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30/09/2005
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L’Europe conquise par les musiciens africains
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MFI) De Londres à Stockholm, de Berlin à Madrid, les artistes du continent africain font désormais partie du paysage musical occidental. Tour de piste.
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Salif Keita, Youssou Ndour, Manu Dibango, Césaria Evora ou Alpha Blondy sont les parrains d’une nouvelle génération qui sillonne l’Europe de scène en scène, apportant une part de rêve et d’évasion à un public européen en mal de dépaysement. Les voyages immobiles se font désormais dans les salles de spectacles, et les grands festivals européens n’hésitent pas à programmer chaque année leur lot d’artistes du continent pour apporter l’éclectisme indispensable aux attentes du public. Pour Ibrahima Sylla, le producteur malien qui a fait connaître Ismael Lô, Salif Keita et Mory Kante, les multinationales du disque ont besoin de réunir sur leur catalogue leurs artistes africains, même si elles ne sont pas prêtes à y investir les mêmes sommes que pour les Anglo-Saxons. Car les albums servent davantage de « plaquettes » pour monter des tournées qu’à générer des ventes de CD pour lesquelles l’investissement marketing doit toujours être conséquent. Rokia Traoré, qui a produit elle-même son album Bowmboï avant de le défendre sur toutes les scènes d’Europe, a réussi à décrocher un disque d’or en France grâce à ses spectacles et à séduire l’Angleterre, l’Allemagne et la Scandinavie. José da Siva, le producteur de Césaria Evora, a signé de nombreuses licences de distribution pour sa diva en Pologne, en Russie, en Croatie, en Tchéquie ou en Bulgarie. Chaque année, à l’occasion du Midem, il n’est qu’à voir le nombre de contrats signés pour comprendre que la musique africaine est entrée dans la cour des grands.
Subtil équilibrisme
Même les stars de la scène rock européenne ont besoin de travailler avec les artistes africains. Damon Albarn, chanteur du groupe Blur et star de la pop anglaise, a réalisé voici deux ans un superbe album intitulé Mali Music avec Toumani Diabaté et Afel Bocoum. Manu Chao, lui, a travaillé avec le couple malien Amadou et Mariam à l’album Taxi Bamako, numéro deux des ventes au mois d’août en France et sorti dans toute l’Europe grâce à ce parrainage.
Car c’est bien là la tendance, pour les artistes africains, que ces rencontres multiculturelles avec des artistes européens de renom. Youssou Ndour l’avait bien compris, lui qui s’était ouvert le marché français en collaborant au milieu des années 1980 avec Jacques Higelin, puis le marché anglo-saxon avec Peter Gabriel. Ce sont les duos qui contribuent le mieux à faire connaître les artistes africains. Libre à eux de reprendre ensuite leur autonomie pour une nouvelle carrière, parallèlement à celle qu’ils mènent au pays, dans la sous-région ou sur tout le continent.
Subtil équilibrisme. Entre les nombreux festivals qui se montent en Afrique, où ils servent de parrains à la jeune génération, et les contrats en Europe qui génèrent des recettes substantielles, il est réellement difficile de répondre à toutes les sollicitations, et c’est toujours en Europe que les cachets sont les plus conséquents. De Budapest à Glasgow en passant par Bruxelles, Carhaix, en Bretagne, ou Montreux, les artistes africains sont à l’affiche de tous les festivals d’été. Au festival Sziget de Budapest, l’un des plus importants de l’été, les Touaregs maliens de Tinariwen partageaient l’affiche avec les Sénégalais Baba Maal et Youssou Ndour. Tiken Jah Fakoly poursuivait, lui, sa longue tournée entamée en octobre 2004. Quant à Amadou et Mariam, stars de l’année, ils ont été à l’affiche de tous les grands festivals européens et représentent avec leurs chansons empreintes de gaieté et de simplicité une image positive de l’Afrique. Avec Mariam, qui revendique l’héritage de Sheila, et Amadou, celui de Jimi Hendrix, le couple est la bonne surprise de l’année et une grande fête les attend à l’Olympia à l’automne après une tournée aux Etats-Unis.
Youssou Ndour est quant à lui la tête d’affiche du concert pour les 60 ans de l’Onu à Genève le 8 octobre avec le Rwando-Canadien Corneille, révélation musicale 2004, qui sortira cet automne un album très attendu. Tiken Jah Fakoly profitera, lui, du Womex, le grand marché des professionnels de la world music qui se tiendra fin octobre à Newcastle en Angleterre, pour montrer toute l’étendue de son talent aux Anglo-Saxons, qui ne le connaissent pas. Car si l’Europe est une, les goûts musicaux diffèrent selon les pays. Et même s’il joue devant 30 000 personnes à Bamako ou à Carhaix, Tiken Jah se doit de jouer devant 500 professionnels s’il entend confirmer son statut d’héritier de Bob Marley.
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Pierre René-Worms
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