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16/09/2005
La petite fabrique de l’art africain

(MFI) Anthropologue et rédacteur en chef des Cahiers d’études africaines, Jean-Loup Amselle s’attache dans son dernier ouvrage à dessiner les contours de l’art africain contemporain, mais surtout à délimiter, à travers celui-ci, la place qu’occupe l’Afrique dans l’imaginaire occidental. Art primitif, art premier ? Art tribal ? Jusque dans la dimension sémantique, l’art africain apparaît comme un objet de malentendus entre l’Occident et l’Afrique.

Expositions à succès et ventes-records : moderne ou traditionnel, l’art africain a le vent en poupe. Le Centre Pompidou lui ouvre ses espaces prestigieux et consacre un étage entier à Africa Remix, la plus grande exposition jamais dédiée, à Paris, à ses plus récents développements : peintures et sculptures, mais aussi installations et vidéo-art. Et dans quelques mois s’ouvrira, toujours à Paris, quai Branly, un musée entièrement consacré aux arts africains traditionnels, remplaçant de l’historique musée des arts africains et océaniens de la Porte dorée. Dans ce cadre, peut-on, doit-on parler d’un malaise dans l’art africain ?
Anthropologue, grand connaisseur de l’art africain, de ses circuits de production et de distribution, Jean-Loup Amselle répond par l’affirmative dans un petit essai vif et provocateur, dont le titre plante déjà quelques banderilles polémiques au cœur du sujet. « L’art de la friche », pourquoi ? Le jeu de mot Afrique/A friche qui fournit son titre au livre prend son sens dans cette ambiguïté fondamentale : la friche désigne en effet un lieu désaffecté et délaissé que l’artiste contemporain s’approprie comme source d’inspiration.


« je suis un artiste et rien d’autre »

L’Afrique offrirait donc, dans l’inconscient d’un Occident en perte de vitesse créative, l’horizon d’un renouvellement des formes et des matériaux, en bref d’une deuxième jeunesse ? L’hypothèse n’est pas nouvelle. Fondamentalement, de Delacroix ou Matisse partant renouveler au Maghreb une inspiration vacillante à un Miguel Barcelo retrouvant sous le soleil malien un nouveau combustible artistique, nulle différence de nature. Pas de quoi fouetter un chat (ni a fortiori un commissaire-priseur), si la démarche ne bouleversait à rebours le regard porté par l’Occident sur l’art africain. Art ou Afrique, quand nous voyons une pièce d’art africain, que voyons-nous ? Africa Remix en offre une (désolante) réponse : n’entre pas ici en ligne de compte la qualité – certaine – des œuvres sélectionnées, mais plutôt les critères d’exposition d’une exposition qui, partant d’un intitulé global exposait dans la même foulée des œuvres aussi disparates – dans leur forme et leur inspiration – qu’une installation sur la mémoire de l’immigration algérienne en France et… des sculptures faites à partir d’armes de la guerre en Angola, mines et bombes. « A l’imputation abusive d’art et d’artiste africain venant des Occidentaux correspond le jeu sur le référent pratiqué par les artistes d’Afrique, sous la forme d’un balancement entre le “je suis un artiste et rien d’autre” et “je possède néanmoins une sensibilité d’Africain.” », note Amselle avec pertinence.
Le dernier chapitre du livre, « Vers la FrançAfriche », n’est pas le moins polémique. Il s’agit ici d’examiner le réseau artistique français en Afrique, centres culturels, écoles, rencontres de chorégraphie et de photographie, festivals tels que le Fespaco ou fondations. Ces institutions engendrent selon Amselle une forme de domination plus subtile, mais aussi nocive que celle des régimes coloniaux, en plaçant sous le boisseau occidental le développement des industries culturelles africaines, et en laissant à une poignée de décideurs le choix de l’artiste sélectionné, selon des critères plus ou moins discutables. S’il faut parler ici de malaise et non de crise c’est parce que la vitalité de l’art du continent entre moins en cause que les raisons de ce choix où se formate l’art africain, telle qu’il est perçu depuis l’Occident des galeristes et des grandes expositions internationales, Biennale de Venise, Documenta de Kassel, Fiac parisienne , etc.
« Si l’Afrique, une certaine Afrique, est en vogue en Occident, si elle fascine, c’est au prix d’un désintérêt foncier pour ce continent. A ce titre, la marginalisation économique et politique de l’Afrique pourrait bien être la rançon de la fascination d’ordre proprement esthétique qu’elle exerce sur le monde développé. » Difficile de mieux résumer le paradigme de la Françafrique.

Elisabeth Lequeret


L’art de la friche, essai sur l’art africain contemporain, Jean-Loup Amselle, Flammarion, 210 pages.



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