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03/02/2006
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Cinéma : l’affaire Elf devient un film
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(MFI) Un juge impitoyable (Isabelle Huppert), une bande d’affairistes, une entreprise pétrolière où corruption, cynisme et clientélisme règnent en maîtres : L’ivresse du pouvoir, dernier opus du prolifique Claude Chabrol, est une chronique judiciaire à la trame très inspirée de l’affaire Elf.
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En 1994, la compagnie pétrolière française Elf fit l’objet d’une enquête initiée par la Commission des Opérations Boursières. Dirigée par la juge Eva Joly, celle-ci ne tarda pas à mettre à jour un réseau de corruption impliquant au plus haut niveau hommes d’affaires et politiciens, de gauche comme de droite. Quelque temps plus tard, Loïk Le Floch-Prigent, ex-PDG d’Elf, fut placé en détention provisoire pour avoir – entre autres – fait financer par l’entreprise l’achat d’un somptueux appartement destiné à son épouse.
« L’affaire Elf » fut l’un des feuilletons politico-judiciaires les plus populaires des années 1990. Commissions occultes, abus de biens sociaux, emplois fictifs : au-delà de la gravité des faits flotta de bout en bout sur ses multiples rebondissements un parfum de grand-guignol qui ne pouvait laisser indifférent Claude Chabrol.
L’instruction conduite par Eva Joly fournit d’évidence à L’ivresse du pouvoir l’essentiel de sa trame. Pourquoi, dans ce cas, le film s’en démarque-t-il dès son ouverture avec cet avertissement : « Toute ressemblance avec des évènements ayant existé serait, comme on dit, fortuite » ? Si Chabrol et sa coscénariste Odile Barski empruntent à l’affaire Elf l’essentiel de ses péripéties et de ses protagonistes, ils s’en démarquent très vite en structurant à parts égales le film entre vie privée et vie publique de la juge Jeanne Charmant Killman.
Un Robespierre en jupons
Semblable construction n’a rien de rare dans le paysage de la fiction juridique, où les scènes intimes servent le plus souvent à ménager des pauses dans le rythme de la narration, voire à humaniser un personnage par ailleurs entièrement tendu par sa recherche de la Vérité. Rien de tel dans L’ivresse du pouvoir où Madame le Juge apparaît de bout en bout comme un Robespierre en jupons, aussi impitoyable côté jardin que côté cour. « Je t’entends. Ce que tu dis et ce que tu ne dis pas. C’est mon métier », jette-t-elle sèchement à son mari lors d’une dispute nocturne.
Davantage qu’une classique chronique judiciaire, L’ivresse du pouvoir est une fable sur la nature du pouvoir et les abus auquel il conduit. Celle, bien sûr, d’une poignée d’affairistes qui longtemps purent se croire inatteignables, mais surtout celle d’un « petit juge » qui se vit -à juste titre- comme « le personnage le plus puissant de France ». A ceci, les personnages fournissent une première explication. Si les familiers de l’affaire Elf s’y retrouveront sans peine (L’ivresse est aussi un film à clefs), les noms que Chabrol leur octroie ne manquent pas de sel : une juge réputée pour sa dureté qui se nomme Charmant, tandis qu’un playboy affairiste et un avocat ont respectivement pour patronymes Sibaud et… Parlebas.
L’ivresse du pouvoir ne s’encombre guère de subtilités. Ce réalisme prend sa source dans une affaire dont les protagonistes ne péchèrent guère par excès de nuance. Chabrol lui injecte une part de caricature qui va crescendo, et oppose une bande de malfrats bon vivants à une juge plus froide qu’un robot ménager. De ceci, la mise en scène ne cesse de faire son miel : soupers fins et Havanes des inculpés contre régime vodka-chocolat-cigarettes de Jeanne Charmant. Ainsi L’ivresse du pouvoir mêle-t-il à loisir les contours d’une réalité parfaitement reconnaissable à une mise en scène d’une absolue rigueur. Grandeur, perversité souriante d’un film qui porte la marque du plus grand Chabrol.
Elisabeth Lequeret
Sortie en France le 22 février.
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