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06/12/2001

Chronique Livres

L'essentiel d'un livre
Jamal Mahjoub : la victoire des gueux et des esclaves

(MFI) Inspirée de l’histoire du monde arabo-africain et plus particulièrement de l’insurrection mahdiste, la dernière fiction du Soudanais Jamal Mahjoub parle aussi du présent. Et confirme son grand talent.

Le nouveau roman de Jamal Mahjoub Le Train des sables confirme sa réputation de conteur hors pair que ses deux précédents ouvrages avaient déjà solidement établie. Tout le monde se souvient de son magnifique second roman, Le Téléscope de Rachid, dont l’action se déroule au XVIIe siècle et où Mahjoub mêle avec brio la quête philosophique au thème de l’espionnage industriel avant la lettre! Anglophone, ce jeune Soudanais a déjà publié en anglais quatre romans et plusieurs nouvelles dont « The Cartographer’s Angel » qui a obtenu le prestigieux Guardian Award en 1993. A travers cette fiction riche en idées, Majhoub propose une vision kaléidoscopique de l’histoire du monde arabe et plus particulièrement de son pays le Soudan dont la marche turbulente et ambiguë vers le modernisme l’obsède.
Le train des sables participe de cette quête de l’Histoire. Le roman met en scène un épisode à la fois exaltant et tragique de la période coloniale soudanaise: l’insurrection mahdiste. Vers la fin du XIXe siècle, une armée de derviches organisée autour de la figure énigmatique d’un messie musulman, l’imam Muhammad Ahmad ibn ‘Abd Allah, dit al Mahdi, libéra le Soudan de la mainmise des Turco-Egyptiens et parvint même à infliger des défaites humiliantes aux forces expéditionnaires britanniques dépêchées pour aider les Turcs à se maintenir à Khartoum. Pendant presqu’une quinzaine d’années, les mahdistes garderont la haute main sur tout le Soudan septentrionnel dont ils s’étaient emparés. Le Train des sables est le récit de cette victoire étonnante des gueux et des esclaves sur les grandes puissances militaires armées de canons et de fusils.
Ce récit est aussi original parce qu’à chaque instant de la narration l’auteur s’écarte de la version officielle pour raconter ces événements du point de vue des révoltés qui n’étaient guère un ramassis de primitifs, ni des fanatiques ou « des sauvages de la race la plus perfide », comme l’historiographie coloniale a voulu faire croire. C’est cette historiographie coloniale que Mahjoub déconstruit en donnant la parole aux petites gens: les Kadoro, les Noon, les Razig, les Faris qui sont les véritables protagonistes de ce livre. Ecrasées par les impôts et par l’avidité des puissants, ceux-ci voient dans le Mahdi celui qui les sauvera des Turcs et du néant. « Nous n’avons plus rien, on nous a tout pris, mais il a dit que nous serons accueillis dans sa famille si nous le rejoignons sur la montagne sacrée ».
Mais ce Mahdi qui prétend avoir entendu les paroles du Prophète saura-t-il les sauver ? La révolution qu’il veut lancer au nom d’un Islam purifié peut-elle répondre aux questions identitaires de son peuple ? Beaucoup en doutent, notamment Hawi qui est le narrateur inavoué de ce roman et porte-parole de l’auteur. Inspiré par un théologue soudanais contemporain dont les demandes répétées d’une réforme en profondeur de l’Islam lui ont coûté la vie, ce personange d’intellectuel s’interroge sur l’orthodoxie, sur le fanatisme des mahdistes. Il ne peut trancher entre les deux impérialismes qui guettent le pays...
Comme tous les romans de Mahjoub, Le Train des sables n’est pas seulement une chronique historique. De par les questions que ses personnages se posent, de par les situations auxquelles ils se trouvent confrontés, ce récit entre dans une résonance tout à fait intéressante avec l’actualité la plus chaude qui hante tous nos esprits depuis les attentats du 11 septembre. Ne serait-ce que pour cela, ce livre mérite d’être lu.

Jamal Mahjoub : Le Train des sables. Traduit de l’anglais (Soudan) par Madeleine et Jean Sévry. Actes Sud, série « Afriques », 338 p., 143,65 FF.

Tirthankar Chanda



Florent Couao-Zotti : Charly, soldat de dix ans

(MFI) Après le Sozaboy du Nigérian Ken Saro-Wiwa, qui menait son héros dans les folies fratricides de la guerre du Biafra, après Allah n’est pas obligé de l’Ivoirien Ahmadou Kourouma qui a pour cadre les conflits du Liberia et de la Sierra Leone et L’Aîné des orphelins du Guinéen Tierno Monenembo, dans les douleurs de l’après-génocide rwandais, voici un autre roman qui prend pour héros un jeune garçon emporté par les folies et les fureurs de la guerre : Charly en guerre du Béninois Florent Couao-Zotti. Un roman destiné aux jeunes lecteurs qui paraît aux éditions Dapper, après avoir connu une première version publiée à Lomé aux éditions Haho sous le titre Un Enfant dans la guerre, et avoir obtenu le premier prix du concours de l’Agence de la Francophonie de littérature africaine pour enfants, en 1996.
Charly est orphelin. Son père a été tué et sa mère enlevée alors qu’elle était réfugiée dans un camp de la Croix-Rouge. Et le gamin de dix ans va, dès lors, connaître l’effroyable engrenage de la guerre, du compagnonnage aux prétendues amitiés viriles. Baptême de la drogue, baptême du feu et des dérives meurtrières comme autant de cérémonies d’initiations à risques menées par ses compagnons de misère et de drame. Une seule obsession occupe sa frêle silhouette d’apprentis soldat, l’image de sa mère qu’il n’aura de cesse de retrouver par delà l’effroyable cortège de blessures et de mort.
Après un roman, Notre pain de chaque nuit, et un recueil de nouvelles, L’homme dit fou, tous deux imprégnés des rumeurs, des ombres et des coulisses de Cotonou, ce nouveau titre de l’écrivain béninois porte la marque d’un roman de dénonciation à la volonté didactique manifeste, exprimée dans une écriture rythmée, certes moins inventive mais plus immédiatement accessible au public visé.

Editions Dapper, 160 p., 35 FF.

Bernard Magnier



Naguib Mahfouz ou l’amour du genre humain

(MFI) Roman, nouvelles, autobiographie : Miroirs, qui rassemble quarante-cinq portraits d’hommes et de femmes dont les chemins se sont entrecroisés entre 1920 et 1970, est un des livres les plus originaux du prix Nobel égyptien car il relève à la fois de tous les genres littéraires. Par-dessus tout, pourtant, c’est l’amour du genre humain qui l’anime ; ses personnages sont riches ou mendiants, généreux ou égoïstes, honnêtes ou arrivistes, lâches parfois, mais jamais méprisables. C’est souvent une rencontre, faite par hasard au coin d’une rue ou dans un café, qui fait renaître des souvenirs enfouis depuis longtemps.
Deux ou trois générations se succèdent d’étudiants, professeurs, voisins, collègues du ministère. Leurs destins croisent, plusieurs fois pour certains, les chemins du narrateur. Temps qui passe irrémédiablement, nostalgie. Certains ont fait fortune, puis ont tout perdu et ont fini dans la rue. Des amants se sont déchirés, séparés. Des camarades d’université sont morts brutalement : « Une balle l’atteignit et Abdel Wahhab Ismaïl tomba raide mort » ; « Taha rendit son dernier souffle entre nos bras, avant l’arrivée de l’ambulance ». Mystère : quelques-uns ont disparu sans laisser de traces.
De très beaux portraits de femmes illuminent ces pages : Safa, la première, adorée de loin et dont il va rechercher les traits chez toutes les autres ; Hanane, aimée lorsqu’elle avait seize ans et retrouvée à plus de soixante, mère de quatre filles et grand-mère ; Dorreya, mariée et volage ; Ouidad, mariée aussi mais fidèle, et qui demeurera une amie très chère : « Ouidad est une des dimensions de ma vie, insoupçonnée de tous, mais elle fait partie intégrante de mon être. » Souvent énergiques, les femmes sont parfois bien plus entreprenantes que les hommes - toujours prompts, eux, à saisir la vie qui passe : « -Avez-vous peur des femmes mariées ? me demanda-t-elle alors en riant. - Laissez-moi réfléchir… - Réfléchissez plutôt pour trouver au Caire un endroit tranquille où nous pourrons nous rencontrer ! »
En même temps que ce bijou paraît aux éditions de l’Aube un petit recueil rassemblant quatre nouvelles inédites de Mahfouz, un « modeste hommage pour ses quatre-vingt-dix ans » - l’écrivain est né le 11 décembre 1911. Nouvelles précédées du discours prononcé lors de la remise du Nobel à Stockholm en 1988 et appelant les pays riches à agir enfin en faveur des plus pauvres. C’est, toujours, d’une brûlante actualité.

Naguib Mahfouz : Miroirs. Ed. Desclée de Brouwer, 318 p., 138 FF.
Le Vieux Quartier. Ed. de l’Aube, 64 p., 39 FF.

Henriette Sarraseca



Orhan Pamuk, le « jeune turc » qui dérange

(MFI) D’emblée, ce romancier de 49 ans très lu dans son pays et respecté en Occident se définit comme un « occidentaliste à la recherche d’une certaine authenticité ». Nourri autant de littérature européenne et américaine que de la culture et des traditions de son pays, il nous offre un roman à suspense dans le style du Roman de la rose, où il y a meurtre, traque de l’assassin et histoire d’amour. « Maintenant, je suis mon cadavre, un mort au fond d’un puits. » Ainsi débute Mon nom est rouge, son cinquième roman traduit en français, roman polyphonique où de nombreux personnages prennent tour à tour la parole. La victime est Monsieur Délicat, un enlumineur du XVIe siècle qui travaille en secret, sur commande du sultan Murat III, à un grand livre d’heures « à l’occidentale » c’est-à-dire, en dépit des interdits de l’islam, enrichi en représentations humaines. Chez Orhan Pamuk l’intellectuel, l’observateur parfois critique de sa société est là, mais le plaisir du conteur, l’art du romancier l’emportent. Ce n’est pas toujours le cas chez les nombreux écrivains qui se trouvent à la frontière de deux cultures. « Dans tous mes livres, dit-il, cette dichotomie entre l’Est et l’Ouest est présente. Et ce sera l’œuvre d’une vie que d’arpenter les multiples sentiers, idéologiques et symboliques, de cette contradiction. »

Orhan Pamuk : Mon nom est rouge. Gallimard, 570 p., 177 FF.

H. S.



Mahomet par Salah Stétié

(MFI) C’est autant pour lui-même que pour ses futurs lecteurs que Salah Stétié s’est lancé dans l’écriture d’une biographie du Prophète, appelé Mahomet sur la couverture du livre, Muhammad dans le texte. Né à Beyrouth, longtemps diplomate, poète et essayiste, Salah Stétié est un érudit connaissant aussi bien les pensées occidentales que les spiritualités de l’Asie profonde, qui l’ont « fasciné ». Son islam est à la fois « un islam culturel » et un sentiment d’appartenance à une communauté musulmane qui, dit-il, « me rassure au niveau de ma fidélité envers moi-même, envers les autres, à l’heure difficile que voici, difficile pour l’islam et la totalité de ses peuples ». Sa biographie retrace d’abord la vie d’un homme exceptionnel dès son jeune âge : aimant les bonnes nourritures mais sobre, capable d’émotion mais encore plus intériorisé, actif mais surtout diplomate, vivant pleinement et pourtant en quête de spiritualité, législateur et inspiré. Les visions ou révélations dans la grotte, les années qu’il lui a fallu, entre frayeur et émerveillement, avant de se dire envoyé puis prophète, le cheminement personnel est replacé dans le contexte historique de la péninsule arabique, polythéiste mais aussi fortement marquée par les juifs et les chrétiens, l’influence du désert poussant les êtres à un questionnement sur l’absolu et aussi celle de La Mecque, lieu de passage de marchands, artistes, tenants de tous les courants de pensée de l’époque. Deux axes forts dans cette biographie réussie : le cheminement de Muhammad, humain, social, intime, et la mise en avant du contenu spirituel du Coran et de l’islam, un esprit qui -comme dans toutes les grandes religions ou philosophies- devrait éloigner le croyant et pratiquant sincère de l’égoïsme et la violence pour lui faire entrevoir la lumière.
A signaler aussi, dans la même collection, la parution d’une biographie de Moïse signée Jean Blot.

Salah Stétié : Mahomet. Ed. Albin Michel (coll. Spiritualités vivantes), 356 p., 56 FF.

H. S.



Islamisme : Un déclin annoncé

(MFI) Parue il y a un an et publiée aujourd’hui en collection de poche l’excellente analyse de Gilles Kepel permet de mieux comprendre l’actualité. Professeur à l’Institut des Sciences Politiques, Gilles Kepel, fin connaisseur du monde musulman, a travaillé cinq ans sur cette étude des mouvements islamistes dans le monde contemporain. De l’Arabie saoudite à la Malaisie en passant par le Pakistan ou le Soudan sans oublier l’Egypte ou la Turquie, son enquête l’a mené au cœur des différents mouvements qu’a vu naître la fin du XXe siècle. Il observe comment l’idéologie de départ se modifie en fonction des aléas des contextes politiques, mais aussi des rapports des militants à l’argent ou au pouvoir.
Si, depuis les années soixante-dix, l’ère islamiste a pris une telle importance – en Iran, les islamistes ont alors accédé au pouvoir – c’est qu’elle s’est inscrite dans une période de grands bouleversements, une génération après l’indépendance. En elle se sont mêlées à la fois une jeunesse pauvre issue de l’expansion démographique et une bourgeoisie pieuse et conservatrice. Le langage politique islamiste traduisait parfaitement leurs diverses frustrations face à une modernité dont ils se sentaient encore exclus. Plus tard, les années quatre-vingt-dix voient l’explosion d’un terrorisme islamiste, mais, selon l’auteur, c’est pourtant à une désagrégation de l’idéologie commune que l’on assistera en même temps. Avec un chapitre sur les dérives « jihadistes » des talibans et de Ben Laden, ce livre passionnant reste un élément essentiel pour essayer de mieux comprendre les événements récents.

Gilles Kepel : Jihad, expansion et déclin de l’islamisme. Folio Gallimard, 710 p., 60 FF.

Moïra Sauvage



Jean-Claude Guillebaud : Comment être encore humaniste ?

(MFI) Parmi les questions que se pose l’homme d’aujourd’hui, les plus essentielles ne sont-elles pas celles qui concernent l’être humain? On connaît l’aptitude du journaliste Jean-Claude Guillebaud à réfléchir depuis plusieurs années sur le monde qui l’entoure. Les mutations de l’économie, de la technologie et de la génétique l’on conduit à s’interroger sur l’essence même de l’espèce humaine, sur la définition de l’homme. Vaste sujet que l’auteur ne prétend pas cerner facilement. Etablissant un état des connaissances actuelles, il tente simplement, dans cet essai passionnant, de redéfinir ce « principe d’humanité » sans lequel il n’est d’autre avenir que barbare.
« Qu’est-ce qui nous arrive ? » demande-t-il avec le ton direct et simple qui fait le charme de son écriture. Voilà que l’honnête homme de ce début du XXIe siècle se prend à douter de lui même ! Convaincu depuis plus de deux cents ans que l’homme est le centre du monde, que l’humanité est ce qu’il y a de plus achevé sur cette terre, nous vivons depuis la Seconde Guerre mondiale dans la certitude que l’avènement universel des Droits de l’homme sera le signe d’une nouvelle époque des Lumières. Mais lorsque nous nous penchons sur les dernières découvertes de la génétique ou des neurosciences ne sentons-nous pas le doute s’insinuer peu à peu : « Qu’est-ce qu’un homme au juste ? ». Manipulations génétiques, clonage, recherches sur l’embryon…Les transformations à venir sont si radicales que même les comités d’éthique semblent s’y noyer. Alors le lecteur moyen…Quand aux sciences cognitives, qui nous suggèrent l’hypothèse d’une possible intelligence artificielle, ou la physique moléculaire, qui postule une continuité de la matière, matière vivante et homme y compris, ne font-elles pas reculer toutes les définitions de l’humain auxquelles nous nous étions, depuis tant de siècles, accoutumés ?
Ce qui découle, selon Guillebaud, de toutes ces découvertes est bien l’écroulement de nos convictions les plus profondes et les plus enracinées dans notre époque. « Comment pourrons-nous promouvoir les droits de l’homme si la définition de l’homme est scientifiquement en question ? Comment conjurerons-nous les crimes contre l’humanité si la définition de l’humanité elle-même devient problématique ? » Le journaliste veut cependant rester optimiste. A partir d’expériences américaines et des recherches du paléontologue Stephen Jay Gould, l’auteur conclue sur la conviction qu’il « existe un ailleurs de l’expérience humaine que la science est impuissante à saisir ». A la manière du pari de Pascal, il veut prendre le parti pris d’humanité, projet sans cesse aléatoire et menacé. Si l’humanité est une énigme, elle est en tout cas inséparable d’une volonté de résistance. L’engagement restant pour Jean-claude Guillebaud le meilleur remède aux interrogations.

Jean-Claude Guillebaud : Le principe d’humanité, Seuil, 380 p, 130 FF.

M. S.





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