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MFI HEBDO: Culture Société Liste des articles

22/12/2005
Chronique Littérature

L'essentiel d'un livre
Retour au pays rêvé

(MFI) Qu’est-ce qui pousse un jeune architecte d’origine algérienne parfaitement « intégré », à vouloir à tout prix connaître la terre de ses ancêtres ? Le sentiment de n’être pas tout à fait chez lui dans cette « France-terre-d’accueil » dont on lui rebat les oreilles depuis sa naissance. Little Big Bougnoule, premier roman-conte doux amer de Nor Eddine Boudjedia, suit pas à pas l’itinéraire de cet homme en quête d’identité.


Nul doute que le héros de Nor Eddine Boudjedia soit un peu son double. L’auteur, né en 1962, conseiller d’éducation et enseignant formateur dans un IUFM de la région parisienne, appartient à cette génération qui a cru un moment qu’être né après la guerre suffirait à faire oublier de part et d’autre les tragédies nées du conflit franco-algérien. Las, après une enfance passée à essuyer des insultes de la part de ses camarades de classe français, le héros qui occupe une position sociale enviable et échappe aux contrôles d’identité dans le métro, ne parvient toujours pas à reconstituer son identité éparpillée entre les deux rives de la Méditerranée.
En attente de l’avion qui doit le ramener vers ses origines, le narrateur porte un regard empreint de tendresse et d’ironie sur ses semblables, si différents, sur ces hommes et ces femmes si loin, si proches. Ceux-là ne retournent au bled que pour l’été, nantis de toutes les dérisoires richesses qu’offre la vie en France. Il y a ces femmes, de la première génération, au ventre alourdi par les grossesses multiples, environnées des odeurs d’une cuisine qu’elles ne quittent guère. Ces hommes au regard vide chiquant leur tabac et les plus jeunes, bardés de téléphones portables et porteurs de « grolles de sport à grande virgule ». Partout, une humanité tiraillée entre son port d’attache et son point d’origine. A l’arrivée, sonné par la chaleur et le voyage, le voyageur est pris en main par un étrange personnage surgi de nulle part et surnommé Mozart. Emmené chez lui, il entreprendra un voyage initiatique immobile, jalonné de rencontres marquantes.
Avec ce premier roman, Nor Eddine Boudjedia fait une entrée remarquée dans le monde des lettres. Son livre, chaleureusement accueilli par la critique au moment de la rentrée littéraire en France, est pétri d’une langue à la fois poétique et pleine d’humour. L’auteur sait aussi faire preuve d’une distance de bon aloi pour aborder un sujet aussi grave que celui de la confrontation des cultures. Plus qu’un essai politique sur l’intégration dans les banlieues, son texte parle à tous ceux qui ont été touchés de près ou de loin par le problème, sans irriter le « Gaulois » rarement enclins à l’autocritique. Le succès de Little Big Bougnoule auprès des lecteurs de la communauté maghrébine est révélateur. Sur Internet, les blogs qui lui sont consacrés témoignent d’un enthousiasme d’ordinaire réservé à Jamel Debbouze. Comme ce dernier, Nor Eddine Boudjedia témoigne de la vitalité de la culture maghrébine en France, entretenue par des jeunes gens décomplexés. Son livre est une double bonne nouvelle : il signale la naissance d’un écrivain et montre la voie d’une réconciliation possible entre les peuples par le biais de la poésie. On attend le deuxième avec impatience !

Little Big Bougnoule, par Nor Eddine Boudjedia. Editions Anne Carrière, 170 pages, 16 euros.

Geneviève Fidani


René Depestre célèbre le fleuve noir

(MFI) L’année 2005 a été une année faste pour les aficionados du poète et romancier haïtien René Depestre. Après plusieurs année de silence, celui-ci a publié coup sur coup deux livres: le premier, un recueil de poésies intitulé Non-assistance à poètes en danger ; le second, Encore une mer à traverser, est un volume d’essais. Ce dernier titre est emprunté au Martiniquais Aimé Césaire, poète solaire qui, on le sait, a eu une influence fondamentale sur la pensée et la poésie de Depestre. « Il y a encore une mer à traverser/oh! encore une mer à traverser/pour que j’invente mes poumons... », écrivait l’auteur du Cahier d’un retour au pays natal. Pour le poète nomade haïtien qui s’est proclamé « nègre aux vastes espoirs » dès ses premiers poèmes parus en 1945, cette expression renvoie à l’aventure culturelle et spirituelle de sa race qui s’est libérée en l’espace de cent ans de ses jougs séculaires pour se jeter tel un fleuve dans l’océan des hommes libres et égaux. Le nouveau défi auquel elle doit aujourd’hui faire face est celui de la mondialisation. Une nouvelle mer à traverser, après celle de l’esclavage, de la colonisation et de la ségrégation ? S’ouvrant sur cette épopée du peuple noir qui se poursuit, Encore une mer à traverser est aussi un livre d’hommages aux grands poètes qui ont compté pour Depestre, de Senghor à Césaire, en passant par Jacques Roumain et Léon-Gontron Damas. Il se clôt sur Haïti, principale source d’inspiration et motif de l’oeuvre d’un poète qui n’a jamais cessé de célébrer son île natale tout en s’en éloignant physiquement jusqu’à s’enraciner au coeur de l’Occitanie en France. Non-assistance à poètes en danger allie, pour sa part, l’érotisme et la politique, les deux constantes de l’oeuvre de Depestre, et fait le bilan poétique d’une vie dédiée à la poésie, à l’amour et à la révolution.

Non-assistance à poètes en danger, par René Depestre. Editions Seghers, collection « Autour du monde », 90 pages, 13 euros.
Encore une mer à traverser, par René Depestre. Editions La Table Ronde, 200 pages, 17 euros.

Tirthankar Chanda


La reine Tout raconte tout

(MFI) On connaît peu de choses sur Toutankhamon, le roi d’Egypte de la XVIIIe dynastie, monté sur le trône à l’âge de 9 ans et mort dans des conditions obscures à 18 ans. Dans son dernier ouvrage Moi, Toutankhamon, reine d’Egypte, Nabil Naoum mêle l’histoire et l’imagination pour explorer le mystère de la vie et la mort de Toutankhamon dont le « malheur est causé par les hommes de guerre et les hommes de religion ». Les révélations se suivent : le roi est une reine ! Dès son jeune âge, elle est obligée de se déguiser en garçon car « la femme ne peut régner ». Elle est trahie par sa mère, et son grand vizir et le régent Aÿ. Mais la trahison la plus insupportable est celle de son chef des armées Horemheb qui est par ailleurs son amant et père de l’enfant qu’elle porte. Le militaire complote avec le régent pour prendre le pouvoir, éloigne de plus en plus la jeune reine de ses sujets, et la conduit à la mort quand la dissimulation de sa grossesse n’est plus possible sous ses habits de jeune homme. Mais la reine Tout « dont le destin est de mourir d’avoir aimé » reste amoureuse de son Horemheb jusqu’à ses derniers souffles.
Ce beau récit est aussi une célébration des femmes d’hier et d’aujourd’hui qui souffrent de la soumission et refusent la supériorité de l’autre sexe.

Moi, Toutankhamon, reine d’Egypte, Nabil Naoum. Traduit de l’arabe par Luc Barbulesco. Editions Actes Sud/ Sindbad, 189 pages, 18 ,50 euros.

Darya Kianpour


Un parfum d’orangers

(MFI) Une affaire d’honneur l’ayant chassé de Marsad, son village natal, Wakim Nassar arrive un matin à Ayn Chir, sur le Mont-Liban. Là, le banni va transgresser les coutumes de l’agriculture locale pour se lancer dans la culture de l’oranger. A force de patience et de détermination, le proscrit deviendra un propriétaire terrien respecté, un homme riche et un zaïm, chef de clan écouté de tous. Son établissement passant par la construction d’une maison, on le voit édifier un véritable palais, censé rivaliser avec celui d’un riche voisin français, et destiné à abriter sa future famille. Le domaine et ses habitants prospèreront jusqu’à la Première guerre mondiale, où la férule des Ottomans, alliés des Allemands et ennemis des Français, se fera lourdement sentir. Exilés, Wakim et sa famille finiront par retrouver la Grande maison mais jamais les fastes ni l’aisance d’antan. Des années plus tard, le narrateur, petit-fils du patriarche, tente de renouer les fils de cette saga et s’efforce de démêler le vrai du faux dans la légende familiale. Entre non-dits et découvertes, se dessine la trame de cette belle fresque.
Pour son premier roman, Charif Majdalani, directeur du département de lettres françaises à l’université Saint-Joseph de Beyrouth, emmène son lecteur dans le Liban du début du XXe siècle et restitue à la fois la douceur de vivre et les luttes claniques et religieuses qui sont la marque de ce paradis méditerranéen. Une belle œuvre, empreinte de style et d’érudition, qui enchantera les amoureux du Liban et les amateurs de belles lettres.

Histoire de la Grande Maison, par Charif Majdalani. Editions du Seuil, 322 pages, 21 euros.

G. F.


Sujet Bouraoui

(MFI) Pendant trois ans, Nina Bouraoui s’est livrée à l’exercice de divan. Rongé par le mal de son pays d’enfance, l’Algérie, mais aussi par celui de son pays d’adolescence, la France; à la recherche d’une identité perdue ou pas encore retrouvée, l’auteur parle de son déracinement. « Je ne suis pas une exilée, je suis une déracinée », aime-t-elle dire. Elle raconte sa vie double : « Je suis née deux fois ». Deux vies : française et algérienne. Deux parcours qui se suivent, se cherchent, se perdent, se renient et se chevauchent en une seule personne. « Avec les mauvaises pensées, j’ai si peur de ne plus savoir qui je suis », confie-t-elle à son analyste. Au cours de ces séances, elle évoque ses sentiments de culpabilité, sa peur, sa tristesse, sa solitude, sa douleur ; ses vertiges, ses obsessions, ses bonnes et mauvaises pensées aussi. Elle parle de sa famille : sa mère qui occupe tout son « territoire » et, l’homme qu’elle a perdu, mais qui est toujours là, chaque jour, chaque seconde, son père. Elle raconte ses amours, les femmes de sa vie : Diane partie depuis des années, mais toujours présente dans le cœur de la narratrice, la Chanteuse, « l’ombre de sa vie » et l’« Amie » avec qui elle a retrouvé sa jeunesse. « L’Amie est ma deuxième tête », déclare-t-elle. La patiente du docteur C. dévoile aussi les secrets de son écriture : « J’écris parce que je suis en colère ».
Roman-confession, né d’une expérience de première main de thérapie psychanalytique, Les mauvaises pensées de Nina Bouraoui est un livre dense où la parole procède tel un torrent et ne s’embarrasse guère de chapitres ou de paragraphes. C’est sans doute cette vitalité déferlante que vient de récompenser le jury du prix Renaudot 2005 en préférant Bouraoui à la prose intelligente mais parfaitement contrôlée du congolais Mabanckou.

Mes mauvaises pensées, par Nina Bouraoui. Editions Stock, 286 pages, 18 euros.

D. K.


Passages en revues

(MFI) Les littératures d’Afrique noire constituent un des champs littéraires les plus dynamiques d’aujourd’hui grâce à l’entrée en scène d’une nouvelle génération d’écrivains qui sont en train d’en renouveler profondément l’esthétique et la thématique. Pour comprendre les courants qui traversent les lettres africaines, il faut lire les Etudes littéraires africaines (ELA)qui est l’organe de l’Association pour l’étude des littératures africaines (APELA) et Ethiopiques publiée par la Fondation Léopold Senghor à Dakar. Deux revues semestrielles dont chaque numéro réunit sous la plume de quelques-uns des chercheurs et spécialistes les plus connus de la discipline (Lilyan Kesteloot, Bernard Mouralis, Ursula Baumgardt, Alpha Oumarou Ba et d’autres encore), des analyses fouillées des grandes tendances des littératures africaines anciennes et modernes. Ainsi le dernier numéro paru d’Ethiopiques (1) étudie dans sa section « Littérature » le traitement de la thématique de l’altérité dans les œuvres africaines contemporaines, tout en le comparant à l’image de l’étranger dans les traditions orales. Le numéro d’automne d’ELA (2) est, lui, consacré à littérature peule dont il explore le fonds ancien, mais aussi les caractéristiques et les enjeux de ses textes contemporains. Les trente pages de notes de lecture que comporte ELA font de cette revue un outil de travail indispensable des universitaires et des journalistes à la recherche d’informations sur les parutions récentes dans ce domaine.

1. Numéro 74, 1er semestre 2005. Pour plus d’informations, consultez le site internet de la revue : www.refer.sn/ethiopiques.
2. 2005/19. Site internet :www.apela-asso.net.

T. C.


Un auteur à découvrir

Nina Bouraoui: « Je suis une occidentale avec des traversées orientales »

(MFI) La Franco-Algérienne Nina Bouraoui qui a obtenu cette année le prix Renaudot pour son nouveau roman Les mauvaises pensées, est l’une des écrivains de langue française les plus intéressantes de sa génération.


Comparée à Marguerite Duras, mais aussi à Proust, cette jeune écrivain de trente-huit ans est l’auteure d’une oeuvre tout à fait singulière. Celle-ci est composée de neuf romans dont certains ont connu un grand succès populaire, notamment son premier livre La Voyeuse interdite (1) primé par les auditeurs de France Inter (Prix du livre Inter 91). La singularité de cette oeuvre réside autant dans son style ample, luxuriant et exalté que dans la complexité de la quête identitaire qu’elle donne à lire en creux, celle d’une auteure déchirée entre son algérianité et sa francité.
Nina Bouraoui est venue à l’écriture très tôt, à l’âge de huit ans, sans doute parce qu’elle y voyait obscurément un outil de connaissance de soi, une boussole existentielle pour mieux se diriger à travers les polarités qui la constituent. Fille d’un couple mixte franco-algérien, celle-ci a grandi en Algérie où son père était haut fonctionnaire, avant d’en être arrachée à l’âge de 14 ans. En vacances à Rennes, on lui a annoncé un beau matin qu’en raison de l’état de santé de sa mère asthmatique, elle ne retournait plus en Algérie pour la rentrée des classes. « Ce fut une sorte d’enlèvement à l’Algérie », aime dire Bouraoui chaque fois qu’elle évoque cette séparation violente avec le pays de son enfance. Cette rupture d’avec l’Algérie, un motif constant dans les livres de cet écrivain métis, se retrouve amplifiée, disséminée tout au long de son dernier récit quasi-autobiographique Les mauvaises pensées. Elle est à l’origine du mal de vivre dont souffre la narratrice. Mais elle est aussi et surtout la source de son besoin d’écrire. C’est une prise de conscience primordiale pour ce personnage qui a longtemps cru que son écriture venait de sa mère, passionnée de livres et de lectures. Elle se rend compte qu’en réalité sa créativité a partie liée à l’absence du père et, par prolongement, à cette absence jamais complètement acceptée de l’Algérie: le pays poétique par excellence.

Algérie, amour et écriture

A l’instar de son personnage, Nina Bouraoui puise, elle aussi, son inspiration dans cette Algérie si proche et pourtant si lointaine où elle n’est pas retournée depuis ses quatorze ans. C’est la description haut en couleurs et dramatique des spectacles de la rue algéroise, vue à travers les yeux d’une jeune « voyeuse » interdite de sortir, qui emporta l’adhésion du jury du livre Inter et fit connaître la puissance de l’imagination de son auteur, âgée alors de seulement 24 ans. Ce premier livre fut suivi de trois autres récits Poing mort (2), Le Bal des murènes (3) et L’Age blessé (4) : des histoires sombres de souffrance, de vieillesse et de mort qui ont confirmé le talent de conteuse de Bouraoui.
L’Algérie et les déchirures de l’enfance ressurgissent avec Le Jour du séisme (5). Ce roman constitue un tournant et marque l’installation progressive de l’écrivain dans le style sensuel et confessionnel qu’elle dit d’avoir emprunté à Hervé Guibert, écrivain français mort du sida. Garçon manqué (6), La vie heureuse (7) et Poupée Bella (8) que celle-ci a fait paraître depuis, sont des romans autobiographiques où elle explore son ambiguïté sexuelle, ses passions amoureuses pour les femmes et le délire et les délices de l’écriture. Son nouveau roman Les mauvaises pensées (9)s’inscrit dans cette veine et scelle en quelque sorte le pacte sensuel de l’auteur avec le pays de son père, mais aussi avec l’Amie qui partage sa vie et dont la figure compassionnelle et lumineuse traverse tout le livre. Les mauvaises pensées est ce roman d’amour que Bouraoui désespérait d’écrire. Si elle a pu enfin le concrétiser c’est sans doute parce qu’elle n’écrit plus pour se faire aimer, comme elle aime le dire. « Aujourd’hui, j’écris parce que j’ai aimé. »

(1) Gallimard, 1991 (2) Gallimard 1992 (3) Fayard 1996 (4) Fayard 1998 (5) Stock 1999 (6) Stock 2000 (7) Stock 2002 (8) Stock 2004 (9) Stock 2005, 286 pages, 18 euros.

T. C.




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