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28/10/2005
Cinéma : Ben Barka sur les écrans

(MFI) Dans J’ai vu tuer Ben Barka, le cinéaste français Serge Le Péron raconte les dernières semaines de l’opposant marocain par le biais d’une fiction centrée sur Georges Figon, petit malfrat et maillon central du dispositif qui, un jour d’octobre 1965, a permis son enlèvement en plein Paris et son assassinat.

C’est l’histoire d’un petit marlou parisien, plutôt beau gosse, mi-voyou, mi-dandy, voguant au gré des courants avec les politiciens d’une Ve République ventripotente ou les anciens tueurs de la Gestapo, reconvertis dans les fructueuses combines de l’après-guerre. Toujours sur la brèche et pas très regardant sur les contours de la légalité, tel était Georges Figon : fréquentations et lectures d’intellectuel parisien (Proust, Malraux) et bagou de titi élevé sur les barricades de 1945.
C’est l’histoire d’un idéaliste, théoricien de la décolonisation et professeur de mathématiques, passant d’Engels à Thalès avec l’avidité intellectuelle de ceux qui savent leur temps compté. Georges Figon, donc, et Mehdi Ben Barka. Par quelle grimace de l’Histoire deux destins aussi antinomiques ont-ils pu se trouver indissolublement liés ? C’est l’écheveau que dévide Serge Le Péron dans J’ai vu tuer Ben Barka.
Le vendredi 29 octobre 1965, Figon a rendez-vous avec Ben Barka. Au leader marocain, en visite à Paris, il a fait miroiter une alléchante proposition : être le conseiller technique d’un documentaire sur les mouvements de libération nationale d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine. Dans sa poche, quelques atouts et non des moindres : Marguerite Duras écrira le scénario, tandis que Georges Franju est pressenti pour réaliser le film. Le temps presse : Basta ! doit faire l’événement de la Conférence tricontinentale de La Havane, en janvier 1966. Quand Ben Barka arrive devant la brasserie Lipp, au lieu du déjeuner de travail attendu, deux policiers français lui demandent de les suivre. On ne le reverra plus vivant. Pourquoi l’opposant est-il monté en toute confiance dans leur voiture ? Avait-il rendez-vous avec les Marocains (avec qui il poursuivait d’hypothétiques négociations), devait-il, comme d’autres l’assurèrent plus tard, rencontrer le général de Gaulle ? Quel fut le degré d’implication exact des autorités françaises, de la CIA, du Mossad ? Quarante ans après les faits, l’ombre du secret-défense plane encore sur le dossier.


Les chemins du film noir

Dès son ouverture, J’ai vu tuer Ben Barka emprunte les chemins du film noir : ambiances nocturnes et jazzy, voix off revenue d’entre les morts, à la Chandler, structure éclatée en trois parties : « L’approche », « Les affaires se gâtent » « Les assassins ». Plutôt que Ben Barka, c’est Figon qui occupe le cœur d’un film hanté par le mensonge et les illusions – pas encore perdues – d’une génération. Celles de l’idéaliste Ben Barka peut-être, celles, plus pragmatiques, de Figon et de sa compagne, midinette préposée aux rôles de soubrette mais se rêvant tragédienne. Vivre dans des réduits minables, mais se voir dans les draps de satin de la haute, drôle de mélange où l’ombre d’Aristophane plane sur les pages de Cinémonde. C’est Citizen Kane revu et corrigé par Shakespeare, un peuple d’idiots carbonisés au feu de leurs fantasmes.
Qui, au juste, a vu tuer Ben Barka ? Certainement pas Figon : s’il a servi d’appât, celui-ci n’a pas assisté au meurtre. A l’image de son titre, le film de Le Péron déploie peu à peu sa toile, faite de mensonges et de non-dits, au fil desquels un homme, puis deux, trouveront la mort. En ce sens, le film n’est pas seulement le décompte, minutieux et précis, des derniers moment de Figon, suivant de peu dans la tombe Ben Barka, mais la chronique d’une époque tiraillée entre les cimes de l’utopie et le terrain de la Realpolitik, envolées lyriques et manœuvres au petit pied. Du pas de coupable au tous coupables, le pas est mince et vite franchi. Car c’est aussi la fin de l’innocence que scelle J’ai vu tuer Ben Barka, la pâteuse désillusion d’un monde qui se rêvait meilleur et se réveilla, à l’aurore des années 1980, avec une terrible gueule de bois.

Elisabeth Lequeret


Sortie en France le 2 novembre 1965



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