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28/10/2005
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Le monde en rouge et noir : communisme, bilan et utopies
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(MFI) « Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas », écrivait Malraux. Nul doute que la religion du siècle précédent, s’il en eût une, fut le communisme. En trois heures et demie d’archives inédites, La Foi du siècle explore le mystère d’une machine totalitaire qui a séduit une partie de l’humanité : de la révolution de 1917 à la perestroïka gorbatchévienne.
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Communisme, quel bilan ? Des espoirs par milliers, des militants par milliards, des morts par millions. « Le communisme a suscité sur tous les continents, à travers quatre générations et sept décennies, l’engagement fraternel et généreux de centaines de millions de femmes et d’hommes qui ont servi l’un des systèmes les plus injustes et les plus sanglants de l’histoire » : par ces mots s’ouvre La foi du siècle, documentaire au long cours consacré par Patrick Rotman et Patrick Barbéris à l’histoire du communisme : plus de 3 heures et demi d’archives sur lesquelles court la voix du dramaturge Patrice Chéreau, lisant un texte pédagogique rédigé par Rotman. Deux DVD pour quatre périodes : de 1917 à 1928, l’utopie au pouvoir ; 1929-1939 : le communisme et son double ; 1940-1953 : l’apogée ; 1954-1993 : une fin sans fins.
En 1917, une nouvelle aube semble se lever sur l’humanité : avec la Révolution d’Octobre, la dictature du prolétariat a pris la Russie pour creuset, Lénine et Trotsky pour prophètes. Cette parenthèse – pas si enchantée – durera bien au-delà de la Deuxième Guerre mondiale. L’armistice signée, l’URSS se pose en champion de la lutte antinazie aux yeux d’un monde qui a vite oublié le pacte germano-soviétique. En France, le PCF se glorifie d’être le parti des 750 000 fusillés. Quand, en 1947, l’URSS refuse le plan Marshall, la planète se scinde en deux blocs : la Guerre Froide a commencé.
Un tacticien sans pitié
Anti-fascisme et anti-capitalisme : durant des années, c’est ce double visage qui, partout dans le monde assurera les beaux jours du communisme. Il y a bien les procès de Prague et de Budapest, mais ils ne suffisent pas à ternir son image, et le second DVD montre ces images sidérantes d’anciens apparatchiks s’auto-flagellant lors de procès truqués de leur appartenance au monde « bourgeois ». « J’ai trop à faire avec les innocents qui clament leur innocence pour m’occuper des coupables qui clament leur culpabilité », note brutalement Paul Eluard, poète officiel du PC français.
Cette ère se clôt avec la mort de Staline. Son successeur, le bonasse Khrouchtchev, prouve bien vite que sous son inamovible sourire gît un tacticien sans pitié : dans le rapport qui gardera son nom, il dénonce les crimes staliniens, tout en en affranchissant le parti communiste. Dans les années 1950 et 1960, de Cuba à la Chine de Mao en passant par Ho Chi Minh, « le révolutionnaire en sandales », c’est la planète entière qui semble arborer les couleurs marxistes. « Au début des années 1950, la moitié du monde est sous le drapeau rouge », note Patrick Rotman, tandis que défilent à un rythme assourdissant les images de propagande, dont les plus folles ne sont pas celles suivant l’exploit de Gagarine, en 1961. La conquête du cosmos, inscrite dans la mythologie communiste ? « L’exploit de Gagarine résume la supériorité du communisme sur la capitalisme », claironne fièrement un speaker de radio.
Il faudra les années 1970 et 1980, génocide cambodgien et balseros cubains, pour jeter une ombre sanglante sur ce tableau. En URSS, c’est Soljenitsyne qui, avec son Archipel du goulag, met à nu la dimension totalitaire du régime. L’intervention de l’armée russe, en 1979 en Afghanistan, en 1981 en Pologne, sonne le glas des derniers espoirs. En 1985, Gorbatchev tente de libérer l’URSS de l’emprise du parti : perestroïka et glasnost au menu. Pour le communisme, la messe est dite.
La Foi du siècle, une histoire du communisme,Patrick Rotman et Patrick Barbéris, Editions Arte Vidéo, 2 DVD.
Elisabeth Lequeret
« Je ne suis pas raciste mais… »
(MFI) L’été 1960, un cinéaste et un sociologue hantent quelques lieux emblématiques de la capitale parisienne : Halles, place de la Concorde, parvis du musée de l’Homme, place du Trocadéro… A tous les passants, Jean Rouch et Edgar Morin posent la même question : « Etes-vous heureux ? » Petite expérience d’ethnologie in vivo qui se transforme insensiblement en cours de film, tandis que leur caméra suit des interviewés de moins en moins anonymes jusque dans leurs appartements, où s’échangent parfois opinions, points de vue et polémiques autour d’un repas. Intitulé Chronique d’un été, le film qui en résulte offre un instantané d’une France encore terriblement après-guerre, s’acheminant sans grand enthousiasme vers les Trente Glorieuses : ouvriers désabusés clamant leur lassitude, au matin, de retrouver l’usine et ses cadences infernales ; désarroi d’un étudiant revenu de tout : amour, université, lutte politique, engagements divers. Dans sa chambre de bonne, une jeune Italienne avoue sa fatigue de vivre sans chauffage, elle qui vient d’une « famille assez bourgeoise » (à cet instant, le discret coup d’œil que Morin lance vers la caméra semble irradier une gêne toute pré-soixante-huitarde). Mais c’est très clairement Rouch qui donne au film son orientation. Chronique d’un été retrouve tous les ingrédients de Moi, un Noir (1958) : une manière de filmer caméra à l’épaule et sans chichis, une façon, surtout, d’affirmer que le cinéma est avant tout affaire de regard, de point de vue, d’engagement. Chez Rouch, le lien filmeur-filmé se place d’emblée sous le signe de la réciprocité : ainsi, quand Marceline Loridan (proche collaboratrice du cinéaste) déclare à l’issue d’un déjeuner que l’on devine arrosé qu’elle ne pourrait jamais épouser « un Noir », selon le vieil air connu du « Je ne suis pas raciste mais… ». Et de subir le feu roulant des questions d’un Rouch roublard et narquois, avant d’avouer dans un fou-rire qu’elle se souvient tout de même d’un impérissable moment de danse, aux bras d’un Africain, un certain 14 juillet...
De quoi est-il question ici ? Pas seulement des interférences ou des affinités électives entre fiction et documentaire, mais de l’incroyable redéfinition des contours de la narration qui s’opère à travers la fabulation de chacun. Noter la contribution rouchienne dans l’émergence de la modernité cinématographique, c’est prendre la mesure de cet engagement, mais aussi de l’ouverture du plan à l’arbitraire, à l’inattendu d’une moue, d’un rire, d’un lapsus ou d’une crise de larmes. Les Jeunes Turcs de la Nouvelle Vague l’ont bien compris, eux qui ont dans la foulée dynamité les assises du cinéma à la papa (films de studios, acteurs momifiés, lourdeur industrielle et léché artisanal) en introduisant dans le cinéma le souffle de la rue et de la jeunesse. C’est clair, leur père fondateur se nomme Jean Rouch.
Chronique d’un été, Jean Rouch et Edgar Morin, DVD Arte Vidéo, 23 euros.
E. L.
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