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17/02/2006
Chronique Littérature

L'essentiel d'un livre

Yvonne Vera raconte les heurs et malheurs des femmes au Zimbabwe

(MFI) Les éditions Fayard viennent de publier en traduction française deux courts romans de la zimbabwéenne Yvonne Vera, disparue en avril dernier.


Yvonne Vera avait tout juste quarante ans quand elle est décédée à la suite d’une crise de méningite. En l’espace d’une hélas trop brève carrière littéraire d’une dizaine années, ponctuée quand-même de six livres, cette romancière talentueuse, à l’écriture poétique et hantée, s’était imposée comme une des grandes figures des lettres zimbabwéennes.
Vera s’était fait connaître en 1992 en publiant un recueil de nouvelles intitulé « Why don’t you carve other animals ? », suivi d’un premier roman Nehanda dans lequel elle faisait le récit de l’héroïne intrépide de la première guerre de libération au Zimbabwe qui s’appelait alors la Rhodésie du sud. Les romans de Vera s’enracinent profondément dans l’histoire turbulente de son pays. Pour le constater, il suffit de lire Papillon brûle et Les Vierges de pierre, considérés comme les oeuvres les plus abouties de la Zimbabwéenne, traduits en français par les éditions Fayard respectivement en 2002 et 2004. L’action dans ces romans a pour cadre les guerres de libération, les massacres, les luttes pour le pouvoir qui ont ensanglanté l’histoire coloniale et post-coloniale du Zimbabwe.
Une femme sans nom et Sous la langue, deux courts romans que Vera avait fait paraître tout au début de sa carrière et que Fayard vient de publier en français, les réunissant en un seul volume, ne dérogent guère à la règle. Sur fond de violences politique et sociale dans le Zimbabwe de la fin des années 1970, ces deux récits racontent les traumatismes entraînés par la haine et la violence au sein des familles. Mazvita, l’héroïne d’Une femme sans nom, violée par un ancien résistant, quitte sa campagne natale, devenue synonyme pour elle de désolation et de souffrance, pour se réfugier dans la grande ville. Or Harare, qui brille de toutes ses lumières, se révèle maléfique, menaçante. Mazvita ne peut y trouver la liberté et le renouveau spirituel qu’elle recherche. Sa frustration la conduit à tuer son bébé non-désiré dans un acte de désespoir que Vera décrit avec maestria, faisant alterner l’horreur et le tragique. Sous la langue, narré à la première personne, raconte l’histoire de la jeune Zhizha condamnée au silence depuis qu’elle a été violée par son père. C’est en reconstituant morceau par morceau ce passé de douleur et de souffrance que la jeune fille pourra de nouveau retrouver le chemin de la parole.
Ce sont les femmes qui sont les protagonistes de ces récits, victimes des oppressions infligées par une société patriarcale. Yvonne Vera exploite toutes les potentialités de la fiction pour dire la conséquence psychique, spirituelle, de ces violences : absence de parole dans Sous la langue et rupture de lien avec soi-même dans Une femme sans nom. Mazhvita est coupée de sa propre histoire parce qu’elle a choisi de se réfugier dans l’anonymat de la grande ville. La cicatrisation se fait lorsqu’elle revient dans sa campagne natale où sa mère vient à sa rencontre en l’appelant par son nom, mettant ainsi fin à l’amnésie et à l’aliénation.
On ne lit pas Yvonne Verra en dilettante. Consciente que sa prose éclatée, riche en célébrations poétiques de la nature et de sa munificence, était parfois difficile d’accès, elle aimait dire que son lecteur idéal était celui qui serait aussi fasciné qu’elle par « la poésie des mots et des émotions ».

Une femme sans nom, suivi de Sous la langue, par Yvonne Vera. Traduit de l’anglais par Geneviève Doze. Ed. Fayard, 303 pages, 19 euros.

Tirthankar Chanda


Une histoire d’eau

(MFI) Dans son nouveau roman qui vient de paraître, c’est une histoire d’eau que nous raconte Jamal Mahjoub. « De tous les prodiges dont l’homme est capable, la maîtrise de l’eau a toujours exercé sur lui une grande fascination », écrit le romancier qui a construit son récit autour de la construction du barrage d’Assouan pour maîtriser les crues du Nil. Né de l’ambition nationaliste d’un Raïs qui voyait dans ce projet un moyen de garantir l’indépendance hydraulique et alimentaire de son pays, ce barrage a été aussi source de moult drames et de tragédies. Puisant dans la mémoire collective, Mahjoub décrit le désespoir et la colère du petit peuple de l’intérieur condamné par le barrage à abandonner à tout jamais leurs maisons, leurs villages, leurs mémoires. Le livre est composé par une suite de portraits, d’existences et de destins brisés et met en scène la petite histoire des petites gens menacées d’oubli et d’effacement. Mais le portrait le plus marquant de ce livre est sans doute celui du fleuve jamais nommé, qui traverse les vies et les histoires comme un fil conducteur incandescent, « comme une raie tracée dans la chevelure d’un globe terrestre tourmenté. Une ligne de vie dans la paume craquelée d’une main qui demande à boire ».
Nubian Indigo est le sixième roman sous la plume de Jamal Mahjoub. Après avoir retracé dans ses derniers romans les errances de ses protagonistes à travers une Europe suspicieuse de leur double appartenance, le romancier anglo-soudanais revient avec ce nouveau roman à son continent natal, cherchant peut-être dans son paysage et ses mythes ce point d’attache dont l’absence a été le thème obsessionnel de tous ses écrits.

Nubian Indigo, par Jamal Mahjoub. Traduit de l’anglais par Jean et Madeleine Sevry. Ed. Actes Sud, 272 pages, 21 euros.

T. C.


Césaire persiste et signe

(MFI) Près de 70 ans après la première publication du Cahier d’un retour au pays natal, Aimé Césaire persiste et signe. Il se livre ici à un exercice rare de sa part, celui de répondre à des questions alors qu’il prétend volontiers que « sa poésie parle pour lui ». Il accepte de répondre aux questions de l’universitaire Françoise Vergès mais il tient, ça et là, à glisser dans ses propos une citation, un poème, un extrait, pour donner une dimension poétique à cet entretien. Il n’est pas directement question de littérature, de poésie ou de théâtre mais plutôt de l’engagement, de la cohabitation, de la gestion politique et de la création poétique d’Haïti (« à Haïti j’ai vu surtout ce qu’il ne fallait pas faire »), de l’unité du monde noir qui « reste à inventer, à forger ». Césaire développe sa pensée sur l’identité antillaise, l’engagement, l’assimilation, l’indépendance, etc. « Nègre je suis, nègre je resterai », la formule devenue titre de l’ouvrage est à la mesure de l’auteur, demeuré fidèle à ses convictions premières.
Dans une longue postface, Françoise Vergès offre une lecture débarrassée des épithètes ; elle relit et engage à relire le poète majeur, sans recourir aux figures et aux prismes, souvent déformants, du poète francophone, du père de la négritude ou du politicien député-maire de Fort-de-France. Comme nous y invite Césaire lui-même, c’est sans doute dans les hauteurs escarpées de sa poésie qu’il convient de trouver la force et la rigueur de sa trajectoire déterminée et rebelle, vigilante et engageante, et qui ne faillit pas.

« Nègre je suis, nègre je resterai » : entretiens d’Aimé Césaire avec Françoise Vergès. Ed. Albin Michel, 150 pages, 14 euros.

Bernard Magnier


Haïtian gigolo

(MFI) Rico « ignore tout de son père biologique » et vit une enfance confrontée aux « papas de la nuit » qui viennent voir sa mère à laquelle il voue un amour absolu (« je n’ai aimé qu’une seule femme sous le soleil, ma mère »). A la mort de celle-ci, Rico plonge dans le vide de la nuit et s’emploie à vivre de son corps. « Une belle gueule », « ni blanc ni tout à fait noir, ni gras ni trop maigre, plutôt grand avec des muscles saillants et nerveux », autant d’atouts pour devenir gigolo des rues de Port-au-Prince. Dès lors, il côtoie successivement Jacqueline qu’il quittera car « elle voulait à tout prix un enfant de lui » ou Élise, « une veuve bien installée dans sa soixantaine ». Pour elles, il s’invente des biographies alimentées par ses lectures, David Copperfield ou Les Misérables. En marge de ses amours tarifées, il connaît aussi Kétina dont il offre le spectacle au « colonel », et bien d’autres corps, aimés ou entr’aperçus.
En eaux troubles mais dans la franchise de ses mots, Rico conte ses frasques et ses doutes. Il en craint les dérives, se méfie de ses excès. Il s’avoue « caméléon » avant de découvrir le trouble d’une autre sexualité. « Ma vie durant, j’ai cultivé l’ambiguïté, jusqu’à en faire un métier, un art, une passion garantissant ma survie ».
Sans aucune complaisance et pour son premier roman, Kettly Mars dresse un portrait sensible d’un homme qui, à son tour, tend un miroir à la société haïtienne, en essayant d’échapper à son destin, de « fuir la pauvreté par tous les moyens, ne pas renier la misère mais l’éviter, la mystifier ». Un premier livre nu, âpre, tendre, violent et pourtant paisible.

L’heure hybride, par Kettly Mars. Ed. Vents d’ailleurs, 155 pages, 16 euros.

B. M.


Le pharaon est une femme

(MFI) Lorsque Nabil Naoum s’amuse à réécrire l’histoire, le lecteur est d’abord déconcerté. Moi, Toutankhamon, reine d’Egypte, est le cinquième ouvrage d’un auteur qui, en un recueil de nouvelles et quatre romans, ne nous avait pas habitués à autant de fantaisie. La reine Tout, unique narratrice, confinée dans un cachot avec sa servante, se présente comme le pharaon déchu Toutankhamon. A l’en croire, le dieu vivant n’aurait été qu’une enfant puis une jeune femme propulsée sur le trône par les vrais détenteurs du pouvoir : le grand prêtre Senout et l’ambitieux chef des armées Horemheb. Enceinte des œuvres de ce dernier, Tout est destituée et condamnée à l’oubli, sinon à la mort. Un jeune homme anonyme est inhumé à sa place, dans la tombe réservée au souverain. L’intrigue pourrait se suffire à elle-même mais le roman de Nabil Naoum va bien au-delà de la fiction. Il y a dans le monologue de Tout des accents de tragédie classique, une évocation érudite de l’Egypte ancienne et surtout une féroce critique des religieux et des militaires. L’avidité de ces derniers à conserver le pouvoir, le retour au culte d’Amon après les tentations monothéistes d’Akhenaton et les représailles qui s’ensuivent ont des relents très contemporains. La description des populations affamées par les ambitions de mauvais gouvernants entre également en résonance avec des thèmes très actuels.
Nabil Naoum réussit encore à évoquer dans ce court roman la lutte des femmes contre l’oppression masculine et l’amour absolu qui s’achève sur la pire des trahisons. Une œuvre dense et très aboutie signée par un écrivain de talent.

Moi, Toutankhamon, reine d’Egypte, par Nabil Naoum. Ed. Acte Sud, collection « Sindbad », 192 pages, 18,5 euros.

Geneviève Fidani


Une littérature à découvrir

Littérature tibétaine: un patrimoine riche et ancien

(MFI) Plus que millénaire, la littérature tibétaine n’a pas encore révélé tous ses secrets. La récente publication en français des Contes facétieux du cadavre (11e-12e siècles) vient rappeler la richesse et l’originalité de ce patrimoine ancien.


Que connaissons-nous du Tibet littéraire ? Pas grand-chose. Notre connaissance de cette tradition, pourtant très riche, se borne souvent à quelques textes dont les plus cités sont le Livre des morts tibétains (Bardo Thödol) qui depuis sa publication en 1927 n’a cessé de fasciner les esprits par sa vision de la mort et de la vie après la mort et les splendides Chants de Milarepa (11e siècle).
Or la littérature traditionnelle tibétaine est une littérature particulièrement prolixe qui a abordé des genres aussi variés que la poésie, la prose, le théâtre, l’opéra, les chants, les récits de vie, les légendes et l’histoire. Ses origines remontent au 8e siècle, un siècle après la création de l’écriture tibétaine. La naissance d’une tradition littéraire écrite à cette époque coïncide aussi avec l’introduction du bouddhisme dans le pays des neiges. Convertis à la nouvelle religion venue de l’Inde, les maîtres du pays se sont alors appuyés sur la langue littéraire nouvellement créée pour diffuser la pensée bouddhiste. Cela explique sans doute que la littérature ait été pendant longtemps au Tibet indissociable de la religion. Le bouddhisme, ses légendes, ses mythes seront les principales sources d’inspiration des écrivains.
Véritable âge d’or de la littérature religieuse, la longue période s’étendant du 8e au 14e siècles a vu se constituer un immense corpus religieux, composé d’une part de traductions du sanskrit des textes canoniques bouddhiques et de traités, commentaires, enseignements traditionnels, hymnes et poèmes sacrés. Il faut rattacher à ce corpus la tradition des biographies et chants mystiques qui font le récit des péripéties par lesquelles les grands maîtres sont passés avant d’atteindre la libération. Les Chants du moine Milarepa, figure spirituelle marquante du bouddhisme tibétain, appartiennent à cette mouvance.

Au-delà du bien et du mal

Les Contes facétieux du cadavre qui viennent de paraître en traduction française, illustrent le versant populaire de cette littérature, composé de contes, de légendes, de chants, de maximes ou d’énigmes. Dérivés des Contes du vampire indiens, les Contes facétieux du cadavre sont exemplaires de l’universalité de l’imaginaire populaire tibétain qui a son quota de vieilles sorcières, de princes, de crapauds, de bergères, de maléfices, d’animaux prodigieux et de châteaux fabuleux. Sur le principe des Mille et Une Nuits, une histoire cadre enchâsse vingt-quatre histoires qui font, écrit la traductrice Françoise Robin, « l’apologie des valeurs de l’honnêteté, de la vertu, de la bravoure et de la vaillance face aux épreuves, de la fidélité et de la solidarité entre amis, de l’adhésion à la parole donnée, et dénoncent le pouvoir abusif, la tromperie, la cupidité, la jalousie et la sottise ». L’histoire cadre a pour sa part un aspect à la fois ludique et une dimension proprement initiatique : elle raconte les heurs et malheurs d’un jeune homme qui pour expier ses péchés doit se rendre à un charnier et apporter à son maître un cadavre juché sur un arbre. C’est un périple jonché d’obstacles que le jeune Dechö Xangpo doit entreprendre pour se libérer du cycle du bien et du mal.
Il est moins question du bien et du mal dans la littérature contemporaine tibétaine qui a pris son essor à la fin du 20e siècle. En rupture avec le moralisme didactique de la littérature traditionnelle, les écrivains d’aujourd’hui puisent leur inspiration davantage dans les crises du monde séculier que dans les béatitudes et les esotérismes religieux. Ces écrivains qui ont pour nom Tashi Dawa, Yexe Dainzin, J. Norbu ou Langdun Paljor (Bleu de Chine, 2006) écrivent en tibétain, mais aussi en chinois et en anglais. Ils racontent à travers des formes parfois empruntées à leur traditions ancestrales (fable, apologie, poésie ornée) et plus souvent à travers des genres modernes (roman, nouvelles, reportage, vers libres) leur identité si malmenée depuis une cinquantaine d’années, mais aussi les thématiques aussi banales qu’universelles telles que l’individualisme, l’amour, la corruption, l’étonnement devant la complexité du vivant. Le pays des neiges est entré dans l’ère de la « world-literature ».

T. C.


Lire la littérature tibétaine en français :

Bardo Thodol (Maisonneuve, 1933/1998) ; Les Chants de Milarepa (Fayard, 1986) ; Les contes facétieux du cadavre (Asiathèque, 2006) ; La splendeur des chevaux de vent, par Tashi Dawa (Actes Sud, 1990) ; Le Mandala de Sherlock Holmes, par J. Norbu (Picquier, 2004) ; La Controverse dans le jardin aux fleurs, par Langdün Päljor (Bleu de Chine, 2006).



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