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25/11/2005
Chronique Littérature

L'essentiel d'un livre
Au commencement était la prière : textes sacrés d’Afrique noire

(MFI) C’est en 1965 que fut publiée cette anthologie des textes sacrés d’Afrique noire : des textes initiatiques, mais surtout des prières adressées aux dieux, aux génies, aux ancêtres, dans une vingtaine d’ethnies d’Afrique. La prestigieuse collection « L’Aube des Peuples » des éditions Gallimard vient de la rééditer pour le bonheur de tous ceux qui s’intéressent à ces œuvres des origines.


Saluons d’abord le travail et le sérieux qui caractérisent cette œuvre composée de textes authentiques traduits et non remaniés ou résumés, et présentés par des spécialistes de ces peuples et de ces cultures. Saluons aussi le souci d’offrir un panorama sur toute l’Afrique, depuis le Mali jusqu’au Zululand. Bien sûr toutes les ethnies ne sont pas représentées, mais en 1965 les travaux du père Gravrand sur les Sérère, de Monique Guessain sur les Bassari, de L.V. Thomas sur les Diolas n’avaient pas encore vu le jour : ceci pour expliquer l’absence du Sénégal.
Ce panorama propose donc un large éventail des sentiments religieux négro-africains animistes et permet de constater la diversité des expressions, même si les besoins et les croyances diffèrent assez peu. La plupart des prières ont trait aux activités des populations rurales : prière pour la chasse, pour la pêche, pour les troupeaux, pour la fertilité, pour la fécondité et la prospérité. Beaucoup aussi sont préventives contre les calamités de l’existence : la maladie, la sécheresse, la mort, les mauvais sorts. Mais on trouvera aussi quelques textes magiques, qui pour maîtriser un serpent, qui pour se rendre invisible, qui pour tuer son ennemi, ou séduire une femme... Nous ne sommes pas très loin du Livre des Morts de l’Ancienne Egypte où magie et religion ne sont point séparées.
Dans l’ensemble, les Africains prient Dieu, mais plus souvent les dieux, les esprits, les animaux, les totems, les ancêtres. Certes, la préface d’Hampâté Bâ insiste sur le monothéisme, et prend surtout ses références chez les Peul et les Bambara. Il définit la suprématie d’un Dieu comme cause originelle de l’existence des êtres. Mais comment expliquer alors que même chez les Peul, pourtant influencés par l’islam, on prie pêle-mêle Mahomet, Dieu, les génies maîtres des tisserands et des forgerons, et les ancêtres ? Par ailleurs, les cultes et prières des Yoruba, des Fon, des Ewe, des Songhay, des Tehokwe, des Nyanga s’adressent explicitement à des panthéons de dieux, où le créateur (quand il existe) n’a aucun rôle. Du reste, la tendance au syncrétisme qui associe volontiers aux cultes animistes les croyances musulmanes et chrétiennes confirme cette autre affirmation d’Hampâté Bâ sur la très grande tolérance religieuse des peuples africains.
Pour finir, il faut signaler dans cette riche anthologie la difficulté que rencontrent les auteurs à situer ces prières et ces cultes dans les différents systèmes de pensée qu’il n’est pas aisé de résumer en une ou deux pages. Certains textes, comme ceux que présente Jean Rouch, sont pourvus d’un appareil de notes qui leur rend toute leur profondeur. Mais c’est rare ; le plus souvent, bien des formules demeurent énigmatiques pour le profane. Rien cependant n’a encore remplacé cet ouvrage pionnier qu’il est utile de relire aujourd’hui, quitte à le compléter par des ouvrages spécialisés. Bien utile non seulement pour apprécier l’immense travail des anthropologues, mais aussi pour comprendre mieux l’Afrique d’aujourd’hui.

Textes sacrés d’Afrique noire. Choisis et présentés par Germaine Dieterlen. Collection « L’aube des peuples », Ed. Gallimard, 305 pages, 22,50 euros.

Lilyan Kesteloot


Au-dessus du volcan

(MFI) « Je dis que les événements se déroulent comme dans un univers romanesque et que la réalité, excellente conteuse du jour et de la nuit, nous vole la vedette, l’écrivain étant réduit, désormais à chercher des mots introuvables, dans un chaos où seule la vie, rien que la vie et l’amour qui l’accompagne méritent d’être défendus », écrit Tanella Boni dans l’avertissement par lequel elle a choisi d’ouvrir son nouveau roman, Matins de couvre-feu. Aveu d’impuissance de l’écrivain face à une réalité condamnée à la surenchère ? Pouvait-il en être autrement dans ce pays assis au-dessus du volcan qu’est la Côte d’Ivoire, et que Tanella Boni raconte ici sous le couvert de la fiction ?
A Zamba, une femme est assignée à résidence pour avoir hébergé, écouté un homme dont la présence dérange le pouvoir. Restauratrice à Zambaville, capitale d’un pays en guerre calquée sur Abidjan, celle-ci va mettre à profit ses longues journées de prisonnière pour réfléchir à l’histoire de sa famille, étroitement liée à celle de son pays. La colonisation, l’indépendance, quarante ans de régne sans partage du Patriarche qui a tenu Zamba d’une main de fer, l’incapacité de ses héritiers à faire fructifier l’héritage... Puis, l’arrivée des Anges au discours socialisant. Ils montent sur le trône tant disputé par les différents clans et le pays s’enfonce petit à petit dans le sable mouvant d’un enfer sans fond. On ne sort pas indemne de ces pages écrites dans un style alerte et métaphorique et où s’étalent le désespoir et la révolte que suscite chez l’auteur le drame qui déchire son pays. Matins de couvre-feu a obtenu le prix Ahmadou Kourouma décerné dans le cadre du Salon du livre africain de Genève.

Matins de couvre-feu, de Tanella Boni. Ed. Le Serpent à Plumes. 316 pages, 19,90 euros.

Tirthankar Chanda


Icare au pays des abikus

(MFI) Née d’un père anglais et d’une mère nigériane, Jessy est une petite Londonienne précoce qui déteste l’école. C’est pourtant une élève brillante : elle vient d’être transférée en cours d’année à la classe supérieure. Or depuis qu’elle est dans cette nouvelle classe, elle est en proie à des crises d’hystérie, ce qui ne manque pas de susciter les moqueries de ses camarades. La plus dure est Colleen McLain qui lance un jour à la cantonade : « Jessamy a peut-être toutes ces attaques parce qu’elle n’arrive pas à décider si elle est noire ou blanche. » Méchante mais perspicace, Colleen sait mettre le doigt là où ça fait mal. Métisse, la petite Jessy se sent déchirée entre le monde européen de son père et le monde yoruba de sa mère et les attaques cruelles de ses camarades ne font qu’accroître son désarroi. Alors, elle s’enferme dans son univers imaginaire, se cache parfois dans le placard pour lire. Inquiets, ses parents décident de l’emmener au Nigeria, espérant que la rencontre avec la famille de sa mère l’aidera à repartir d’un bon pied. C’est lors de ce voyage que Jessy fait la connaissance de la petite TillyTilly qui lui ressemble. Mais celle-ci est une petite fille mystérieuse dotée de pouvoirs magiques. Elle ouvre les portes fermées à clé et connaît par cœur le contenu des livres sans les avoir jamais lus ! Elle suit Jessy à Londres où elle la pousse à faire les 400 coups dont les conséquences seront fatales.
Abiku malfaisant, TillyTilly serait-elle la réincarnation de la jumelle de Jessy morte à la naissance ? Toujours est-il que cette présence énigmatique entraîne La petite Icare du côté du fantastique et du merveilleux, avec un soupçon de tragique. Son auteur, Helen Oyeyemi, est une jeune Nigériane de 20 ans qui a puisé son inspiration chez les Tutuola et les Ben Okri pour raconter dans ce premier roman quasi-onirique son propre vécu d’Africaine écartelée entre deux civilisations. L’originalité de son imagination et l’habileté de sa narration font de cette benjamine de la nouvelle génération de romanciers nigérians l’écrivain la plus prometteuse que les éditeurs d’outre-Manche s’arrachent à prix d’or.

La petite Icare, par Helen Oyeyemi. Traduit de l’anglais par Isabelle Chapman. Ed. Plon, 372 pages, 21,50 euros.

T. C.


A la recherche des vies perdues

(MFI) Parce que sa vie personnelle est un naufrage et que son meilleur ami a disparu au Cambodge, Jacques Fernandez choisit de partir à son tour dans ce pays en rejoignant l’ONG Mea Culpa (sic). Sur place, il découvre un pays violent et attachant que les Khmers rouges ont laissé exsangue et que les survivants du génocide peinent à reconstruire. Succombant sans lutter aux charmes faciles de l’Orient, le héros se lance à la recherche de son ami Christophe entre le Cambodge, la Thaïlande et le Vietnam. Au terme de sa longue quête personnelle et d’une enquête émaillée de difficultés et de dangers, Jacques Fernandez connaîtra enfin le sort du disparu et apprendra à se connaître lui-même. Au-delà de son intrigue, le roman de Michel Marie est un long message d’amour adressé au peuple cambodgien et un hommage rendu à son indéfectible courage. La description des charniers laissés par les Khmers rouges et des conditions de vie douloureuses des Cambodgiens dans les années quatre-vingt ne peuvent qu’émouvoir. Ce livre a valeur de témoignage sur l’état du Cambodge à la fin de la dictature sanglante de Pol Pot et de ses troupes. Le lecteur se sent en revanche moins complice des états d’âmes des expatriés. Si ces derniers regorgent de bon sentiments à l’égard du peuple khmer, les raisons de leur démarche ne sont jamais très claires. Et l’on a souvent l’impression que la contemplation du malheur véritable est un pansement pratique pour les petites misères laissées à des milliers de kilomètres.

Battambang ! Battambang ! Michel Marie, Dorval Editions, 388 pages, 30 euros.

Geneviève Fidani


Dans les labyrinthes de la terreur

(MFI) « Je veux comprendre comment la femme de ma vie m’a exclu de la sienne, comment celle que j’aimais comme un fou a été plus sensible au prêche des autres plutôt qu’à mes poèmes. » Ainsi parle le personnage principal du nouveau roman de l’Algérien Yasmina Khadra : L’attentat. Un roman magnifique où il est question de mort, de révulsion, de haine. Arabe israélien, Amine voit son monde s’effondrer lorsqu’on l’appelle au milieu de la nuit pour lui apprendre sans ménagement que la kamikaze qui s’est fait exploser dans un restaurant de Tel Aviv n’est autre que sa femme. A partir de ce moment-là, tout bascule pour ce jeune chirurgien qui va entreprendre un voyage initiatique dans les territoires occupés de la Palestine pour comprendre le cheminement de son épouse, un cheminement qui est aussi celui de tant de jeunes hommes et femmes qui se sont fait exploser au nom d’une cause meurtrière. Cette plongée dans l’univers de l’absurde et de la frustration permettra-t-elle à Amine de comprendre le sens de la haine qui est en train de consumer son peuple ? Avec ce nouveau roman d’une écriture incandescente, l’Algérien Khadra s’impose comme une des voix incontournables des lettres francophones.

L’attentat, par Yasmina Khadra. Ed. Julliard, 268 pages, 18 euros.

T. C.


Un auteur à découvrir
Russell Banks, chroniqueur de la mauvaise conscience américaine

(MFI) C’est dans le Liberia contemporain que l’Américain Russell Banks a situé l’intrigue de son dernier roman American darling. Le récit s’ouvre sur un rêve prémonitoire que vient de faire le personnage principal : « Après bien des années où j’ai cru que je ne rêvais plus jamais de rien, j’ai rêvé de l’Afrique. » Le rêve sera ainsi le point de départ d’une aventure hors du commun.


L’héroïne de cette aventure est Hannah Musgrave. Narratrice et personnage principal du nouveau roman d’un des maîtres de la fiction américaine contemporaine, elle a longtemps vécu en Afrique, au Liberia plus précisément, avant d’en être expulsée pendant la guerre civile. Elle y a laissé un mari décapité sous ses yeux et ses trois fils devenus meurtriers à leur tour. Elle y retournera pour retrouver les traces de ses fils, quittant sa ferme « écologique » des Adirondacks. Ce retour sera aussi pour elle l’occasion de se remémorer ses origines bourgeoises, sa jeunesse révolutionnaire et puis son départ pour l’Afrique où elle épousa le Dr Woodrow Sundiata, un ministre libérien en pleine ascension sociale. Elle se remémore aussi son travail avec les chimpanzés, ceux-là même qu’elle avait transportés pendant la guerre civile sur une île-refuge avant de devoir les abandonner à leur sort. Les pages consacrées aux liens qui se créent entre les primates et leur surveillante sont les plus belles de ce livre. Elles ont conduit le sud-africain Coetzee, admirateur inconditionnel de Banks, à affirmer que « les seuls personnages qui agissent humainement dans ce livre sont les animaux ».

Des romans campés dans les tropiques

Auteur d’une quinzaine de romans et de recueils de nouvelles, Russell Banks a souvent campé ses récits dans les tropiques, explorant à travers une « bipolarité » géographique symbolique les rapports de domination et d’incompréhension qu’entretient l’Amérique avec cet ailleurs lointain et pourtant si proche. Déjà dans Le Livre de la Jamaïque (1980), l’un de ses premiers ouvrages, il mettait en scène à travers l’expérience d’un anthropologue de New England en manque d’exotisme, l’effondrement des certitudes du Blanc colonisateur face à un monde inconnu et énigmatique. Son beau roman Continents à la dérive, nominé pour le prestigieux prix Pulitzer lors de sa parution en 1986, se situe dans le monde des contrebandiers et des boat-people haïtiens. A travers les destins croisés d’un contrebandier blanc et d’une réfugiée haïtienne qui, fuyant la misère de son île, tente de se réinventer, Banks explore la politique de la race qui sous-tend, selon lui, l’histoire américaine depuis 1492 jusqu’à aujourd’hui.
Cet intérêt jamais interrompu de Russell Banks pour le tiers monde et les tropiques s’inscrit également dans la logique générale de son œuvre : un travail profondément engagé qui explore, dans la traditon des grands romanciers américains (Dos Passos, Steinbeck, Faulkner), les fractures sociales de son pays et de son temps. Ainsi, son roman le plus connu, Sous le règne de Bone (1995), réécrit l’histoire de Huckleberry Finn en la situant en partie dans le monde de la délinquance juvénile des « inner cities » et en partie dans le tiers monde de la Caraïbe.
Né dans une famille pauvre de la Nouvelle-Angleterre, d’un père plombier alcoolique, atteint de brusques accès de violence, Banks a puisé les modèles de ses histoires de privations, de misères, d’exclusion sociale dans sa propre enfance. Venu un peu par hasard à l’écriture, il s’en sert pour conjurer les fantômes d’un passé qui ne passe pas. « L’écriture a donné un sens à mon existence et elle m’a permis, aime-t-il répéter, en racontant l’histoire d’autres personnes, de rendre cohérente mon histoire personnelle. »

American darling, par Russell Banks. Traduit de l’anglais par Pierre Furlan. Ed. Actes Sud, 393 pages, 24 euros.
Les précédents livres de Banks sont également disponibles aux Ed. Actes Sud.

T. C.




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