraires. Parler de l’intime, c’est forcément interroger la ligne de démarcation entre vie privée et vie publique : autant dire, concernant un artiste, se retrouver dans une zone de clair-obscur où se brouillent aisément les repères du tout venant. Prenons un romancier, Balzac par exemple. Un auteur cite plaisamment cet échange entre l’écrivain et son confrère Jules Sandeau, ce dernier ne cessant de s’épancher sur les malheurs de sa sœur malade : « Je comprends tout cela, bien sûr, mais si vous le voulez bien, cher ami, revenons à la réalité, et parlons d’Eugénie Grandet »…

L’intime, collectif dirigé par Elisabeth Lebovici, Editions ENSBA, 250 pages.

E.L.


L’Afrique, rêves et fantasmes

(MFI) Objectives, les représentations de l’espace ? Depuis Marco Polo, on sait que cartes et mappemondes obéissent à des processus complexes où entrent à part égale recherche scientifique et fantasmes, projections, délires divers. Plus que tout autre continent, l’Afrique aura été rêvée, vampirisée par un autre, l’Europe. Cela très tôt : Hic sunt leones, « Ici sont les lions », écrivait-on sur les atlas anciens, comme si cet espace, plus qu’un autre, était voué à l’investissement imaginaire. « S’interroger sur l’espace en Afrique, c’est donc voyager au plus profond de l’imaginaire des peuples, débusquer les fausses certitudes », signale la préface de cet ouvrage collectif. Dont acte.

L’espace et ses représentations en Afrique, Sophie Dulucq et Pierre Soubias, L’Harmattan, 254 pages.

E.L.


Guerre des étoiles : radiographie d’une série-culte

(MFI) Anakin Skywalker superstar ? Du public, sans doute, des universitaires, le fait est moins évident. C’est pourtant un digne professeur de la Sorbonne, spécialiste du cinéma hollywoodien, qui consacre à la double trilogie-culte de George Lucas ce savant ouvrage. Y est analysé sous toutes ses coutures l’univers que Lucas, alors obscur – mais ambitieux – salaryman créa en 1977. La vision du monde induite par Obi Wan Ken Obi, Darth Vador et leur acolytes est sans doute la partie la moins innovante du livre : Star Wars a déjà prêté le flanc a de nombreuses analyses, de même que les références, savantes ou populaires, du film, d’Œdipe à Flash Gordon. Plus original, l’économie esthétique (cadrage, montage, effets spéciaux, musique) est ici passée au laser de ce spécialiste de l’analyse filmique. Mais c’est sous l’angle de la réception des films (accueil critique, clubs de fans, produits dérivés) que cet ouvrage se révèle passionnant. De quoi cerner au plus près les contours d’une saga devenue phénomène de société, au point d’avoir engendré plusieurs milliers de sites de fans (quelques uns sont recensés en fin d’ouvrage).

Star Wars, Anatomie d’une saga, Laurent Jullier, Armand Colin Cinéma, 235 pages.

E. L.


Un auteur à découvrir
Le théâtre politisé de Wole Soyinka

(MFI) Les éditions Actes Sud viennent de traduire en français la nouvelle pièce de Wole Soyinka : Baabou Roi. C’est une satire féroce des dictatures, inspirée d’Ubu Roi de Jarry.


Poète, romancier, essayiste, critique littéraire, Wole Soyinka, le prix Nobel de littérature 1986, est également un homme de théâtre. Il faut sans doute dire surtout un homme de théâtre, car la vingtaine de pièces signées Soyinka représente une partie majeure de l’œuvre du Nigérian. Cette oeuvre théâtrale singulière constitue aussi l’une des contributions africaines les plus originales et les plus puissantes aux lettres mondiales contemporaines. Tout en étant profondément imprégnées des rituels traditionnels et des opéras populaires africains, les pièces de Soyinka s’inscrivent dans la tradition occidentale de théâtre politique, qui va de Sophocle à Arthur Miller, en passant par Shakespeare, Brecht et Alfred Jarry. Sa pièce la plus récente, Baabou Roi, vient de paraître en français ces jours-ci dans une traduction truculente et réussie.
Inspiré de l’inoubliable Ubu Roi de Jarry, mais aussi de Macbeth de Shakespeare, Baabou Roi met en scène l’arrivée au pouvoir d’un dictateur sanguinaire dans un Etat africain fictif, à la faveur d’un coup d’Etat. Si ce pays à peine imaginaire, regorgeant de ressources pétrolières, rappelle furieusement le pays natal de l’auteur, les dictateurs du monde entier ont fourni des éléments d’inspiration pour la construction du personnage central Basha Bash. Il y a dans ce despote de papier du Sani Abacha, le tyran qui avait fait pendre l’écrivain Ken Saro-Wiwa et avait condamné à mort Wole Soyinka. Mais à travers ce personnage frustre et bestial qui amuse la galerie par ses pitreries, ses excès, ses crimes et ses discours imagés où se mêlent facéties et vulgarités (« Je sens les serpents s’agiter dans la brousse (...) J’entends les tambours guerriers, ils battent dans mes bourses. »), Soyinka parodie les dictateurs africains et d’ailleurs, du passé et du présent.
Situé au carrefour d’influences et de traditions, cette pièce mêle allègrement modernité et rituels, banquiers et marabouts, tambours et lance-roquettes. Des scènes entières sont structurées sur le mode des festivals traditionnels, rythmés par des battements endiablés des tambours. Mais Baabou roi est aussi une pièce sur l’ambition personnelle, incarnée essentiellement par la femme du dictateur qui, telle Lady Macbeth, complote, intrigue, assassine pour pousser son ancien chevrier de mari au sommet de l’Etat. La véritable catharsis réside ici dans la fin tragique que Soyinka a imaginée pour ce personnage de femme qui, malgré le rôle de mauvais génie qu’elle joue dans la pièce, demeure admirable de lucidité et d’intelligence.
Toute l’œuvre théâtrale de Soyinka est dominée par ce souci de mettre en scène la complexité de la société nigériane, de démêler à travers des situations et des personnages souvent tragiques les forces à l’œuvre – forces du bien et du mal, du passé et du présent, de l’intérieur et de l’extérieur. Ce souci s’accompagne d’un pessimisme profond quant au devenir historique de l’Afrique dans les pièces les plus réussies du dramaturge nigérian telles que La danse de la forêt (1973), La Route (1965), La récolte de Kongi (1988) ou La mort et l’écuyer du roi (1986). Après la guerre civile, l’écriture théâtrale du dramaturge nigérian s’est faite plus grinçante, dénonçant sur un mode satirique les dictatures, les injustices, les exécutions sommaires.
« Je ne suis pas un prosateur dans l’âme. J’ai toujours pensé que c’est mon oeuvre théâtrale que l’Académie Nobel a voulu primer en m’accordant le prix », aime dire Wole Soyinka. C’est sans doute parce qu’il se sent dramaturge qu’à Stockholm, en 1986, il avait ouvert son discours de réception du prix Nobel en racontant ses déboires sur les planches du Royal Court Theater de Londres où il a fait ses premières armes d’homme de théâtre, il y a tout juste cinquante ans.

T. C.




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