(MFI) Qu’est-ce qui choque ou excite encore les Français ? Plus grand-chose : Michel Houellebecq le sait bien, qui fait de cette « désillusion » le sujet de ses livres. Alors il choisit de provoquer : à propos de l’islam, du tourisme sexuel, de la prostitution. Le sexe, par ailleurs, se vend toujours très bien.Peu avant l’été et sur les plages, ils ont été près de trois cent mille à s’émoustiller en découvrant « La vie sexuelle de Catherine M. » : une célèbre critique d’art parisienne, Catherine Millet, y raconte crûment sa longue carrière de « baiseuse », toujours partante pour un coït, une partouze ou une caresse exécutée avec la dextérité d’une professionnelle. Sans manœuvres de séduction, ni sentiments ou émotions, mais avec force fantasmes, et une inventivité en la matière qui dépasse l’univers du porno. Bel objet littéraire à l’écriture classique, travaillée. Livre fascinant, au demeurant, en ce qu’il donne à voir une personnalité dissociée, un cerveau se servant du corps comme d’un objet, un désir entièrement fabriqué par l’imaginaire, un acte sexuel consommé à hautes doses pour combler, semble-t-il, un vide tant existentiel que physique. Le roman montre donc un certain Occident, une tendance, une évolution peut-être.
L’Occident de Michel Houellebecq est, de même, à la recherche du désir perdu. Confrontés à des « amantes décevantes, qui font chier avec leurs problèmes », les mâles des pays riches, à la virilité défaillante, s’adonnent au tourisme sexuel en Extrême Orient ou ailleurs dans le Tiers Monde. Le narrateur, Michel, traîne sa déception de vivre jusqu’à ce qu’il lui arrive l’inattendu : il tombe amoureux et ô joie suprême, « baise avec amour ». Cette aventure individuelle, en contrepoint de tous ces « Occidentaux qui n’arrivent plus à coucher ensemble » est le principal sujet de son troisième roman, vendu à trois cent mille exemplaires en quelques semaines et l’un des favoris du prochain Goncourt… avant le scandale.
Car l’auteur a tapé fort : sur le patron du Guide du Routard, cité nommément, et dont l’équipe est qualifiée de « bande de connards humanitaires protestants ». Sur l’islam surtout : « Non, Monsieur. L’islam ne pouvait naître que dans un désert stupide, au milieu de bédouins crasseux… », vitupère un personnage, égyptien, dans une tirade de trois pages. Le narrateur, lui, conclut, après que sa petite amie ait été tuée par des extrémistes : « L’islam avait brisé ma vie, et l’islam était certainement quelque chose que je pouvais haïr ; (…) chaque fois que j’apprenais qu’un terroriste palestinien, ou un enfant palestinien, ou une femme enceinte palestinienne, avait été abattu par balles dans la bande de Gaza, j’éprouvais un tressaillement d’enthousiasme à la pensée qu’il y avait un musulman de moins. »
« Les Africains baisent même gratuitement »
Quant à l’auteur du roman, Michel H., il a déclaré au magazine Lire : « La religion la plus con, c’est quand même l’islam. Quand on lit le Coran, on est effondré… effondré… » « L’islam est une religion dangereuse, et ce depuis son apparition. » « Le matérialisme est un moindre mal. Ses valeurs sont méprisables, mais quand même moins destructrices, moins cruelles que celles de l’islam ». Avant cette interview, des critiques littéraires parisiens anticipaient, avec condescendance, que des lecteurs simplets ou « tartufes » ne manqueraient pas, les ignares, de confondre narrateur et auteur. Après l’interview, le doute est dissipé et la confusion permise. D’autant que l’auteur la cultive avec délectation.
Les musulmans, d’ailleurs, ne sont pas les seuls écorchés dans le livre : « Les Chinois mangent goulûment (…) ils agissent en tout absolument comme des porcs. Pour ne rien arranger, ce sont des porcs nombreux. » « Avec les Africains, observe un personnage qui prévoit d’implanter des clubs de vacances sexuelles dans le monde entier, il n’y a jamais de problèmes. Ils baisent même gratuitement, y compris les grosses. Il faut juste mettre des préservatifs dans les clubs, c’est tout ; de ce point de vue là, ils sont parfois un peu têtus ».
Tandis que le Guide du Routard attaque pour « diffamation », plusieurs mosquées de France et des associations musulmanes ont décidé d’assigner l’écrivain et le magazine Lire pour « incitation à la haine et à la violence religieuses ». Des représentants de l’éditeur, Flammarion, ont rencontré le recteur de la mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, « afin de lui faire part de leurs regrets concernant les dérapages et les propos inconsidérés que la sortie du roman a provoqués dans les médias ».
Décadence de l’Occident consumériste
D’autres personnalités se sont indignées parce que l’écrivain ne condamnait pas le tourisme sexuel - c’est-à-dire : le trafic de mineurs, le proxénétisme, la violence, la maladie, des centaines de milliers de vies sacrifiées et l’immense souffrance qui va avec. Dans le roman, on ne voit que des prostituées « de dix-neuf ans » minimum, accueillantes, souriantes et jouissant à tous les coups… Mauvaise foi, licence romanesque ou indifférence ? Houellebecq a dit et redit qu’il n’a rien contre la prostitution. En cela, il ne se distingue en rien, selon les derniers sondages, d’une majorité d’hommes. La vision des femmes des deux Michel, auteur et narrateur, paraît d’ailleurs pour le moins réductrice : il y a les enquiquineuses et celles qui sont toujours ouvertes au mâle, défaillant ou pas. Et peu de différence entre les descriptions de sexe tarifé et de « baise avec amour » : les mots, les gestes sont pratiquement les mêmes.
Alors, pourquoi un tel succès ? L’art de la narration est sûr et l’intrigue prenante ; mais l’écriture trop souvent plate, et les longs passages sur la Thaïlande ou Cuba, l’industrie touristique ou la vie de l’entreprise font naître l’ennui. Il est certain cependant que la « décadence de l’Occident consumériste», le « refoulement » de l’homme moyen que l’auteur donne à voir au fil de ses livres touchent intimement de nombreux lecteurs. De même que ses interrogations sur le sexe, l’amour et les relations difficiles et douloureuses entre les hommes et les femmes. Houellebecq ne « promène » pas « le miroir le long de la route » avec le talent d’un Stendhal, mais il est l’un des rares écrivains français contemporains à tenter de le faire. De plus, il n’hésite pas à provoquer le scandale et sait se vendre aux médias. Ceux qui attendent d’un roman des personnages complexes et la force ou le plaisir musical d’un style iront lire ailleurs.
Henriette Sarraseca