(MFI) Le cinéaste camerounais Jean-Marie Téno, connu pour ses remarquables documentaires engagés (Afrique, je te plumerai, Chef !) propose avec Vacances au pays un road-movie au cœur de son pays natal, prétexte à débusquer et dénoncer quelques uns des maux de l’Afrique contemporaine. Selon Téno, les puissances colonisatrices, en imposant leurs propres schémas de pensée aux Africains, ont ruiné l’équilibre du Continent. Trop(icalement) modernes ? Avec Vacances au pays, Jean-Marie Téno creuse une veine assez rarement abordée dans le cinéma africain, veine que l’on pourrait nommer, pour aller vite, « reportage autobiographique » et où son esprit incisif et son sens du montage font merveille. De quoi s’agit-il ? De rentrer au pays, moins pour y passer, comme le suggère – non sans ironie – le titre du film, d’innocentes vacances, mais pour y illustrer une thèse qui sera largement martelée tout au long du documentaire, thèse que l’on pourrait résumer en ces mots : les puissances colonisatrices (française, allemande, anglaise, qu’importe…) ont réussi avant les Indépendances à persuader les Africains que tout ce qui relevait de leur(s) culture(s) traditionnelle(s) était symbole d’archaïsme, et, en tant que tel, à gommer absolument. Aujourd’hui encore, cette obsession (changer les mentalités pour entrer dans la modernité) fait des ravages en Afrique. Tout le parcours qui conduit Jean-Marie Téno de Douala (où il fit ses études) au village qu’il quitta à l’âge de 11 ans vise à démontrer l’ampleur de ces ravages. Il est donc beaucoup question de ruines dans Vacances au pays. D’abord, celles du lycée du général Leclerc, où Téno fit ses études, et dont il ne peut, quelque trente ans plus tard, que constater l’état de délabrement absolu. Le détour par son ancien quartier, toujours dans la capitale économique camerounaise, est tout aussi décevant : partout des carcasses de voitures qui transforment les rues en une sorte de gigantesque décharge à ciel ouvert. Plus tard, sur la route qui le conduit à son village natal, on verra successivement un pont au parapet en piteux état, puis un village sinistré depuis que le bac, qui assurait son animation économique et donc toutes ses rentrées financières, est tombé en panne.
Capter sur le vif Il faut ici rendre hommage au talent de journaliste de Jean-Marie Téno, qui lui permet de capter, sur le vif, quelques scènes classiques de la vie quotidienne : des postes de « péage » plus ou moins officiels qui bloquent régulièrement la route et prélèvent leur dîme sur les voyageurs, un homme qui utilise le goudron de la route pour sécher ses cosses de cacao (appropriation incongrue mais parfaitement logique d’une technologie moderne par une culture millénaire), des femmes sur le pas de leur porte qui se réjouissent d’avoir « l’électricité au village », mais attendent toujours l’eau potable. Quelque chose, pourtant, cloche. Cela vient peut-être du décalage entre un discours très militant (il est clair, pour Téno, que cette obsession de la modernité ne peut que conduire l’Afrique à la faillite) et ce que laissent percer images et témoignages, décalage obligatoire dans la mesure où l’on voit mal comment un film pourrait illustrer une démonstration si complexe qu’un essai de 500 pages pourrait à peine en cerner les premiers contours. Dès lors, le cinéaste en est réduit à la ruse. Cette ruse aboutit parfois, comme c’est le cas dans l’interview du responsable de région (de mémoire, le « sous-préfet »), dont un mixage et un montage particulièrement pervers débusquent avec beaucoup de drôlerie la vacuité du propos, qu’une débauche de termes techniques ne fait que rendre plus accablante. Le plus souvent, hélas, le résultat n’est pas concluant. C’est surtout après l’arrivée au village natal du cinéaste, qui occupe toute la dernière partie du film, que ce déséquilibre prend toute son ampleur. L’ambition de Téno y apparaît clairement : il s’agit de montrer que la pratique du « Congrès » (une sorte de réunion lors de laquelle les problèmes du village sont abordés et, si possible, résolus), qu’il a connue et pratiquée dans son enfance, est aujourd’hui complètement dévoyée. Mais c’est être bien naïf que de croire que le simple collage de deux discours, celui du responsable actuel et celui d’un vieil homme assurant que tout était mieux avant (forcément), peuvent produire du sens. On veut bien croire que pour qui veut convaincre, toutes les armes sont bonnes, mais là, vraiment, l’effet tombe à plat.
Elisabeth Lequeret
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