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08/11/2001

Chronique Livres

L'essentiel d'un livre
V.S. Naipaul de retour en Afrique

(MFI) Avec son nouveau livre Half a life (La moitié d’une vie), en cours de traduction en français, V.S. Naipaul, prix Nobel de littérature 2001, renoue avec la fiction.

C’est parce qu’il croit que le roman ne correspond pas à la sensibilité contemporaine, que Naipaul s’est longtemps interdit d’écrire de la fiction pure, situant ses livres au carrefour de la fiction, de l’autobiographie et du reportage. « Je n’arrive plus à comprendre, s’interroge-t-il, pourquoi c’est si important d’écrire ou de lire des histoires inventées ». Et pourtant Half a life, le livre qu’il vient de faire paraître en Angleterre et qui est en cours de traduction en français, est un roman. Du moins, il s’affiche comme tel, comme une œuvre d’imagination, une histoire « inventée ». C’est le premier roman que Naipaul a écrit depuis vingt-deux ans. Comme dans la plupart de ses livres, l’action se déroule à l’époque post-coloniale, au sein des communautés et des cultures nées de la colonisation occidentale. L’histoire commence en Inde, se poursuit à Londres et s’achève en Afrique. Le protagoniste principal est un Indien, affublé d’un nom pour le moins surprenant : William Somerset Chandran. « Willie Chandran interrogea son père un jour, “Pourquoi mon deuxième nom est Somerset ?” » Le lecteur se retrouve ainsi d’emblée, dès la première phrase, face à la confusion identitaire coloniale qui est au cœur de l’œuvre de Naipaul.
En fait, comme son père l’expliquera à Willie, ce nom si ridiculement britannique lui vient du célèbre écrivain anglais William Somerset Maugham dont le chemin avait croisé celui de son père, un maître spirituel excentrique apprécié des Occidentaux. Willie n’éprouve que du mépris pour la vie spirituelle de renoncement et de reniement de soi qu’enseigne le Chandran Senior, mais profite des nombreux contacts de ce dernier pour décrocher une bourse pour faire des études à Londres. Il y mène une vie de bohème, tout en s’essayant à l’écriture. Il réussit à publier un recueil de nouvelles qui, malheureusement, n’enthousiasme pas la critique. Seule, une jeune femme lui écrit pour lui dire combien elle a eu l’impression que ce livre parlait d’elle. Ils se rencontrent, sympathisent sans doute parce qu’ils viennent tous les deux des marges de l’empire occidental finissant. Ana est métisse, issue d’une riche famille de colons portugais installés au Mozambique. Chandran va l’accompagner dans sa vaste ferme perdue dans la brousse africaine. Il y vivra pendant dix-huit ans parmi les fermiers portugais de deuxième ou troisième génération, pas des Portugais à part entière à cause des unions contractées par leurs ancêtres avec les femmes locales. Cette « faute de parcours » leur vaut d’être considérés par le gouvernement colonial comme des citoyens de deuxième zone. Willy partage la vie superficielle de cette communauté bâtarde, leur sentiment d’insécurité face aux mouvements de libération africains qui chaque jour gagnent du terrain. Le roman s’achève sur l’effondrement de l’ordre occidental en Afrique, l’entrée en scène des régimes africains contestés et la prémonition des turbulences plus graves à venir.
A la fois roman d’initiation et roman politique, ce nouveau texte sous la plume d’un des maîtres de la prose de langue anglaise frappe par son ton profondément mélancolique et l’acuité du regard critique qu’il porte sur le désordre post-impérial contemporain. Seul, le tableau que Naipaul dresse de l’Afrique en filigrane, de sa résistance tranquille contre la colonisation, de sa grâce, de l’émotion océanique qu’elle suscite chez Willie qui à cause de son passé de colonisé se sent plus proche du monde des Africains que de celui des Portugais, sauve ce roman du désespoir.

Half a life, par V.S. Naipaul. Picador, 228 p., 15,40 Euros.

Tirthankar Chanda



Gamal Ghitany : L’Egypte du pouvoir et du fric

(MFI) Loin de l’univers onirique de son précédent roman, l’Appel du couchant, Gamal Ghitany entraîne cette fois son lecteur dans les méandres d’ une multinationale égyptienne aux coutumes parfois étranges. Un univers cynique et souvent cocasse où se côtoient des personnages mystérieux et caricaturaux.
A l’origine des intrigues fomentées par des hommes de l’ombre et des drames vécus par les autres, il y a l’Institution. L’énorme entreprise, dont le siège a été bâti au bord d’un gouffre insondable par le fondateur, évoque le palais d’un sultan. Courtisans et fidèles s’y affrontent sans merci dans l’espoir de jouir d’une fonction plus élevée ou d’un nouveau privilège. Fidèles parmi les fidèles, Gawâhri, Amm Siddîq le Nubien et Ateyya Bey sont les dépositaires de tous les secrets de l’Institution. Inégalables dans l’art de se débarrasser d’un importun ou de faire courir une rumeur qui tuera sa victime plus sûrement que le poison ou le poignard, les trois hommes connaissent après la disparition du fondateur des fortunes diverses mais continuent de marquer l’entreprise de leur empreinte. Au-dessous, s’agitent les ambitieux, dévorés par l’envie de rejoindre le prestigieux douzième étage, celui de la direction. Et dans cet univers où tous les coups sont permis les faibles et les naïfs sont promis à l’enfer. Les Récits de l’Institution est un conte oriental contemporain dans lequel se retrouvent tous les caractères qui font les récits classiques. On remarquera, non sans un frisson, leur remarquable adaptabilité au monde de l’entreprise moderne.

Gamal Ghitany : Les Récits de l’Institution (Traduit de l’arabe (Egypte) par Khaled Osman) Editions Le Seuil. 360 p., 130 FF.

Geneviève Fidani



Les enfers d’enfance

(MFI) A douze ans, Hondo a fui le chamelier mauritanien auquel sa mère l’avait confié avant de mourir. Dès lors, sa destinée va ressembler à une effroyable descente aux enfers, ponctuée de rencontres avec des personnages tous familiers des dérives, des interdits et des errements. Brigands sanguinaires, trafiquants d’organes, enfant-soldat rescapé du conflit sierra-léonais, voleurs et prostituées, riches nymphomanes canadiennes et autres pédophiles en mission... humanitaire constituent l’effroyable galerie de portraits rencontrés par l’enfant au gré de son errance sur le continent.
Une existence faite de survie quotidienne, d’épreuves et d’humiliations et qui s’enfonce, chaque jour un peu plus, dans la démesure, l’excès et les folies inhumaines, avant d’échouer dans les geôles sordides pour n’avoir pas voulu dénoncer l’un de ses compagnons de dérive. Telle est l’infortune contée par Jean-Claude Derey dans un roman d’aventures douloureuses dont le titre en pochade shakespearienne, Toubab or not toubab (Rivages / noir) pose implicitement la question des prévarications occidentales qui, à titre personnel ou d’une façon plus étatiquement organisée, sont exercées, poursuivant ainsi la main mise sur le continent.
Toubab or not toubab, un roman qui est aussi un regard porté sur une tragédie à multiples facettes et un plaidoyer pour ses jeunes et principales victimes à l’innocence manifeste. En ce sens, Hondo est bien le petit frère de Mené, le « Sozaboy » du Nigérian Ken Saro-Wiwa, de Birahima, le gamin d’Allah n’est pas obligé de l’Ivoirien Ahmadou Kourouma ou de Faustin, L’aîné des orphelins du Guinéen Tierno Monenembo.

Rivages / Noir, 220 pages.

Bernard Magnier



Maurice : L’épopée des plantations

(MFI) « Sueurs de sang n’est pas un roman historique, et son histoire n’en est pas une, car ses personnages ne sont pas les rois, les gouverneurs et autres hommes d’Etat qu’on trouve ordinairement dans les romans historiques, mais les braves et dévoués de la terre qui finissent broyés entre les meules du moulin à bras de l’histoire ». C’est en ces termes que le Mauricien Abhimanyu Unnuth introduit son roman-réquisitoire contre les crimes commis par les planteurs européens au XIXe siècle. Auteur d’une trentaine de romans, mais aussi poète, conteur et critique littéraire, Unnuth est un des plus grands écrivains contemporains de l’île Maurice. D’origine indienne, comme la majorité de la population mauricienne, il a produit l’essentiel de son œuvre en langue hindie. Dans Sueurs de sang, son roman le plus connu, il raconte la lutte désespérée menée par un jeune paysan-marron hindou contre le régime tout-puissant des planteurs. L’intrigue se déroule au milieu du XIXe siècle lorsque l’administration britannique fit venir à Maurice plusieurs milliers d’Indiens pour remplacer les esclaves noirs qu’elle venait d’émanciper sous la pression de l’opinion internationale. Attirés par les promesses fabuleuses des recruteurs locaux et par l’espoir d’échapper aux famines qui décimaient leurs villages, les Indiens se sont laissés enrôler sans imaginer l’exploitation, les châtiments, les humiliations qui les attendaient sur les plantations mauriciennes. Les deux héros du roman d’Unnuth tentent d’organiser ces laboureurs, traités comme des sous-hommes par leurs patrons et l’administration britannique, et de les conduire vers la liberté. Ponctués de chants, de poèmes, d’évocations des mythes indiens et préfacés par le Franco-Mauricien J.M.G. Le Clézio qui ne manque pas de dire son admiration pour le style épique d’Unnuth, ce roman a quelque chose de revigorant. Malgré les malheurs qui frappent les protagonistes, il réussit à inspirer confiance dans la capacité de l’esprit humain à vaincre contre l’injustice et l’horreur.

Abhimanyu Unnuth : Sueurs de sang. Editions Stock. 423 p., 144,30 FF.

T. C.



Portrait en noir et blanc de la bourgeoisie américaine

(MFI) Dans les années 70, un militant noir enlève - pour des raisons plus idéologiques que sentimentales - le bébé qu’il vient d’avoir avec une Blanche, juive et militante de « gauche ». Cette fillette dont il ne voulait pas, il l’élèvera en noire, au point de lui faire oublier sa moitié blanche. Cela réussit jusqu’au jour où la mère, qui s’est construit une nouvelle famille mais n’a jamais surmonté le traumatisme, réapparaît. La fille, de son côté, a besoin d’argent pour aller à l’université et elle compte bien que sa bourgeoise de mère, culpabilisée, ne le lui refusera pas. Ces retrouvailles douloureuses et les premières journées passés ensemble, Rosellen Brown, auteur de plusieurs romans très remarqués aux Etats-Unis, les décrit avec justesse, sensibilité, vérité. Sans manichéisme ni mélodrame. Même justesse dans la description des militants embourgeoisés : « Tout en faisant tourner les glaçons dans son grand verre de café qui refroidissait, Miriam regardait ses amis par-dessus un large gouffre. Leur inébranlable placidité la laissait perplexe. Comment avaient-ils pu acquérir en une seule génération - et elle était forcée de s’y inclure, même si elle s’accordait quelques points pour son malaise à s’y trouver - un tel sentiment de plein droit ? (…) Il n’y avait de pire déception, Miriam le savait, que de rester à mi-chemin, ni vraiment ci ni vraiment ça. Je ne suis pas l’une de vous, mes amis, mais je ne suis pas non plus différente au point de pouvoir renoncer à une seule des choses que nous avons en commun. » De la rencontre entre mère et fille naîtra un renouveau pour l’une et l’autre… Sur toile de fond d’une Amérique déchirée, un bon roman intimiste et prenant.

Rosellen Brown : Les Couleurs de l’absence. Ed. Buchet-Chastel, 528 p., 137,75 FF.

Henriette Sarraseca



La prisonnière du Tibet

(MFI) Sur la photo, elle ne sourit pas. L’œil noir fixé sur l’objectif, on la devine rebelle, indomptable. Ngawang Sangdrol est une jeune nonne tibétaine emprisonnée depuis 1992 à Lhassa pour avoir, à plusieurs reprises, protesté contre l’occupation de son pays par les Chinois. Malgré son physique de poupée, elle est devenue une héroïne nationale dont le journaliste Philippe Broussard retrace le portrait au travers des témoignages recueillis auprès d’amis et de proches réfugiés en Inde, ne pouvant bien sûr la rencontrer en prison. C’est le destin obstiné et quasi suicidaire de ce petit bout de femme, s’opposant à plusieurs reprises à ses adversaires alors qu’elle savait ce qu’elle risquait – elle est en prison jusqu’en 2014 – qui a fasciné l’auteur.
Née dans une famille de résistants, Ngawang, dont le frère aîné a été tué par les Chinois, devient nonne très tôt, à l’âge de huit ans ! Un an plus tard, elle est arrêtée pour la première fois, pour avoir participé à une manifestation. Lorsqu’en 1989 les Chinois déclarent la loi martiale après un soulèvement, elle est à nouveau arrêtée alors qu’elle crie « Vive le Tibet libre ! » et passe, à onze ans, un an en prison. Enfin, c’est en 1992 qu’elle est, pour la même raison - la même obstination - condamnée à vingt-deux ans de prison. Aujourd’hui devenue le symbole des prisonniers d’opinion du monde entier, enfermée dans le bagne le plus sévère du pays, « la petite » a été adoptée par de nombreux mouvements de défense des droits humains.

Philipe Broussard et Danielle Laeng : La Prisonnière de Lhassa. Ed. Stock, 295 p., 122 FF.

Moïra Sauvage



Le tour du monde (musulman) en 30 ans

(MFI) A quoi ressemblaient les territoires islamisés peu avant l’an mil ? Pour le savoir, suivez le guide : Ibn Hawqal, géographe, voyageur et négociant, qui consacra plus d’un quart de siècle à les parcourir, à parler avec ses habitants, modestes et puissants, et à consigner une foule de renseignements sur les lieux, les mœurs, les climats, le commerce, les impôts, les curiosités de chaque région. Parti de Bagdad « le jeudi 7 ramadan de l’année 331 (15 mai 943) » et commençant sa randonnée par l’Afrique du Nord et l’Espagne, il la termina environ trente années plus tard - c’est en 988 qu’il rédigea son monumental ouvrage - après avoir parcouru entre autres l’Egypte, la Syrie, Mésopotamie, la Perse, le Sind (bassin de l’Indus) ainsi que toutes les régions septentrionales de l’empire islamique de l’est. Le principal intérêt de ce « monument » réside aujourd’hui dans la couleur, la vivacité avec laquelle il rend compte de tout ce qu’il observe ou apprend. Ainsi rapporte-t-il, par exemple, que « la femme copte met souvent au monde à la fois deux, trois et même quatre enfants, fait qui ne se produit nulle part, en aucun autre pays. Et encore la chose n’a rien d’extraordinaire, puisqu’on la constate à plusieurs reprises en une même année. La raison en est, dit-on dans le pays, que l’eau est “féminine”, et on veut parler de l’eau du Nil qui, assure-t-on, offre une disposition spéciale en ce sens ». Toutes les distances sont en journées de marche, et Ibn Hawqal révise à la baisse les calculs de Ptolémée : ainsi, la longueur du « pays des Noirs » ne serait pas de « sept années » de marche, mais, du Ghana à l’Abyssinie, de « deux cent cinquante journées de marche en longueur, et un mois de largeur ». Le monde, déjà, se rétrécissait considérablement !
Il faut signaler que l’éditeur de ce livre, Maisonneuve & Larose, publie en même temps plusieurs autres ouvrages sur le monde islamique : Le Nouvel Islam balkanique (Les musulmans, acteurs du post-communisme 1990-2000), sous la direction de Xavier Bougarel et Nathalie Clayer ; Islam et société ouverte ( La fidélité et le mouvement dans la pensée de Mohammad Iqbal), par Souleymane Bachir Diagne, de l’université de Dakar ; et Maîtres et disciples (Genèse et fondements des pouvoirs autoritaires dans les sociétés arabes) d’Abdellah Hammoudi.

Ibn Hawqal : La configuration de la Terre (2 tomes). Ed. Maisonneuve & Larose, 552 p., 160 et 190 FF.

H. S.





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