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19/08/2005
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Le Cameroun, plaque tournante du trafic d’enfants
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(MFI) Les experts expliquent que la position géographique du Cameroun fait de lui, à la fois, un réceptacle des enfants venus des pays d’Afrique de l’Ouest, et un point de départ pour le Gabon et la Guinée Equatoriale. Une stratégie de lutte contre ce trafic intégrant l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest et du Centre vient d’être mise en place.
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Paul a quitté son village à une quarantaine de kilomètres au nord de Yaoundé, la capitale, à la recherche de son premier emploi. Sans qualification aucune, il a rapidement été engagé dans un garage pour une formation de tôlier, sur le tas. A son travail, on ne lui épargne pas les tâches les plus rudes. Lui, se contente du gîte et du couvert que lui offre le patron. Chantal est réduite à arpenter les rues les plus chaudes de Douala, la capitale économique aux nuits mouvementées. Des années déjà que sa mère l’a confiée à sa tante, tenancière d’une gargote qui, entre temps, a fait faillite, imposant du coup de nouvelles formes de débrouille, chacun étant obligé de contribuer au quotidien. On pourrait aussi penser à Blasius, venu de la région du Nord-Ouest anglophone. C’est un « bienfaiteur » qui l’a conduit chez un haut cadre de l’administration qui s’est lancé dans la culture du palmier à huile, aux environs de Yaoundé. Sa rémunération, il la reçoit de son bienfaiteur, seul habilité à négocier avec son employeur.
Paul, Chantal, Blasius auraient bien pu s’appeler autrement. Leur quotidien concentre à lui seul les cas de figures les plus fréquents du trafic d’enfants au Cameroun. Moins de 18 ans d’âge, une main d’œuvre bon marché, généralement issue des milieux pauvres, et négociée par des intermédiaires qui déplacent ces jeunes « contre rémunération, par dol ou par violence », selon les experts. Un phénomène jugé grave, à l’évidence. Les chiffres disponibles parlent d’eux-mêmes. Une étude menée entre mars et avril 2000 indique par exemple que 531 591 enfants étaient concernés par ce trafic dont le seul but est d’exploiter leur travail, soit 161 465 à Yaoundé, 103 824 à Douala, 14 611 à Bamenda (dans le Nord-Ouest anglophone) et 233 700 dans d’autres localités. En 2004, une autre étude révélait que 73 des 77 employeurs interrogés reconnaissaient spontanément avoir recours au travail des enfants.
« Une enfance en danger »
Une étude réalisée par l’organisation non gouvernementale Cercle international pour la promotion de la création (Cipcre), et menée entre septembre et décembre 2004 par le Cameroon society for prevention of child abuse and neglect (Caspcan), a par ailleurs pointé le cas précis de l’exploitation sexuelle des jeunes filles. Intitulée « Une enfance en danger », cette étude a révélé des statistiques qui en disent long sur ce phénomène : sur les 722 filles âgées de 9 à 20 ans qui ont fait l’objet de l’enquête, 291 ont été victimes d’exploitation sexuelle à des fins commerciales.
Selon les spécialistes, la situation géographique du Cameroun en a fait le pôle de plusieurs trafics, dont celui des enfants. D’une part, le pays « reçoit » des enfants venus de pays comme le Nigeria, le Bénin, le Niger, le Tchad, le Congo ou encore la République centrafricaine, le Togo et le Mali. Ces enfants sont exploités dans les petits métiers, le secteur informel, et parfois dans l’industrie de la prostitution par les ressortissants de leur propre pays. D’autre part, le Cameroun est réputé constituer un point de départ pour les enfants destinés au trafic. Les spécialistes affirment ainsi que « le Gabon et la Guinée Equatoriale viennent d’être identifiés comme principales zones d’accueil et d’exploitation des enfants enlevés et déplacés au Cameroun ». Les mêmes sources indiquent que certaines victimes de ce phénomène, identifiées en Europe et aux Etats-Unis, ont été recrutées au Cameroun par des intermédiaires qui ont fait valoir des carrières en football, des études et l’apprentissage de « bons métiers ».
Premier bilan l’an prochain au Burkina Faso
L’arsenal législatif dont s’est doté le Cameroun pour combattre « cette nouvelle forme de criminalité » n’est cependant pas encore rigoureusement dissuasif. Le pays n’avait donc d’autre choix que celui de se joindre aux efforts engagés par les autres Etats d’Afrique de l’Ouest et du Centre, où le trafic des enfants est là aussi jugé préoccupant. C’est ainsi que la deuxième réunion spéciale des chefs de police et d’Interpol, sur le trafic et l’exploitation des enfants dans cette partie du continent, s’est achevée début août 2005 sur une série de recommandations à la mesure des défis à relever.
On y trouve pêle-mêle le renforcement de l’échange des informations de police ; la mise en place d’un fonds de soutien aux actions de réinsertion des enfants victimes de la traite ; l’élaboration, l’adoption et la mise en application d’une loi spécifique sur la traite et la circulation des enfants à l’intérieur et à l’extérieur de leur pays ou encore l’organisation d’opérations de police en collaboration avec tous les bureaux centraux nationaux Interpol. Ont également été retenus la mise en service effective d’un numéro de téléphone vert au niveau de chaque Etat à l’usage du public dans le but de dénoncer tout acte présumé de traite et d’exploitation d’enfants, l’intégration dans les programmes de formation des forces de l’ordre de la question relative à la traite et à l’exploitation des enfants, la création d’unités spécialisées dans la prévention et la répression de la traite des enfants. Les responsables de cette lutte contre le trafic des enfants doivent se retrouver l’année prochaine au Burkina Faso pour faire un premier bilan.
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Valentin Zinga
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