accueilradio  actualités  musique  langue française  presse  pro
radio
Liste des rubriques
MFI HEBDO: Culture Société Liste des articles

06/01/2006
Depardon, dans le vif du réel

(MFI) Il a couvert la guerre du Vietnam, fut paparazzi, a travaillé pour Playboy. C’est sur le tard que le cinéma s’est révélé à Raymond Depardon comme un prolongement naturel de l’acte de photographier. Depuis, il ne cesse de tourner : dans les hôpitaux, les commissariats, les palais de Justice, démontant infatigablement les mécanismes du pouvoir.

Prostrée dans un fauteuil, la ménagère aux cheveux poivre et sel gémit, pleure, se plaint que trop c’est trop, elle n’en peut plus, rien ne l’intéresse et d’ailleurs ménage, repassage, jardinage, boulot, dodo, ce n’est pas pour ça qu’elle est venue au monde : assez. Plus tard, arrive un homme âgé. Il a tenté de se pendre dans sa cage d’escalier : ce sont les voisins qui ont alerté les secours. Un couloir plus loin, c’est une alcoolique, comprenant qu’on lui a retiré la garde de son enfant, qui explose de rage et de douleur.
C’est peu que de dire que les corps filmés par Raymond Depardon n’ont rien d’apaiser. Ils pleurent, gémissent, se cognent contre les murs. Ils insultent : les flics, les infirmiers, le psy de garde. Leurs corps sont garrottés, leurs vêtements déchirés, leurs cheveux en désordre. Les femmes sont des Gorgones, les hommes des ogres à la dérive. Dans le lot il y a des givrées, des fondus, des drogués, repentis ou pas, épaves humaines dont certaines ont la beauté carbonisée des anges déchus.
Raymond Depardon est devenu cinéaste dans les années 1960. C’est l’institution (ses règles, son fonctionnement, ses dérives) qui innerve l’œuvre de cet ancien photographe de guerre, familier de l’Afrique et du Vietnam. Un hôpital psychiatrique situé dans une île au large de Venise : San Clemente (1980). La routine d’un commissariat du Ve arrondissement de Paris : Faits divers (1983). Le service des urgences psychiatriques de l’Hôtel Dieu : Urgences (1987).
Ce qui passionne Depardon, c’est la résistance de ces corps –brisés, moralement et physiquement à vif- à l’institution. Et, plus encore, l’expression d’une souffrance qui échappe à l’entendement –celui des flics aussi bien que des soignants- et que sa caméra capte, impavide. Gentil mari, joli pavillon de banlieue, jardin coquet, on ne saura jamais quel manque à être a conduit Madame X dans cet hôpital psychiatrique (Urgences). Ni pourquoi Monsieur Y, un beau matin d’été, s’est passé la corde au cou : « Je veux crever, c’est tout ». Ici réside la double cruauté du cinéma tel que Depardon le pratique. Voyeurisme qu’il assume sans détour. Si comparaison il y a, c’est du côté de la photographe Diane Arbus qu’il faudrait le chercher, de sa passion pour les oubliés de l’American Dream : travestis new-yorkais, aficionados des camps de nudistes minables, rombières arpentant Broadway. Chez Depardon comme chez Arbus, fascine la captation des freaks, de leur étrangeté, du pouvoir qu’exercent sur nous leurs ruses. Incroyable moment, dans Urgences, où une jeune femme explique posément, regard de biais vers la caméra : « Il paraît que je suis fille de Dieu ». Et ce prévenu en camisole qui insulte copieusement la psychiatre puis, dès son départ, seul avec l’opérateur, entreprend de l’amadouer « J’ai joué, j’ai perdu. » Quoi ? « Ma vie. »

Elisabeth Lequeret


Raymond Depardon. Coffret Justice : 10e Chambre, Délits flagrants, Faits divers, 3 DVD, Arte Vidéo, 35 euros. Coffret Psychiatrie : San Clemente, Urgences, 2 DVD, Arte Vidéo, 30 euros.



retour

Qui sommes nous ?

Nos engagements

Les Filiales

RMC Moyen Orient

Radio Paris-Lisbonne

Delta RFI

RFI Sofia