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07/06/2001
Diversité culturelle : un combat francophone
1990-2000 : la décennie des traductions africaines


(MFI) Dans l'espace francophone, une intense activité de traduction a permis ces dernières années de mettre à disposition un nombre important d'œuvres étrangères, en particulier celles qui émanent du domaine anglophone ou lusophone en Afrique. De quoi redonner corps à une littérature africaine qui a longtemps souffert de la division linguistique... et nourrir la diversité.

Pendant longtemps, les traductions de livres venus d'Afrique sont demeurées une espèce rare dans la bibliothèque du lecteur francophone curieux. Toutefois, durant cette dernière décennie, des bouleversements importants sont advenus au cœur du paysage littéraire africain et l'accroissement considérable de la quantité et de la qualité des traductions offertes par les éditeurs européens aux lecteurs francophones constitue, sans doute, l'un des événements les plus pertinents et les plus heureux de cette période.

En 1990, une centaine de titres traduits

Au début des années quatre-vingt-dix, les traductions de fictions anglophones du sud du Sahara représentaient à peine plus d'une centaine de titres traduits (par comparaison, pour la même période, la littérature cubaine représentait quelques 80 titres traduits !) et un examen plus approfondi révélait qu'une immense majorité de ceux-ci provenait de l'Afrique du sud, dont près de la moitié était l'oeuvre du « quatuor blanc » constitué par Nadine Gordimer, André Brink, Breyten Breytenbach et J. M. Coetzee (trente titres à eux quatre). A leurs côtés, les écrivains nigérians tenaient également une place de choix, mais Wole Soyinka (avec plus de seize titres traduits) occupait à lui seul plus de la moitié de cet espace. Ainsi donc, si la quantité de titres traduits demeurait faible, le nombre d'auteurs l'était plus encore et seuls quelques écrivains de grand talent masquaient souvent, à leur insu, les publications de leurs confrères.

De nouvelles traductions de l'anglais...

Dans cette dernière décennie, le rythme des traductions s'est considérablement accru et de nombreux nouveaux titres sont devenus accessibles au public francophone. Dans le domaine anglophone, l'Afrique du sud est demeurée une terre prolixe mais les écrivains noirs ont confirmé une présence déjà effective dans les années quatre-vingt avec Mongane Wally Serote, Alex La Guma ou Miriam Tlali. A leurs côtés, de nouveaux noms sont apparus, parmi lesquels Njamulo Ndebele, Zoé Wicomb, Amat Dangor ou Ivan Vladislavic se révèlent les plus novateurs.
Au Nigeria, les œuvres du Prix Nobel, Wole Soyinka, ont continué d'être traduites avec régularité, mais d¹autres écrivains sont venus s'ajouter à la liste, sans toutefois imposer un nombre d'écrivains à la mesure de l'immensité de la population. Ben Okri (La Route de la faim) fait figure de leader de cette nouvelle génération, avec, à ses côtés, sa compatriote, également résidant à Londres, Buchi Emecheta. D'autres pays, à ce jour peu représentés, ont également bénéficié de ce mouvement d'intérêt. Le Zimbabwe a révélé la romancière Tsitsi Dangarembga (A fleur de peau), le romancier Chenjerai Hove, et plus récemment Dambudzo Marechera, traduit quelque treize ans après sa mort. La Tanzanie apportait quant à elle Paradis d'Abdulrazak Gurnah, à la suite des Girofliers de Zanzibar écrit en swahili par Adam Shafi Adam. La Somalie étant présente grâce à la traduction de sept romans de Nuruddin Farah.

... et du portugais

Dans le domaine lusophone, dans le sillage de l'Angolais Luandino Vieira, dont plusieurs romans avaient été traduits (dès 1971 chez Présence Africaine, puis chez Gallimard), plusieurs écrivains ont été révélés. Tout d'abord l'oeuvre novatrice du mozambicain Mia Couto avec son roman Terre somnambule et ses deux recueils de nouvelles, Les Baleines de Quissico et La Véranda au frangipanier, mais aussi son compatriote Suleiman Gassamo (Le Retour du mort aux Editions Chandeigne), les Angolais Pepetela et Manuel Rui, le Bissau-guinéen Abdulai Sila (L'ultime tragédie chez Sepia), ou les Cap-verdiens Baltasar Lopes (Chiquinho) et Germano Almeida (Le Testament de M. Népomucène da Silva Araùjo, chez Sépia).

Le rôle des éditeurs

Dans cette aventure, le rôle des éditeurs fut déterminant et, là encore, ces dix dernières années ont vu se multiplier les initiatives et les élans. La création de nouvelles collections ou la venue sur le marché de nouvelles enseignes ont ainsi concrétisé cet intérêt. Il faut rappeler les initiatives pionnières des éditions Présence Africaine, des éditions de L'Harmattan (qui, en particulier grâce aux traductions de Jean-Pierre Richard, avaient permis de révéler des talents sud-africains, Myriam Tlali, Alex La Guma, Sipho Sepamla), ou bien encore de la collection « monde noir poche » des éditions Hatier, qui avait, par son format et son prix, rendu accessible à un plus grand nombre, des traductions d'auteurs confirmés comme Chinua Achebe ou Wole Soyinka, mais aussi permis la découverte de quelques talents nouveaux, ainsi le roman du Nigérian Nkem Nwamko, Ma Mercedes est plus grosse que la tienne, ou le superbe texte poétique, La Voix, de son compatriote Gabriel Okara. Mais ces dix dernières années ont vu aussi la naissance de maisons d'édition (Serpent-à-plumes, Dapper, Acoria) ou de collections (« Afriques » chez Actes Sud, « Continent noir » chez Gallimard) qui, elles aussi, ont pour une large part joué la carte de la traduction.
Parmi les publications les plus remarquables, les Editions du Serpent-à-plumes ont réédité quelques titres mais ont aussi entrepris la traduction de Zoé Wicomb (Une Clairière dans le bush), d'une trilogie de Nuruddin Farah (Territoires, Dons, Secrets); la collection « Afriques » des éditions Actes Sud, outre la réédition du classique Mhudi, du Sud-Africain Sol Plaatje et le deuxième volume des mémoires de Wole Soyinka, (Ibadan, les années pagaille), a permis de découvrir le Zimbabwéen Chenjerai Hove (Ombres, Ossuaire), la Ghanéenne Arma Darko (Par delà l'horizon), le Soudanais Jamal Mahjoub (La Navigation du faiseur de pluie, Le Télescope de Rachid) et surtout la traduction due à deux burkinabés, Amadou Bissiri et Samuel Millogo, du roman Sozaboy du Nigerian Ken Saro-Wiwa.

Une multitude d’initiatives

Dernières venues, les Editions Dapper, jusqu'alors spécialisées dans les beaux livres consacrés à l'art africain, ont permis la traduction de l'Angolais Manuel Rui (Le Porc épique), du Zimbabwéen Dambudzo Marechera (La Maison de la faim) et du Sud-Africain Zakes Mda (Le Pleureur) tandis que la collection « Continents noirs » des éditions Gallimard offrait une réédition de L'ivrogne dans la brousse du Nigérian Amos Tutuola, dans la traduction de Raymond Queneau, publiée pour la première fois en 1957. Ces deux dernières maisons ayant choisi pour délimiter leur champ d'action éditoriale de ne pas retenir le critère géographique mais d'offrir un espace aux auteurs de l'ensemble du monde noir.
Par ailleurs, d'autres initiatives méritent également d'être signalées. Ainsi, les éditions Gaïa, habituellement davantage tournées vers l'Europe scandinave, ont pour leur part jeté avec bonheur leur dévolu littéraire sur la Nigériane Buchi Emecheta. Les éditions Belfond ont publié Soyinka puis Tutuola; Albin Michel s'est intéressé au Mozambicain Mia Couto et à la Zimbabwéenne Tsitsi Dangarembga. Julliard à Ben Okri. Le Sud-Africain Dangor (Kafka's curse) a trouvé place au Mercure de France, tandis que le Tanzanien Abdulrazak Gurnah (Paradis) trouvait la sienne chez Denoël. Depuis la Suisse, les Editions Zoé ont entrepris la publication d'une autre trilogie de Nuruddin Farah (Du lait aigre-doux, Sardines, Sésame, ferme-toi) et la traduction de Bessie Head (La Femme qui collectionnait des trésors), tandis qu'en Belgique, les Editions Complexe publiaient Vladislavic (Portés disparus) et Njamulo Ndebele (Mon Oncle, Fools) et Les Eperoniers Yaka de l'Angolais Pepetela. Enfin, parmi un catalogue essentiellement francophone et très largement consacré au livre de jeunesse, les éditions Acoria ont également traduit Ken Saro-Wiwa...

La contribution décisive des traducteurs

Il convient de saluer dans la découverte de ce patrimoine le rôle essentiel joué par les traducteurs, qui se doivent de posséder, outre la maîtrise parfaite de la langue traduite, des connaissances quant à la spécificité des langues anglaises ou portugaises parlées à Lagos, à Durban ou Johannesburg, à Maputo, Luanda ou Mindelo. Des langues souvent inventives, enrichies de mots, d'expressions et de rythmes empruntés aux langues africaines avoisinantes, quand elles ne sont pas bousculées ou « pourries », selon l'expression de Ken Saro-Wiwa à propos de son roman, Sozaboy. Des langues novatrices, qui recèlent quelques pièges que seuls d'authentiques connaisseurs peuvent déjouer. Attachés à une aire géographique, à un pays ou à un auteur, ces passeurs de l'ombre ont également souvent su être de précieux intermédiaires afin de solliciter les éditeurs et suggérer telle ou telle traduction.

Faible présence des langues africaines

Si cet ensemble encourageant mérite d'être salué, quelques efforts sont encore nécessaires afin que les œuvres modernes écrites dans les langues non-européennes soient, à leur tour, rendues accessibles aux publics francophones. A ce jour, si l'on excepte les traductions des textes traditionnels (contes, légendes, épopées, récits initiatiques et autres textes issus de l'oralité), et derrière le pionnier Chaka écrit en sotho par Thomas Mofolo, les quelques tentatives que constituent Les Enfants du faiseur de pluie et Le Tueur de serpents écrits en kiswahili par Aniceti Kitereza (éditions de L'Harmattan), ou Les Girofliers de Zanzibar d'Adam Shafi Adam chez Karthala, demeurent encore bien isolés sur la liste des livres traduits d'une langue africaine.
Malgré cette absence, cette incontestable ouverture linguistique a permis de rattraper une large partie du retard accumulé les décennies précédentes et donne désormais la possibilité de raccourcir sensiblement le délai entre la parution en langue originale et la traduction en français. De belles heures de lecture sont ainsi rendues possibles et, peu à peu, ces auteurs et leurs livres rencontrent un nouveau public, contribuant à ce que ces littératures trouvent leur véritable place, sans préjugés ni parti pris, sans ostracisme ni protectionnisme mais dans la plénitude leurs talents.

Bernard Magnier





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