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MFI HEBDO: Culture Société Liste des articles

16/09/2005
Chronique Livres

L'essentiel d'un livre
L’africanisme en question

(MFI) Récusant une approche passionnelle du continent, l’historien Alain Ricard se propose de renouveler le discours africaniste. Il milite pour une nouvelle discipline, fondée sur un solide savoir et sur le dialogue avec ses intellectuels.


« Tout discours sur l’Afrique, et en particulier l’Afrique noire, ne peut-il relever que de la passion, voire de la compassion ? », s’interroge Alain Ricard dans son nouveau livre qu’il a intitulé La Formule Bardey, en référence à Alfred Bardey, négociant lyonnais en soie du 19e siècle. Ce dernier est resté dans les annales pour avoir embauché un certain Arthur Rimbaud pour représenter sa maison sur les plateaux éthiopiens. Lui-même voyageur inlassable, Bardey parcourait les contrées africaines, sans romantisme, évitant soigneusement les pièges qui conduisirent le président de la Société de géographie de Paris à lui demander s’il avait rencontré en Afrique des « hommes à queue » ! Lucide et peu enclin à courir après les mythes et les théories extravagantes qui coloraient alors la vision du continent noir, le patron du poète des Illuminations recommandait pour sa part aux voyageurs d’aborder l’inconnu avec lucidité et courage, en faisant preuve de « confiance, d’optimisme et de solidarité » à l’égard des autochtones. Formule qu’Alain Ricard fait sienne et qui anime la vingtaine d’articles que compte son nouveau livre consacré, comme le rappelle le sous-titre, aux « voyages africains ».
C’est en effet en voyageur que Ricard aborde l’Afrique, voguant à travers l’espace physique et mental d’un continent qu’il connaît bien. En tant que spécialiste des langues et cultures africaines, a réuni dans la première partie de son ouvrage des textes évoquant quelques-unes de ses expériences africaines les plus significatives : son séjour à Ibadan dans les années 1970, l’apprentissage du rituel de graissage des pattes des douaniers, les concert-parties au Togo, l’attente déçue de la forteresse flottante de Stanley sur le lac Victoria, le recueillement obligatoire devant le monument de la paix en lisière de la ville de Tombouctou... Ces expériences, racontées sur le mode initiatique, sont pour l’auteur l’occasion de montrer la diversité et la complexité du vécu africain, irréductible aux idées générales qui continuent de problématiser la vision occidentale de l’Afrique. Mais complexité n’exclut pas humour, sarcasme, ironie dont sont empreints ces textes, éminemment lisibles et à mille lieux des « essais journalistiques » et autres « pesants traités » que la vie africaine semble susciter, au grand regret d’Alain Ricard.
Plus sérieuse, la deuxième partie du livre invite le lecteur à rencontrer les créateurs et écrivains qui ont compté pour l’auteur et qui constituent, selon lui, une voie d’accès précieuse à la connaissance de l’Afrique. Amos Tutuola, Felix Couchoro, Ebrahim Hussein, Zinsou, la nouvelle génération d’écrivains togolais (Kossi Effoui et Kangni Alem) et bien évidemment Wole Soyinka dont « l’œuvre propose une pensée de la liberté à travers une pratique esthétique et des textes que les concepts d’engagement ou de militantisme ne peuvent pas épuiser », écrit Ricard. Celui-ci attire également l’attention sur l’accent que le Nobel nigérian a toujours mis sur l’histoire africaine (la traite et le colonialisme). Il faut lire ce livre dense et lumineux qui nous donne à réfléchir sur notre manière de penser l’autre - africain, en l’occurrence - et nous propose de nouveaux repères pour refonder un africanisme bien mal en point.

La formule Bardey : voyages africains, Alain Ricard. Ed. Confluences, « Traversées de l’Afrique », 280 pages.

Tirthankar Chanda


Les maléfices de la femme en rouge

(MFI) Comme elle se joue de l’espace et des lois de la pesanteur sur scène, la danseuse a décidé de s’amuser du joueur de tennis. Cet ancien amant rencontré un soir de bal constitue une proie idéale pour la femme seule et un brin désenchantée qu’elle est devenue. La danseuse initie alors une relation faite de rendez-vous hebdomadaires et de passion charnelle. Désorienté, le champion se fait maladroit et lourd comme le vieux joueur qu’il est devenu. La danseuse lui rappelle qu’il n’est plus le sportif qui faisait chavirer les foules. Lui téléphoner ? Inutile. Lui proposer une nouvelle vie en commun ? Incongru. Face à cette inlassable renvoyeuse, le joueur n’a d’autre ressource que de narrer par le menu l’histoire à sa femme. Mêlant habilement les voix de la danseuse, du champion et de son épouse, Anne Bragance livre un court roman aux accents parfois durassiens. Qui, de la danseuse maîtresse des règles du jeu, du mari infidèle et de l’épouse à la fois complaisante et désespérée est le plus cynique ? Le lecteur appréciera. Une chose est certaine, l’auteur fait habilement monter le sentiment de catastrophe imminente en utilisant le procédé des témoignages successifs des protagonistes et tient le lecteur en haleine jusqu’au tragique dénouement de l’histoire. Un joli roman sur le désespoir d’aimer.

Danseuse en rouge, Anne Bragance. Ed. Actes Sud, « Un endroit où aller », 169 pages.

Geneviève Fidani


Thriller en Mésopotamie

(MFI) Que se passe-t-il à Mari, petit royaume de Mésopotamie ? Deux assassinats au palais en moins d’un an, dont celui de son assistant Irdizzi, sèment le trouble dans l’esprit du devin royal Asqudum. Ce dernier se met alors à enquêter mais ne découvrira la terrible vérité qu’au terme de journées qui manqueront de lui coûter la vie. Entre-temps, le lecteur est entraîné dans un véritable thriller ayant pour décor la citadelle, le palais royal et les rues de Mari. Les personnages troubles y foisonnent de même que les innocents bafoués, les veuves et les orphelins. L’intrigue, plutôt bien ficelée, sert également de prétexte à une visite guidée des cités des bords de l’Euphrate vers 1750 avant notre ère.
Laurent Martin, enseignant et écrivain passionné d’archéologie, s’est adjoint les services d’Anne Gautier, régisseur au service des expositions du Musée du Louvre et spécialiste de la Mésopotamie. Du coup, leur livre offre également une foule de renseignements sur l’habitat, l’architecture, l’urbanisme, la nourriture, le vêtement et les mœurs dans les royaumes proches de la grande Babylone. On ouvre ce livre comme un roman policier, on le termine en ayant appris une foule de choses sur une contrée dont la civilisation fut aussi brillante que mystérieuse. Un tel plaisir ne se refuse pas.

Des ombres sur l’Euphrate, Anne Gautier et Laurent Martin. Ed. Le Serpent à plumes, 310 pages.


G. F.


Voyage à Lisahohé

(MFI) Avec Lisahohé, le Togolais Théo Ananissoh livre un premier roman nostalgique et très littéraire. Mariant habilement la nostalgie du pays natal et les thématiques habituelles de la littérature engagée postcoloniale, ce jeune écrivain a construit un récit touchant de quête personnelle, sur fond de turbulences politiques. L’action de ce roman se déroule dans une petite ville de province dans un pays africain répondant au beau nom de Lisahohé (« la maison blanche de Lisa »). Le narrateur, qui est originaire de ce pays, y revient après quinze années d’absence, avec la vague volonté d’y puiser la matière d’un livre. Il descend dans un hôtel pittoresque où aurait logé autrefois André Gide. L’ombre du grand écrivain français plane sur le récit dès les premières pages où une phrase du Journal des Faux-Monnayeurs est citée en exergue. Mais ce sont plutôt le Voyage au Congo et le Retour du Tchad qui sont rappelés à la mémoire par l’implacable réquisitoire sur le pouvoir issu de l’indépendance par lequel s’achève le roman d’Ananissoh. Si l’écriture de ce dernier ressent par endroits la composition scolaire, son art très sophistiqué de raconter une histoire mêlant le personnel et l’historique, le réel et le mythique, emporte la conviction.

Lisahohé, Théo Ananissoh. Ed. Gallimard, « Continents noirs », 136 pages.

T. C.


Prince, anatomie d’une rock star

(MFI) Débutant au début des années 1980, devenu star internationale en 1984 avec « Purple Rain », Prince est l’un des meilleurs performers du monde. Avec des titres comme « 1999 », « Kiss », ou encore « The most beautiful girl in the world », il a révolutionné la planète Rhythm and Blue et continue de dominer le paysage musical, même si les années 1990 ont vu son étoile décliner au fil de ses conflits avec la Warner, sa compagnie de production. Le plus psychédélique des rockers fait désormais l’objet d’une courte biographie (signée du journaliste de radio Stéphane Boudsocq) publiée par Musicbook. Lancée en 2001, cette collection a déjà à son actif plus de trente biographies de chanteurs et de groupes, de Bob Marley à Vanessa Paradis en passant par Jean-Jacques Goldman et Johnny Hallyday. Composé d’un long texte riche en anecdotes, complété d’une discographie détaillée, d’un cahier de photos et d’une Webographie (guide des sites web les plus fréquentés de l’artiste), nul doute que ce livre ravira ses fans.

Prince, Purple King, Stéphane Boudsocq, Express éditions, 200 pages.

E. L.


L’Afrique mise à nu par ses dessinateurs

(MFI) Il n’y a pas que quinze auteurs de bande dessinée réunis dans cette collection intitulée BD Africa, les Africains dessinent l’Afrique. Sous la houlette de Ptiluc, dessinateur belge qui, lors d’un voyage à Kinshasa découvre que ses « compatriotes belges n’y avaient pas importé que des bibles et des fusils pour venir ratisser le pays : ils y avaient aussi amené Tintin et Spirou » , cette compilation rassemble aussi quinze façons de voir le continent africain, quinze styles de planches, quinze états d’esprits… Autant de petites histoires qui racontent les « Afriques » : de la plus triviale qui soit (une affaire de coucheries) à celles plus sombres du Sud-Africain Daan ou du Malgache Jari en passant par des planches assez drôles et cyniques du Congolais Al’Mata. La vie, la mort, les filles, la guerre, la sorcellerie, le sexe : tout y passe.

BD Africa, Albin Michel, 80 pages.

Nathacha Appanah


Mesurer la pauvreté au Sénégal

(MFI) Plusieurs systèmes de calculs permettent aujourd’hui de mesurer le niveau de pauvreté d’une population. En 1997, le Pnud a notamment mis au point l’indice de pauvreté humaine (IPH), venu compléter les indices de Foster, Greer et Thorbecke, utilisés pour évaluer la « pauvreté monétaire ». Les auteurs de cet ouvrage estiment cependant que les chiffres obtenus grâce à toutes ces formules mathématiques ne sont pas suffisants pour comprendre ce que signifie « être pauvre », même s’ils permettent de faire des comparaisons. Cette équipe de chercheurs démontre même que leurs résultats aboutissent parfois à des représentations contradictoires. La solution pour mieux appréhender le problème ? Le « terrain », évidemment. L’équipe s’y est rendue et livre ici le résultat d’enquêtes et d’entretiens réalisés auprès de 424 ménages sénégalais dans les villes de Dakar et de Kaolack. « La quête perpétuelle de ressources, la fatigue et le stress ont fait que j’ai vieilli avant l’âge », témoigne une mère de famille, qui, comme les autres, sait qu’être pauvre, c’est être quotidiennement confronté à des problèmes d’accès à l’eau, à l’électricité, au logement, aux soins, à l’éducation, à l’emploi et à une solidarité familiale souvent mise à mal. Ceux qui ont recueillis tous ces témoignages espèrent qu’ils pourront aider à mieux comprendre la spirale de la précarité et surtout à construire la vision stratégique à moyen ou à long terme, qui fait aujourd’hui cruellement défaut à tous les plans dits de « lutte contre la pauvreté ».

La pauvreté au Sénégal, des statistiques à la réalité, Jean-Paul Minvielle, Amadou Diop, Aminata Niang, Karthala, 286 pages.

Fanny Pigeaud


Dans les coulisses de la Maison Blanche

(MFI) Le 21 novembre 2001, quelques semaines seulement après l’attaque des Twin Towers, George Bush aborde l’éventualité de renverser Saddam Hussein avec un Donald Rumsfeld (son secrétaire à la Défense) plus que réticent. Le 20 mars 2003, 241 516 membres des forces armées américaines, 41 000 Britanniques, 2 000 Australiens et 200 Polonais envahissent le territoire irakien. Entre ces deux dates, que s’est-il passé ? C’est ce que décrit Bob Woodward dans Plan d’attaque, une enquête de plus de 600 pages décrivant par le menu le long processus qui a conduit à la chute de Saddam Hussein. Pour ce journaliste américain à l’aura mythique (en 1971, lui et son compère Carl Bernstein ont révélé le scandale du Watergate, qui entraîna la chute du président Nixon), le pouvoir américain n’a guère de secrets. Les personnages du petit théâtre qu’il nous présente ici avec force détails se nomment George (Bush), Condoleezza (Rice), Dick (Cheney), Colin (Powell), mais la dimension la plus impressionnante du livre n’est pas le coup de projecteur qu’il donne sur les coulisses de la Maison Blanche. Bien plus, c’est la somme d’hésitations, d’ordres et de contre-ordres, de négligences et de désinformation massive qui semblent avoir présidé à la prise de décision. Un document sur les arcanes du pouvoir, terrifiant comme il se doit.

Plan d’attaque, Bob Woodward, Ed. Du Seuil, Folio, 645 pages.

Elisabeth Lequeret


La pauvreté, concept à définir

(MFI) Pourquoi, en dépit de ressources incontestables, les pays d’Afrique du Nord et du Moyen Orient (ANMO) ne sont-ils pas parvenus à réduire la pauvreté depuis les indépendances ? Pourquoi celle-ci progresse-t-elle, creusant le fossé qui sépare les élites et les masses ? C’est à ces questions que s’efforçait de répondre le séminaire organisé par le laboratoire URBAMA (Centre d’études et de recherches sur l’urbanisation du Monde arabe-Université de Tours) au Caire en 1998. Les 22 chercheurs arabes et européens qui y ont participé voient aujourd’hui leurs contributions regroupées en un ouvrage unique. Celui-ci s’intéresse à la fois aux causes de la pauvreté (échec des grands programmes étatiques, déficit démocratique) et à leurs conséquences (réflexe identitaire, sentiment d’injustice sociale, rejet de la politique des grandes puissances et montée de l’islamisme). Encore faut-il nuancer le propos dans la mesure où il est difficile de comparer entre eux les pays de l’ANMO. Quel point commun en effet entre la Mauritanie et les monarchies pétrolières du Golfe ? Comment comparer un pays de la taille de la Tunisie aux immensités désertiques de son voisin algérien ? Dans ce contexte, les textes émanant de chercheurs de terrain -consacrés à la santé, à l’habitat, aux femmes de ménage- prennent un relief particulier et facilitent la lecture d’un ouvrage dont l’abord pouvait sembler rébarbatif.

Dynamiques de la pauvreté en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, sous la direction de Blandine Destremau, Agnès Deboulet et François Ireton, Karthala, 517 pages.

Geneviève Fidani


Esclave d’aujourd’hui

(MFI) Mende a environ douze ans quand elle est enlevée par des Arabes dans son village des Monts Nuba, au sud du Soudan où elle vivait avec ses parents. Violée, vendue comme esclave, elle échoue dans une riche famille de Khartoum où elle restera sept ans avant d’être envoyée à Londres chez la sœur de sa maîtresse. Cette dernière, épouse d’un diplomate de l’ambassade du Soudan, n’adoucit guère ses conditions de vie. Brimades, humiliations, coups et travail quotidien sans jour de congés ni rémunération sont le lot des petites esclaves noires qu’on imagine trop soumises pour oser un jour se rebeller. Pourtant, Mende Nazer osera. Profitant de l’absence de ses « maîtres » qui l’ont confiée à un couple d’amis, la jeune femme finit par évoquer son drame et par trouver le courage de s’enfuir avec la complicité de Soudanais rencontrés par hasard. Elle vit aujourd’hui à Londres, où elle jouit de l’asile politique, et fait des études d’infirmière. Séparée de sa famille depuis plus de dix ans, elle espère pouvoir entrer un jour en contact avec eux. Ce livre rappelle que les pratiques esclavagistes n’ont pas disparu, loin s’en faut. Au Soudan comme en Haïti et dans bien d’autres pays, des enfants et des jeunes femmes privés d’identité sont contraints de vivre et de travailler sous les ordres de « maîtres » souvent maltraitants. Au Royaume-Uni, la sortie de ce livre a provoqué une vague d’émotion et une mobilisation contre l’esclavage.

Ma vie d’esclave, Mende Nazer avec Damien Lewis, L’Archipel, 355 pages.

G. F.


L’Histoire par ses grands hommes

(MFI) Les éditions Bayard viennent de lancer la collection « Histoire », une série de courtes biographies qui seront regroupées sous deux thèmes : « Les grands hommes d’Etat » et « Les conflits religieux ». Cette collection est née de la volonté de faire connaître au lecteur le contenu des conférences qui se tiennent depuis octobre 2002 à la Bibliothèque nationale de France en collaboration avec la revue Histoire. Ces courtes biographies ne prétendent évidemment pas être exhaustives. Il s’agit plutôt de mettre en valeur un thème ou un moment-clé de l’histoire au travers du destin d’un grand homme. Les quatre premiers volumes sont consacrés à Jules Ferry (par Mona Ozouf), Gamal Abdel Nasser (par Jean Lacouture), Pierre Mendès France (par Michel Winnock) et Catherine II (par Hélène Carrère d’Encausse). Ils illustrent des thèmes aussi variés que laïcité, démocratie, relation des femmes au pouvoir et rapport entre pays arabes et occidentaux. Chaque volume est suivi d’une courte chronologie permettant de resituer l’homme dans son contexte.
En septembre paraîtront les deux premiers livres sur les conflits religieux : Henri IV (par Emmanuel Le Roy Ladurie) et Napoléon (par Jean Tulard). Rédigés par les meilleurs spécialistes, ces petits livres pourront se révéler précieux pour les lycéens et étudiants désireux de comprendre tant l’histoire politique que celle des idées. Ils constituent aussi un moyen facile d’aborder l’Histoire, toujours moins austère quand on la considère par le biais des hommes qui l’ont faite.

Les grands hommes d’Etat, collection Histoire, Bayard-Bnf, 80 pages.

G. F.


Hitchcock sur le divan

(MFI) Psychanalyse et philosophe, vivant entre son pays d’origine, la Slovénie, et les Etats-Unis, Slavoj Zizek a travaillé des objets d’étude très divers qui vont de la politique au droit et du totalitarisme à la psyché collective. Dans cet ouvrage, c’est le cinéma qu’il soumet à son regard incisif, très imprégné des théories lacaniennes. Quatre réalisateurs – Tarkovski, Lynch, Hitchcock et Kieslowski – occupent pour l’heure ses pensées : autant de monstres, pour reprendre ses propres termes, « d’où sortent des créatures qui viennent vers moi. Mon rôle consiste à les anéantir ou à les apprivoiser par la pensée avant qu’elles ne me dévorent. » On ne s’étonnera pas dans ces conditions que le dernier sujet d’études de Zizek soit Darth Vador.

Lacrimae rerum, Slavoj Zizek, Editions Amsterdam, 270 pages.

E. L.


Tout… sur la télévision

(MFI) Récemment, Jon de Mol, le producteur de « Big brother », expliquait que c’est un soir où, arpentant les rues d’Amsterdam, il regardait les intérieurs parfaitement éclairés des maisons, que l’idée de l’émission lui est venue. On a beaucoup glosé depuis sur les effets pervers de la téléréalité, sur la porosité vertigineuse de la frontière privé/public qu’elle instaure, sur la fiction devenue parasite du réel. Professeur à la Sorbonne, François Jost se passionne depuis toujours pour la télévision, développements et dérives comprises. L’intérêt de ce petit ouvrage, outre le fait qu’il est débarrassé des oripeaux moraux généralement indissociables de tout débat sur « la fée du logis », tient à ce qu’il aborde un terrain assez peu défriché en s’attachant à établir un lien entre contenu des programmes et logique des chaînes, bref, entre ce qu’en langage trivial on nomme « le contenu et les tuyaux ».

Comprendre la télévision, François Jost, Armand Colin Cinéma, 125 pages.

E. L.


Un classique du féminisme, enfin traduit en français

(MFI) Définir une politique féministe sans le support d’une identité sexuelle aux contours bien définis ? Dès sa parution en 1990, Gender Trouble est devenu la bible des théoriciens radicaux qui tentent de déconstruire les notions de genre et de sexualité. Devenu un classique, l’ouvrage est désormais le cœur de la politique « queer », où, en substance, il ne s’agit pas de défendre les notions de communauté et de contre-culture, mais de bousculer la notion même d’hétérosexualité en la dénaturalisant. Hypothèse hautement subversive, qui vaudra logiquement au livre d’être le moteur d’âpres controverses et à son auteur une aura on ne peut plus sulfureuse : n’est-elle pas la seule personne au monde à avoir subi les attaques du pape Benoît XVI (alors cardinal Ratzinger) et d’une philosophe féministe radicale ?

Trouble dans le genre, Judith Butler, La Découverte, 283 pages.

E. L.


Mariage, mode d’exploit

(MFI) En France, on dit qu’un mariage sur trois se conclut par un divorce. Quel avenir pour la plus belle fiction jamais inventée par le monde occidental, le mariage d’amour ? Roland de Pury, un cousin de Denys de Rougemont (auteur de L’amour et l’Occident) soulignait qu’« en Occident, on se marie parce qu’on s’aime, en Orient on s’aime parce qu’on se marie : […] dans la moitié du monde, la liberté à deux n’existe ni au départ, ni pendant la vie de couple et, face à l’anarchie et à l’instabilité familiale de l’Occident, les sociétés africaines et asiatiques disent : “C’est nous qui avons raison”. » Olivier Abel tente ici de redéfinir les contours du mariage et de son principe fondateur, le divorce (hypothèse hardie, brillamment exposée dans ces pages) : pour ce professeur de philosophie qui assoit son analyse sur de doctes exemples (John Milton, Bertrand Russell), cette dernière institution, bien au-delà de la sphère privée, revêt une dimension sociale qui en fait « un acte fondateur de la modernité politique ». Style incisif et précision pédagogique font de ce petit ouvrage subtilement polémique un régal.

Le mariage a-t-il encore un avenir ?, Olivier Abel, Bayard, 165 pages.

E. L.


Un auteur à découvrir
Nathacha Appanah : la littérature ou la vie

(MFI) Avec son nouveau roman qui raconte les dilemmes d’une écrivain tiraillée entre ses devoirs de mère et l’écriture, la Mauricienne Nathacha Appanah s’impose comme une des grandes voix de la francophonie.


La noce d’Anna est le troisième roman de Nathacha Appanah. C’est sans doute le livre le plus abouti, le plus maîtrisé sous la plume de cette jeune Mauricienne qui n’a cessé de nous surprendre, tant par la beauté tragique de ses histoires que par son écriture intense et poétique. Révélée en 2003 par le très émouvant Les rochers de Poudre d’Or, Appanah racontait dans ce premier roman l’histoire de sa communauté venue de l’Inde lointaine pour trimer dans les champs de canne de Maurice. A travers les destins tragiques de ses quatre protagonistes qui quittent leur pays natal à la recherche d’un Eldorado hypothétique de l’autre côté du kalapani (« l’Eau noire »), ce roman met en scène la naissance de la nation mauricienne. Paru un an plus tard, Blue Bay Palace est un roman d’amour tragique qui prend pour cadre une Maurice écartelée entre mer et soleil. Campé dans la France contemporaine où Nathacha Appanah a choisi de vivre depuis 1997, son nouveau roman est très différent de ces deux ouvrages. Dans La noce d’Anna, le pays natal est réduit à un souvenir sombre et l’auteur a délaissé l’histoire collective pour une histoire personnelle bâtie autour de la sempiternelle concurrence entre la littérature et la vie.
« Il faut que je raconte doucement. Avec calme, sans me presser… » Ainsi parle la narratrice de La noce d’Anna : Anna est sa fille, sa fille unique qui se marie ce jour fatidique du 21 avril où le destin de la fille comme celui de la mère vont changer. Comme une tragédie antique, tout le récit est contenu en ces 24 heures, du matin du jour de mariage d’Anna au lendemain matin lorsque cette dernière retrouvera sa mère dans le lit avec un nouvel amant ! Et pourtant celle-ci s’était bien juré d’être une mère comme il faut : « digne, bien coiffée, bien maquillée souriante, prête à des conversations que je suivrai avec un enthousiasme feint et qui ne me laisseront aucun souvenir, parée pour butiner d’invitée en invitée, mère parfaite que je serai aujourd’hui. » Or Sonia n’a jamais été une mère parfaite. Loin s’en faut. Mère célibataire, elle se souvient d’avoir élevé sa fille « maladroitement », de l’avoir souvent négligée pour assouvir sa passion première qui est l’écriture. Hantée par le monde d’imagination qu’elle tente douloureusement de ressusciter dans ses romans poétiques et confidentiels, elle n’a jamais fait de gâteaux pour sa fille, ni tricoté d’écharpes, ni cousu de robes, comme le faisaient les autres mères. Sonia n’a jamais pris le temps non plus de raconter à sa fille le mystère de son père anglais, disparu avant sa naissance, alimentant ainsi l’incompréhension qui n’a cessé de grandir entre mère et fille tout au long des années. Mère et fille vont s’affronter une dernière fois le jour de la noce d’Anna pour enfin se retrouver.
Ce roman est porté par la lucidité et la sobriété avec lesquelles son auteur peint les affres de la passion humaine. Mais les lignes parallèles ne se rejoignent-elles pas dans l’infini ? C’est vers cette convergence heureuse que tendent les dernières pages de La noce d’Anna où la narratrice-héroïne aux ambitions littéraires frustrées rencontre l’homme de sa vie. Celui-ci s’appelle « Roman » !

La noce d’Anna, Nathacha Appanah. Gallimard, « Continents noirs », 148 pages.

T. C.




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