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MFI HEBDO: Culture Société Liste des articles

19/08/2005
Chronique Livres

L'essentiel d'un livre

(MFI) Deux ouvrages qui se questionnent et se répondent à distance autour d’un thème unique : la place de la femme dans le monde arabe.


L’actualité littéraire a parfois des hasards heureux. La publication simultanée du dernier livre de Malika Mokeddem, Mes hommes, et la réédition d’un court roman de Leïla Sebbar, Parle mon fils, parle à ta mère, initialement paru en 1984 chez Stock, offrent une confrontation étonnante au lecteur. L’une livre un roman autobiographique et parle à la première personne. La seconde préfère raconter l’histoire d’une femme arabe qui accueille son fils au retour d’une longue absence. Le procédé diffère, mais l’histoire est étonnamment semblable.
Malika Mokeddem, romancière désormais confirmée et néphrologue, se raconte avec la précision quasi-scientifique du médecin. C’est au travers des hommes de sa vie, à commencer par le premier d’entre eux, son père, qu’elle choisit de remonter le cours de sa riche existence. Enfant, elle l’entend répéter fréquemment qu’il a « trois enfants seulement et six filles ». Le même, lorsqu’il s’adresse à sa mère évoque « mes fils » et « tes filles ». Conséquence de ce premier contact rugueux avec l’existence, la petite fille devient anorexique. Cette maladie l’amène à rencontrer un médecin, le docteur Shalles, qui sera à l’origine de sa vocation. Sa vie de femme et sa vie professionnelle sont scellées. Elle n’a guère plus de dix ans.
Réfractaire au mariage et à la maternité, la jeune femme choisit de soigner les corps souffrants mais se soustrait de manière irrévocable au destin de ses semblables. Sa réflexion va jusqu’à la condamnation sans appel de ces femmes « qui ne s’affranchissaient qu’en engendrant des fils » et qu’elle juge perfides, misogynes et masochistes. De fait, la mère campée par Leïla Sebbar ressemble trait pour trait à ces femmes condamnées à l’abnégation et toutes dévouées à leur descendance mâle. Cette femme qui vit dans une cité de banlieue retrouve pour quelques heures son fils parti depuis longtemps et s’efforce de renouer le fil d’un dialogue interrompu. Parle mon fils, parle à ta mère sera le leitmotiv de cette femme qui craint que le premier silence soit le prétexte à un nouveau départ. Entre douceurs orientales et thé à la menthe, la mère évoque avec son fils sa vie quotidienne, la maladie du père et l’avenir dont elle rêve pour lui. Mais le fils ne partage guère ses préoccupations concernant le choix d’une jeune fille qui devra être avant tout bonne mère et bonne épouse. En dépit des efforts de la mère, ce dernier ne rêve que d’ailleurs. En filigrane, se lisent aussi les destins de deux de ses sœurs. L’une a choisi de travailler dans une agence de voyages et rêve d’intégrer un organisme international, l’autre, Samira, a préféré la fugue, moyen plus radical de se soustraire à un avenir dessiné par la mère. Les filles de cette mère sont les sœurs de Malika Mokeddem. Même difficulté à trouver leur place à la maison. Même angoisse face à l’avenir tracé par la tradition. Même volonté de fuir par tous les moyens. Mais la fuite n’est qu’un expédient. Et l’émancipation, même réussie, est souvent synonyme de rejet par l’entourage familial.
Ces portraits de femmes soulignent, chacun à leur manière, la quête d’une nouvelle identité chez les femmes arabes. A l’heure où de pseudo-gardiens de l’islam tentent d’étouffer leurs aspirations sous des voiles sombres, des femmes comme Malika Mokeddem ou Leïla Sebbar montrent une autre voie. Munies du seul pouvoir de l’écriture, elles ouvrent un nouveau chemin à celles qui rêvent de trouver leur place au sein de leur famille et de la société.

Mes hommes, Malika Mokeddem, Grasset, 300 pages.
Parle mon fils, parle à ta mère, Leïla Sebbar, Ed. Thierry Magnier, 110 pages.

Geneviève Fidani


Esclave dans un morne antillais

(MFI) Guadeloupe, 1847, un an avant l’abolition de l’esclavage. Sur l’habitation Sevray, les rumeurs courent, nul n’est sûr de rien. « Cette histoire est terrible, mais un esclave peut tout entendre puisqu’il doit tout supporter », dit Man Héloïse à la jeune Léanette avant de lui parler de sa mère. Léanette, qui n’a guère connu cette dernière, se souvient d’une femme allongée sur le ventre, pieds et mains ficelées à quatre piquets ; du sifflement de la lanière, du sang qui gicle... Domestique de Zélie, la fille de la maison, avec qui elle a grandi et qui, maintenant, la maltraite sans raison apparente, Léanette a comme elle le teint clair et les yeux bleus, bleus comme ceux du maître qui, en épousant Hortense Sevray, a débarqué de ses Ardennes natales pour découvrir un pays où la pauvreté des nègres lui rappelle celle de son enfance, la liberté en moins. Plus qu’un roman, l’auteur, une Ardennaise vivant en Guadeloupe depuis plus de trente ans, retrace la chronique d’une plantation au 19e siècle : maîtres et esclaves, mais aussi toute une humanité intermédiaire faite de géreurs, maîtres après le maître, de nègres à blancs, de marrons en fuite, d’affranchis, de mulâtres et de Blancs-France, venus de métropole... une humanité qui se débrouille comme elle peut et pèche plus souvent qu’à son tour...

Débouya pa péché, débrouillardise n’est pas péché, par Marie-Noëlle Recoque. Présence africaine, 330 pages.

Catherine Brousse


Ike Oguine, star de la nouvelle littérature nigériane

(MFI) Ike Oguine appartient à la nouvelle génération d’écrivains nigérians qui sont en train de renouveler l’héritage des Soyinka et des Achebe. Le conte du squatter est le premier roman de ce jeune romancier prometteur. On aperçoit sa maîtrise de l’art narratif dès les premières lignes: « L’événement qui marqua la dixième année de ma vie fut l’arrivée dans notre maison à Yaba, Lagos, au Nigeria, de mon oncle Happiness venu d’Amérique nous rendre visite. » Tout y est : l’auto-ironie, le sarcasme, le sens du tragique qui sont les traits caractéristiques de ce premier roman d’un conteur des temps modernes. Oguine raconte l’histoire d’Obi, un golden boy de Lagos qui à la suite de la faillite de son entreprise décide d’aller s’installer chez son oncle aux Etats-Unis. Mais quelle ne sera sa surprise de découvrir le fossé qui sépare la réalité de l’idée qu’Obi se faisait des Etats-Unis en se basant uniquement sur des mensonges dont son oncle d’Amérique avait abreuvé lui et les siens lors de son séjour à Lagos en 1970. A travers le voyage et les déconvenues de ce jeune Nigérian naïf, Oguine livre une vision africaine de l’Amérique ponctuée de portraits et de situations burlesques. Le conte du squatter est un roman comique sur les douleurs de l’immigration et de l’exil. On le lit d’une seule traite, se laissant porter par ce récit habilement mené.

Le conte du squatter, Ike Oguine. Traduit de l’anglais par Carole-Didier Vittecoq. Actes Sud, 275 pages.

T. C.


Le monde s’effondre : et après ?

(MFI) Loin de mon village, c’est la brousse est une saga. Celle de l’entrée de l’Afrique dans la modernité. Les trois temps de ce processus historique sont la colonisation, les Indépendances et l’immigration auxquelles le romancier burkinabè Sayouba Traoré a donné forme à travers la destinée d’une famille. Le roman s’ouvre sur l’arrivée des Blancs à Kougsalla, village paisible où se situe en partie l’action de ce roman et qui est aussi la métaphore de cette Afrique soumise depuis un siècle à des vents contraires. Avant l’arrivée des Blancs, Kougsalla vivait au rythme des saisons et des traditions ancestrales. Mais la colonisation imposée par la canonnière et par l’école va bouleverser la vie traditionnelle et accélérer le changement. Les personnages de Sayouba Traoré (Nobila, Wanda, Ouanga, Zama) vont faire face à ce changement, l’accepter et aller de l’avant. Ce changement est à la fois un drame et un moment formidable de dépassement de soi autour desquels Traoré a construit son histoire, prenant soin de lier étroitement les histoires personnelles et l’Histoire africaine. Journaliste à RFI, Traoré écrit dans un style journalistique et simple, traversé par le souffle épique. Son ambition, comme il l’a rappelé dans une interview, n’est pas de révolutionner le roman africain (ses maîtres sont Hugo et Zola), mais « d’expliquer aux Français l’histoire de mon pays qu’ils ne connaissent pas ». Il est également l’auteur de deux recueils de nouvelles.

Loin de mon village, c’est la brousse, par Sayouba Traoré. Editions des Vents d’ailleurs, 410 pages.

T. C.


Femme et journaliste : dur métier au Moyen Orient

(MFI) Elle n’est pas arabe, ni juive, mais elle a le « type sémite ». Elle connaît le Moyen Orient en universitaire, pour avoir étudié à Paris les textes en caractères cunéiformes de l’Assyrie d’avant Jésus-Christ. Elle a appris l’arabe et même fait office de professeur de français dans un collège maronite au Liban. Avec ce sérieux bagage, mais sans un sou vaillant, elle s’embarque en journaliste free-lance pour Beyrouth, le Caire, Bagdad et autres lieux où l’actualité est la plus chaude, dans les années qui suivent la destruction des tours-jumelles de Manhattan. C’est le récit de ses pérégrinations et de ses reportages, mais aussi de sa vie plus sédentaire, notamment au Caire pendant de longs mois, qu’elle égrène dans ce livre de souvenirs. Au Caire, elle partage son appartement délabré dans un quartier sordide avec Mona, une Egyptienne divorcée et militante, où elles se battent contre les cafards et les rats. Elle se sent presque égyptienne, surtout quand on lui dit Ya Benti (ma fille). Elle va voir Arafat à Ramallah, séjourne brièvement en Irak, où la nausée la prend devant les cadavres des attentats entreposés à la morgue. Autant d’aventures à raconter avant de rentrer à Gif-sur-Yvette. De quoi faire le livre que voilà, qui se lit d’une traite.

Ya benti ! Ma fille ! Itinéraires d’une jeune reporter en terres d’islam, par Cécile Hennion, Anne Carrière, 295 pages.

Claude Wauthier


Quatre enfances africaines

(MFI) Elles étaient quatre petites filles juives dans un pensionnat plutôt huppé du Kenya, juste avant la Seconde Guerre mondiale : leurs parents avaient fui l’Allemagne nazie pour s’installer dans la colonie britannique. Elles s’appelaient Vicky, Liesel, Regina et Leah. C’est leur histoire que raconte Stefanie Zweig, elle aussi élevée au Kenya de 1938 à 1947, une dizaine d’années qu’elle a évoquées dans son premier livre, Une enfance africaine. Les destins des quatre héroïnes sont on ne peut plus différents. Vicky, la ravissante blonde, sera séduite par un aristocrate britannique venu au Kenya pour un safari, qui l’emmènera dans son manoir en Angleterre où il cultive des roses de prix. Elle lui donnera quatre enfants, mais pour finalement divorcer. Liesel, dont les parents étaient boulangers en Bavière, était la plus brillante en classe, et elle partira pour Londres avec une bourse pour la prestigieuse London School of Economics. Leah, après un séjour à Londres, ira en Israël où elle y rencontrera un étudiant, Ari, qui deviendra son mari. Il sera tué alors qu’il effectuait son service militaire. Quant à Regina, elle est partie pour l’Allemagne, où elle a été journaliste à Francfort sur le Main : à quelques allusions judicieusement placées à la fin du roman, on comprend qu’elle n’est autre que la romancière Stefanie Zweig.

Filles de l’Afrique, Stefanie Zweig, Editions du Rocher, 283 pages.

Claude Wauthier


Chevillard en Afrique

(MFI) Après une douzaine de romans, tous publiés aux Editions de Minuit, le romancier français Eric Chevillard se voit proposer un séjour au Mali, pour une résidence d’écriture. De cette expérience, totalement nouvelle pour lui et pour laquelle il ne semblait en rien être prédestiné, il a rapporté un livre riche d’esprit, d’humour, et d’autodérision, un « journal de séjour » hors norme et hors piste, Oreille rouge.
« Oreille rouge » est l’une des multiples appellations imagées qui permettent de désigner le « Blanc » en Afrique et c’est d’emblée sous ce regard ironique que l’écrivain a décidé de se placer. Là où bon nombre d’écrivains ont depuis plusieurs années choisi le continent africain comme terre d’inspiration littéraire et ont prétendu le comprendre, avec parfois une dose d’outrecuidance frisant l’inconscience, Eric Chevillard garde la distance qui est la sienne, sans se départir de sa réserve mais sans voiler son regard ni taire ses réactions.
Eric Chevillard raconte donc à la troisième personne l’« aventure ambiguë » d’Oreille rouge, ses troubles et ses élans, ses attentes et ses déconvenues, son mal être et ses malaises. Il se veut « poreux » et souhaite « demeurer à l’écoute » mais ne cache pas ses « images d’Afrique » emportées avec lui. Il observe et, plutôt que d’affirmer, s’interroge. Il adopte la seule posture authentique et légitime, celle de l’écrivain et c’est dans les interstices de la langue, que le romancier va traquer cette Afrique qui s’offre (et se refuse) à lui. De cette Afrique littéraire, réelle et imaginaire, il offre un « voyage » au bout de l’écriture.

Oreille rouge, Eric Chevillard. Editions de Minuit, 160 pages.

B. M.


« Livret de famille » de Magyd Cherfi

(MFI) A la fin des années 1990, un groupe de jeunes musiciens et chanteurs toulousains proposaient à la France entière de « Tomber la chemise »... Cette chanson allait devenir un succès et, plus que cela, une sorte d’emblème pour toute une génération militante française. Le groupe s’appelait Zebda et leur chanteur Magyd Cherfi. Aujourd’hui, le groupe s’est dispersé et Magyd Cherfi a poursuivi seul la route. Il vient de publier un petit recueil de récits : Livret de famille.
Un petit livre de 80 pages, coups de gueule et bons mots, fureurs et tendresse confondus. Un livre comme une conversation avec un copain, un proche. Un livre qui ne fait pas semblant, qui a le mérite d’être franc, direct, sans nuance mais sans équivoque. Un petit livre qui revendique, qui n’hésite pas à apostropher et à provoquer pour « faire avancer »... Un petit livre qui ressemble en partie aux chansons de Zebda mais qui joue la partition en solo, même si Magyd ne cesse de faire référence à son entourage, à Mémède, son « meilleur pote », « aussi proches que différents donc toujours ensemble ».
Magyd Cherfi s’offre -et nous offre- quelques coups de rage dans la fourmilière des idées reçues et des stéréotypes. Avec son Livret de famille, il donne la mesure d’un mal être, commun à cette génération de jeunes Français « issus de l’immigration », éperdus entre les élans et les interdits, entre l’image de soi et le regard des autres.

Livret de famille, par Magyd Cherfi. Actes Sud, 80 pages.

B. M.


Démocratie et totalitarisme : le point de vue du MAUSS

(MFI) La dernière livraison de la Revue du MAUSS (Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales) scrute l’état actuel de la démocratie ou de l’idéal démocratique. Une vingtaine d’auteurs, professeurs d’histoire, de sociologie, de philosophie, d’économie, d’anthropologie ou de sciences politiques apportent leur contribution au débat. La démocratie, et son développement, sont-ils définitivement ancrés dans les mœurs ou risque-t-on, par défaut de vigilance, de voir ressurgir les démons du totalitarisme ? Faut-il se contenter d’enregistrer le nombre croissant d’élections « démocratiques » organisées partout dans le monde ou déplorer les conditions mêmes de leur tenue ? Candidats en position de l’emporter exclus, comme en Côte d’Ivoire, déroulement du scrutin contestable, pression sur les électeurs sont encore monnaie courante. Même les pays dits démocratiques souffrent de pratiques contestables : découpages électoral orientés, rôle trouble des partis politiques ou de la presse ont peu ou prou engendré un abstentionnisme galopant quand les scandales économiques ne viennent pas encore perturber le citoyen à qui l’on demande d’accomplir ses devoirs civiques. Faut-il dans ce contexte redouter un retour du totalitarisme ? Il faut, à tout le moins, se montrer vigilant. Les formes des nouveaux totalitarismes sont sans doutes plus insidieuses et moins immédiatement perceptibles mais il ne faut pas négliger le risque d’un retour du refoulé. Pour ce faire, partis politiques, souvent à la base de dérives graves, et citoyens sont invités à se mobiliser.

Revue du MAUSS, N° 25, Premier semestre 2005, 521 pages.

Geneviève Fidani


Migrations internationales

(MFI) On compte aujourd’hui 200 millions de migrants dans le monde, soit 80 millions de plus qu’en 1990. Continent par continent, région par région, Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au Centre national de recherche scientifique (CNRS), analyse, sur un mode très pédagogique, les origines économiques, démographiques, historiques, juridiques, politiques de ces déplacements de plus en plus nombreux. « Ce ne sont pas les plus pauvres qui partent, mais ceux qui disposent d’un réseau, d’une famille installée à l’étranger, d’un pécule quand le franchissement des frontières est impossible par les voies légales. La seule exception est la migration forcée des réfugiés, mais le tiers monde, producteur et receveur de ces flux, en accueille les trois quarts », note cette spécialiste des migrations internationales. Contrôle aux frontières, politique des quotas, centres de rétention : l’auteur s’intéresse également aux dispositifs législatifs mis en place par les pays riches pour tenter de contrôler ou de stopper ces mouvements migratoires et constate que « plus les frontières sont fermées, plus les gens s’installent, faute de pouvoir repartir et revenir ». La question de l’intégration des immigrés, celle de la fuite des cerveaux (26% des diplômés ghanéens, par exemple, travaillent aujourd’hui à l’étranger) ou celle liée au trafic des êtres humains destinés à alimenter le marché du travail des entreprises délocalisées en Asie font partie de ce tour d’horizon qui s’intéresse aussi aux liens développement-migration : « plus il y a de migration, plus il y a développement (en termes de transferts monétaires, culturels, voire démocratiques), plus il y a développement, plus il y a de migration (car les déséquilibres socio-économiques génèrent de l’exode rural et de nouvelles mobilités) ».

Atlas des migrations dans le monde, Réfugiés ou migrants volontaires, Catherine Wihtol de Wenden, Editions Autrement, 79 pages.

Fanny Pigeaud


La traite esclavagiste des Pays-Bas

« Mœurs inhumaines ! Escroquerie païenne ! On vend des hommes comme on vendrait des chevaux », écrit, en 1615, le dramaturge néerlandais Bredero, en faisant référence à la traite des Africains et à l’esclavage pratiquées par les Espagnols et les Portugais. La virulence de ses écrits n’empêche pas, cependant, que son pays, après avoir réussi à s’emparer d’une partie du Brésil portugais, mette en place, quelques années plus tard (en 1635), son propre trafic d’esclaves entre l’Afrique et le « Nouveau Monde ». Des conditions de leur achat à leur vie, une fois arrivés dans les plantations des Indes occidentales, en passant par les conditions effroyables de leur transport en bateau et le mode de fonctionnement des négociants : Pieter C. Emmer retrace le parcours de ces victimes mises au service de l’économie néerlandaise. Il lève en même temps le voile sur des pages peu connues ou occultées de l’histoire de son pays. Certes, la traite néerlandaise n’a pas représenté grand-chose à côté de celle pratiquée par la France ou la Grande-Bretagne, remarque ce professeur d’histoire de l’expansion européenne aux Pays-Bas. Mais, ajoute-t-il, elle était importante comparée à celle du Danemark ou de la Suède... Les Pays-Bas auraient pu se rattraper par la suite en jouant le rôle de pionniers dans l’abolition de la traite et de l’esclavage, qui ne leur étaient pas indispensables sur le plan économique. Mais là, aussi, ils ont eu nouveau « manquement d’ordre moral » puisqu’ils se sont finalement retrouvés, guidés par la cupidité, à la traîne du mouvement abolitionniste.

Les Pays-Bas et la traite des Noirs, Pieter C. Emmer, Karthala, 208 pages.

F.P.


La vie de Bob Marley en textes

(MFI) Nul besoin d’être un « fan » de Bob Marley pour trouver de l’intérêt à cet ouvrage (édité pour la première fois en français en 2000) qui reconstitue le contexte de création de chacune des chansons du leader des Wailers. C’est en effet à la fois l’histoire religieuse, sociale et politique de la Jamaïque que le parcours et les textes du chanteur – dont on suit par ailleurs le cheminement vers le rastafarisme – permettent de découvrir. L’album Survival, sorti en 1979, fait par exemple apparaître, en toile de fond, la violence politique et sociale dans laquelle l’île s’enfonce au cours des années 1970. La fusillade, qui avait visé Bob Marley, en 1976, et qui lui a inspiré une partie des textes de ce disque, en est la conséquence : « La balle qui frappa Marley n’était pas une balle perdue : elle lui était destinée. Elle concrétisait l’aboutissement de la rivalité politique qui déchire la communauté urbaine de Kingston depuis que l’Union Jack rouge, blanc et bleu a été remplacé par le drapeau vert, or et noir de la Jamaïque indépendante, lorsque le Royaume-Uni s’est retiré en 1962 », écrit Maureen Sheridan. Populaire auprès des deux principaux partis politiques, Bob Marley était alors de plus en plus perçu « comme un pont vers une unité qui n’était pas dans les meilleurs intérêts du système, dont la survie dépendait du maintien de ses luttes politiques tribales ». Avec le sentiment d’avoir été trahi par ses compatriotes, le chanteur restera jusqu’à sa mort, en 1981, très marqué par cet épisode qui l’amènera notamment à chanter la nécessité d’abandonner ses illusions. « Le seul moyen de protéger sa vie en Jamaïque est d’avancer avec défiance, et les yeux grands ouverts », dit-il ainsi en substance dans « Wake up and live ».

Bob Marley, les secrets de toutes ses chansons, Maureen Sheridan, Hors Collection éditions, 190 pages.

F. P.


La charia au Nigeria

(MFI) Comment et pourquoi douze des trente-six Etats de la République fédérale du Nigeria, géant du continent africain, ont-ils été amenés à adopter, en 2000 et 2001, la charia, la loi islamique ? Pour répondre à cette question, Alhadji Bouba Nouhou, anthropologue en poste à l’université de Bordeaux, s’est penché sur l’histoire de l’implantation et du développement de l’islam au Nigeria, ainsi qu’aux évolutions politiques et économiques, plutôt compliquées, du pays auxquelles il est évidemment très lié. Le chercheur retrace notamment le parcours d’Uthman dan Fodio, devenu commandeur des croyants, qui marque, au début du 19e siècle « la victoire décisive de l’aristocratie peule sur les émirs haoussa », et dont l’empire a été régi à la fois par la « tradition peule », la « tradition soufie » et la « loi coranique ». Il rappelle que depuis son indépendance, le Nigeria n’a pas réussi à créer une identité nationale : « Les appartenances ethniques ou régionales ont été renforcées par les différents régimes qui s’appuient sur telles ou telles particularités pour se légitimer », écrit-il, avant de noter que ce sont les crises économiques des années 1980 qui ont accentué le fossé « entre le Nord musulman, considéré comme détenteur du pouvoir économique et politique, et le Sud qui s’estime marginalisé ». Pour l’universitaire, l’adoption de la charia a également un lien direct avec le contexte politique et, plus précisément, avec l’arrivée à la Présidence de la République d’Olusegun Obasanjo, en 1999 : « Le retour soudain à la charia correspond à la réapparition d’un régime civil, occasion rêvée pour les mouvements islamiques de démontrer leur potentiel de mobilisation politique dans un contexte où le discours est surtout démagogique », note-t-il.

Islam et politique au Nigeria, Alhadji Bouba Nouhou, Karthala, 278 pages.

F. P.


Cinéma : petite collection en quête d’auteurs

(MFI) La création d’une nouvelle collection entièrement consacrée au cinéma est toujours une bonne nouvelle. Plutôt qu’à des cinéastes, celle des jeunes Editions de la Transparence s’attache à des œuvres singulières, « partant de l’assurance que l’amour du cinéma, c’est d’abord l’amour des films », comme l’assurent en avant-propos ses deux éditeurs, Cyrille Habert et le critique de cinéma – et philosophe – Jean-Christophe Ferrari. L’idée d’une collection de petits livres à prix réduit centrés chacun sur un film n’est pas nouvelle : elle est reprise d’une collection du British Institute of Films (BFI) dont certains titres ont d’ailleurs été traduits pour l’occasion : Le Violent (Nicholas Ray) et Dead Man (Jim Jarmusch). La liste des inédits est pour l’instant limitée à deux films, Remorques et In the mood for love, film-culte de Wong Kar-waï, mais elle devrait dans les mois qui viennent s’enrichir rapidement d’une demi-douzaine de titres, parmi lesquels La Ligne rouge (Terrence Malick), Les Amants crucifiés (Mizoguchi), Le Feu Follet (Louis Malle), Les Sept Samouraïs (Kurosawa), plus un volume collectif sur Lynch et un autre sur Gus Van Sant.

Editions de la transparence, collection Cinéphilie, co-dirigée par Cyrille Habert et Jean-Christophe Ferrari.

Elisabeth Lequeret


Cinéma, peinture : allers-retours

(MFI) Professeur de cinéma à l’Université, Jacques Aumont se passionne depuis toujours pour les rapports entre l’image cinématographique et la peinture. Il se livre ici en sept chapitres à une brillante exploration de toutes les puissances de la peinture, tel qu’elle apparaît dans ce qu’il nomme « le tissu filmique » : de Léonard de Vinci et de son rapport au clair-obscur, du jeu compliqué entre la lumière et les corps (qui l’arrêtent, la filtrent, ou l’absorbent) aux prolongements ultimes de l’art contemporain (les installations de Bill Viola). On en retiendra un remarquable passage sur l’usage de la surimpression (chez Hitchcock notamment) et un texte passionnant sur l’Annonciation, qui met les maîtres de la Renaissance italienne en contiguïté avec le travail d’un Pasolini ou d’un Godard.

Matière d’images, Jacques Aumont, Ed. Images modernes, 170 pages.
Du même auteur : Montage Eisenstein, 263 pages.

E. L.


UN AUTEUR A DECOUVRIR

Francophonie du Sud: la relève

(MFI) Le numéro d’été de Notre Librairie s’est intéressé de près à l’œuvre naissante de la nouvelle génération d’écrivains francophones. Poésie, truculence et foisonnement.


Sous le titre de « Plumes émergentes », la revue Notre Librairie vient de publier un volume estival remarquable consacré à la production littéraire contemporaine dans les pays francophones du Sud. Ce numéro donne la parole aux écrivains émergents de l’Afrique noire, du Maghreb, de la Caraïbe, de l’Océan indien. Ils ont pour noms Nassur Attoumani, Beyrouck, Hamid Skif, François Nkémé, Kettly Mars, Benoît Kongbo, Ahmed Ghazali, Nafissatou Dia Diouf, Edem... En tout, quatorze auteurs qui ont été choisis sur un total de deux cents manuscrits qu’un comité de sélection a épluché afin de brosser au plus près le portrait de la nouvelle génération d’écrivains francophones du Sud.
Le portrait qui se dégage est riche et séduisant. Les jeunes générations d’écrivains du sud ne manquent ni d’imagination ni de talent. Les auteurs sélectionnés en donnent la preuve quasiment à chaque page du numéro. Le volume s’ouvre sur un très beau texte sous la plume du Mauritanien Beyrouck, amoureux des oueds et des dunes. « Tout ce que je suis, je le dois à l’errance, au vent et à l’errance. J’ai parcouru tout nu l’immense espace qui me séparait de la vie, c’est-à-dire cette bande noire qui s’étend à perte de vue... », écrit Beyrouck. Le ciel a oublié de pleuvoir, le roman inédit du Mauritanien, appartient à la catégorie d’écritures à floraison tardive, mais par rapport à laquelle se définit parfois toute une génération de romanciers et de poètes.
Alors que Beyrouck laisse résonner à travers ses pages denses de poésie et de désespoir les voix des humiliés séculaires (femmes et esclaves) de son pays aux mœurs féodales, le Togolais Edem met en scène dans son roman à paraître, Port-Mélo, un univers éclaté, à mi-chemin entre le réel et l’hallucinatoire, dans lequel le lecteur procède en aveugle avec pour seuls repères les bruits et la fureur « d’un monde qui se brûle les ailes ». S’inscrivant résolument dans la tradition d’une littérature réaliste et engagée, le Camerounais François Nkémé laisse effleurer dans les pages de son roman Buyam Sellam son inquiétude face à une société fragile. Ce qui frappe d’emblée chez ces jeunes écrivains africains, c’est la « polyvalence dans leur démarche d’écriture », comme l’a noté Jean-Louis Joubert. En effet, ils sont presque tous poètes et prosateurs et s’expriment avec la même grâce dans les deux genres. La frontière entre les genres s’estompe également chez les nouveaux Caribéens et les Maghrébins, alors que la fiction demeure le genre préféré des écrivains émergents de l’Océan indien, pour qui l’écriture est un moyen de violer les tabous. Ce que fait avec une truculence quasi-rabelaisienne Nassour Attoumani de Mayotte, sans doute une des grandes découvertes de ce volume de Notre Librairie.
Enfin, ce qui fait l’originalité de ce numéro, c’est le couplage d’anciens et de modernes, érigé en principe structurant. La rédaction a eu l’idée de faire appel à des écrivains confirmés pour présenter les écrivains débutants. Kangni Alem, Ken Bugul, Florent Couao-Zotti, Frankétienne, Samlong et quelques autres aînés prestigieux ont été mis à contribution pour défendre les plumes émergentes de leurs pays respectifs. On regrettera seulement que ces rapprochements aient été dictés par la logique des littératures nationales plutôt que par celle des affinités d’imagination. Dommage, la spécificité de l’Afrique littéraire n’est-elle pas précisément d’être continentale avant d’être régionale ou nationale ?

Plumes émergentes, in Notre Librairie, n° 159, avril-juin 2005. Consultable sur le site de l’adpf: www.adpf.asso.fr

Tirthankar Chanda




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