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MFI HEBDO: Culture Société Liste des articles

09/11/2000

Chronique Livres

L’essentiel d’un livre


La mise à mort d’une minorité

(MFI) Roman russe, roman tchouktche, roman universel : dans Unna, qui vient de recevoir le prix RFI-Témoin du monde 2000, Youri Rytkhéou nous fait assister à l’agonie d’un petit peuple sibérien à travers le destin tragique d’une jeune femme que le système communiste a coupée de ses racines. C’est exemplaire, révoltant, émouvant.

« Un écrivain digne de ce nom ne peut exister qu’à contre-courant des idées dominantes », vient de déclarer Gao Xingjian, le tout récent prix Nobel de littérature. Né en 1930 dans un petit village au bord du détroit de Behring, membre de l’ethnie tchouktche, voisine des Inuits, qui ne compte plus que quelque dix mille représentants, Youri Rytkhéou est sans nul doute un véritable écrivain. Son roman Unna, du nom de l’héroïne, est certes une démonstration implacable, mais transfigurée par le lyrisme de ses descriptions, humanisée par la vérité des personnages et l’émotion avec laquelle il nous fait ressentir leur aveugle et irrésistible dérive vers l’exclusion et le malheur.
Dès la première scène, l’émotion est là : petite fille séparée de sa famille et placée dans une pension afin qu’elle grandisse dans l’idéologie communiste, Unna a honte de son père qui vient lui rendre visite, les bras chargés de cadeaux et à moitié ivre, encombré d’un amour débordant mais maladroit, muet. Déjà, elle a presque oublié sa langue d’origine. Devant l’éducatrice et ses camarades, elle se détourne de lui, réticente, gênée. On ne le sait pas, mais la coupure est déjà consommée.
Conditionnée comme un bon petit robot par la propagande, l’adolescente solitaire devient chef de komsomol étudiant, rêve d’un avenir forcément radieux, en ville, loin des pêcheurs et des rudes éleveurs de rennes de la toundra. Et lorsque des dignitaires lui proposent son premier poste de responsable politique local, elle n’hésite pas à renoncer à ses études, sans réaliser qu’elle n’est qu’un minuscule rouage, un alibi de la supposée « grande politique des nationalités » initiée par Lénine et encouragée par Brejnev. Dès lors, sa vie sera sacrifiée à cette illusion, tout comme le sort de la minorité dont elle ne veut plus faire partie – une minorité parmi tant d’autres – est sacrifié à la gigantesque entreprise de « progrès », c’est-à-dire d’acculturation et de dépersonnalisation à la soviétique.
Le grain de sable qui vient gripper la machine : Unna tombe amoureuse d’un violoncelliste juif – autre « minoritaire ». On lui conseille d’avorter. Pour ne pas perdre ses chances à la députation, elle s’exécute. Cette trahison (d’elle-même, de ce qu’aurait pu être sa vie) la mènera de renoncements en compromissions. La corruption sociale dans laquelle elle évolue n’est que le dérisoire reflet de la corruption de son esprit, de la plupart des esprits. Des années plus tard, ses ambitions politiques brisées, seul l’alcool lui apportera l’oubli et retardera une trop douloureuse prise de conscience… Efficace et admirable évocation d’une région saccagée, d’une minorité lentement mise à mort, d’un destinée broyée par l’ambition et le conditionnement. Toute ressemblance avec d’autres contrées du monde est, bien sûr, parfaitement justifiée.

Youri Rytkhéou : Unna. Editions Actes Sud, 256 p., 129 FF.

Henriette Sarraseca



Une fable sur la phallocratie contemporaine

(MFI) Calixthe Beyala occupe une place tout à fait singulière dans l’espace littéraire africain. Ecrivain prolixe, elle publie pratiquement un roman tous les ans, ce qui fait d’elle un des rares auteurs africains à vivre de sa plume, peut-être même le seul. Elle jouit aussi d’une popularité réelle auprès du grand public, comme en atteste la disponibilité en éditions poches de la plupart de ses livres, et cela malgré les accusations (non sans fondement) de plagiat dont elle a fait l’objet de la part de la critique française. La singularité de Beyala réside aussi dans son style: une écriture truculente, brutale, sarcastique qui est propre à elle et ne doit rien aux Ben Okri, Howard Buten ou Romain Gary qu’elle est accusée d’avoir plagiés. Des qualités qu’on retrouve dans son nouveau roman, Comment cuisiner son mari à l’africaine. Ce titre volontiers provocateur donne le ton d’un récit drôle, original qui charrie stéréotypes (sur les femmes noires, sur l’Afrique) et tendresse pour raconter la quête d’amour d’une Africaine de Paris.
Mademoiselle Aïssatou cherche l’homme de sa vie. Tous ses efforts pour ressembler aux Blanches n’ayant rien donné (« J’ignore quand je suis devenue Blanche, mais je sais que je me décrêpe les cheveux avec du Skin Succès fort. J’ignore quand je suis devenue blanche, je me desquame la peau avec Vénus de Milo et, dans la même logique, je brime mon corps, jusqu’à le rendre minimaliste: je n’ai pas de seins et mes fesses sont aussi plates que la terre... »), elle décide de jeter aux orties ses régimes d’amaigrissement et de recourir aux bonnes vieilles recettes de cuisine de sa mère pour séduire Monsieur Boulaboula, le manutentionnaire malien sur lequel elle a jeté son dévolu. Car comme tout le monde le sait, c’est par le ventre qu’on tient les hommes!
A travers ce récit, émaillé de recettes de cuisine les unes plus exotiques et élaborées que les autres et de descriptions pittoresques des heurs et malheurs de la cohabitation multiculturelle entre Bastille et Belleville, Calixthe Beyala nous livre une fable impitoyable sur la phallocratie contemporaine.

Calixthe Beyala : Comment cuisiner son mari à l’Africaine, Ed. Albin Michel, 165 p., 79 FF.

Tirthankar Chanda



Walter Mosley ou l’âme des Blacks

(MFI) « J’ai tué, violé, encore tué. Un bougre comme moi, i’fallait l’pendre, l’gazer, et l’mettre sur la chaise électrique en plus ! Mais non, i’ m’ont pas supprimé pasque j’étais le nègre qui suit toutes les règles et toutes les lois, hein ? J’ai assassiné les miens, j’me suis laissé prendre. Pour mon peuple, j’étais un chien enragé, mais ceusses qui font les lois, i’ m’ont jeté un os et i’ m’ont laissé la vie... C’est ça, le tour qu’on m’a joué. »
Après vingt-sept ans de détention pour viol et meurtres, suite à une virée particulièrement arrosée, Socrate Fortlow se retrouve sur le pavé de Los Angeles. Sans le sou. Il vit de petits boulots minables et habite un taudis dans le ghetto de Watts, « l’un de ces dépotoirs à ciel ouvert » qui pullulent dans la métropole californienne.
Hanté par des sentiments de rancœur et de culpabilité, il estime qu’il n’a pas payé sa dette envers la société. Aussi décide-t-il, à l’âge de 58 ans, de consacrer le restant de son existence à faire quelque chose pour les autres. Socrate commence par Darryl, un jeune délinquant paumé à qui il enseigne la responsabilité et le respect de soi. Il y a aussi le vieux copain Right Burke, ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale, à moitié paralysé, que Socrate soutiendra dans ces derniers instants. Et d’autres encore...
Après, notamment, Le Diable en robe bleue (Albin Michel), qui fut porté à l’écran avec l’acteur Denzel Washington, et La Musique du Diable (Albin Michel), chef d’œuvre consacré à l’exploration du blues, le romancier afro-américain Walter Mosley poursuit avec brio son immersion dans l’âme de la communauté noire américaine.

Walter Mosley. L’Ame d’un héros, Ed. Albin Michel, Paris, 263 p., 120 FF.

Philippe Triay



Le nouveau roman à bouffonnerie variable de Bessora

(MFI) Le deuxième roman est toujours essentiel dans la carrière d’un écrivain. Après l’accueil enthousiaste réservé à 53 cm, Bessora a poursuivi dans cette même veine, tout à la fois grave et loufoque, où le parti d’en rire a définitivement supplanté les atermoiements et les envolées pamphlétaires. Avec Les Taches d’encre, la romancière née en Belgique d’un père gabonais et d’une mère suisse, nous emporte dans les tribulations burlesques d’un étrange quatuor parfois flanqué de quelques satellites plus ou moins parasites.
Bessora ose et ne s’embarrasse d’aucune retenue dans le cocasse d’un Grand Guignol familier des studios Disney et gourmand de publicités télévisées. Ses personnages ne se prénomment-ils pas Bernard et Bianca ? Ne composent-ils pas un couple détonnant (il est assureur et elle se préoccupe du bonheur des gens au sein d’une étrange association dirigée par une homosexuelle « repentie ») autour duquel gravitent Azraél, le frère de Bernard, employé dans une entreprise de pompes funèbres appelée Funland; Muriel, une voyante apatride et le souvenir d’un frère, Noël, décédé et incinéré les poches pleine de smarties... Étranges et complexes destinées auxquelles il convient d’ajouter celles d’un demi-frère métis de Bianca, d’un oncle missionnaire au Rwanda, d’une cousine en Nouvelle-Calédonie, ou d’un grand-père indochinois...
Melting-pot en guise d’inventaire cosmopolite pour ce récit au cours duquel les « petites » interrogations existentielles voisinent avec les « grandes » obsessions de la vie quotidienne. L’épopée administrative de 53 cm n’a plus, ici, tout à fait la même actualité mais la quête identitaire demeure néanmoins une préoccupation essentielle. De toute évidence, Bessora s’amuse en écrivant, tant lorsqu’elle restitue des conversations d’après repas d’un conformisme primaire ou d’un racisme affligeant, que lorsqu’elle truffe son roman de jeux de mots ou de quelque « gingle-pub » de son cru, comme autant de clins d’œil complices adressés au lecteur avisé. Avec, semble-t-il, la même jubilation qu’un écolier couvrant de taches son cahier neuf, la romancière ne résiste à aucune cocasserie, n’épargnant aucun détail de la vie quotidienne de ses personnages (de leur hygiène dentaire à l’usage des dragées Fuca !), emportant le récit vers un ailleurs à bouffonnerie variable et demandant à son lecteur une vigilance et une disponibilité de toutes les lignes, le laissant éreinté par le rire et les méandres d’une intrigue acrobatique.

Le Serpent-à-plumes éditeur. 284 p., 99 FF.

Bernard Magnier



Laâbi par lui-même

(MFI) Sans doute lassé de devoir toujours répondre aux mêmes et lancinantes questions sur le pourquoi, le pour qui et le comment de l’écriture, l’écrivain marocain Abdellatif Laâbi a choisi de poursuivre et d’anticiper la demande dans un petit livre significativement intitulé L’Ecriture au tournant (Editions Al Manar). Il y confie ses propres interrogations et certitudes sur la place et le rôle de l’écrivain, sur la validité de sa démarche, ou, plus simplement sur l’acceptation par les autres (le groupe, la société, les représentants de l’ordre et du pouvoir, etc.) de son existence. Un petit livre, loin des bruits et des fureurs médiatiques qui offre aussi une réflexion sur la singularité de l’« écrivain du Sud ou de la périphérie », dans ces terres souvent hostiles où le seul fait d’écrire est déjà « transgression ».
Figure singulière et solitaire, bouleversé et tourmenté comme le suggère la toile du peintre Mahi Binebine reproduite dans cet opuscule, le poète « chassé de la cité et, sur la voie de l’errance où il s’est engagé, se trouve à l’écart de la caravane ». Mais au-delà de tous ses doutes et de tous les obstacles qu’il se doit de vaincre, il demeure guidé par une extraordinaire énergie, par cette étrange et exceptionnelle activité créatrice, tout à la fois source vitale et raison de vivre : « L’écriture est pour toi comme une prière adressée à la vie pour qu’elle continue de te visiter. Si tu écris, c’est parce que tu es encore vivant. Qui peut te le reprocher ? »

Editions Al Manar, 96 bd Maurice Barrès 92200 Neuilly, 30 pages, 60 FF.

B. M.



La rencontre impossible (ou presque) entre hommes et femmes

(MFI) Pourquoi, paraît-il, les femmes mariées se lassent-elles de faire l’amour avant leurs maris – lesquels vont « voir ailleurs »? Pourquoi réclameraient-elles plus de tendresse et de stabilité et eux plus de sexe? Pourquoi les hommes ont-ils si peur – comme naguère les femmes – d’être pris pour de simples objets de désir? Pourquoi le vrai but du désir est-il de se perpétuer (sinon, il n’y aurait pas autant d’amours impossibles) et non, contrairement à ce qu’on peut penser à première vue, de se satisfaire? Quand un psychanalyste néerlandais se penche sur ces questions fondamentales, il apporte quelques réponses, pose énormément de questions, et assaisonne fort heureusement le tout d’une dose d’humour. Une réponse, matière à réfléchir : « Pourquoi lorsqu’une personne est désirée, il y a de fortes chances qu’elle prenne le fuite? (…) La fuite vient d’une sensation d’être réduit à un objet PASSIF du désir de l’autre. Pour l’une ou l’autre raison, cette réduction est menaçante, et elle vaut aussi bien pour l’homme que pour la femme. » A noter aussi que « le courant tendre et le courant sensuel », le besoin d’amour et d’appartenance sont également partagés par les deux sexes. Que de bonnes nouvelles! Les voies, pourtant, divergent. En quoi, pourquoi : c’est tout l’intérêt de ce livre qui permet aussi de comprendre en quoi les pulsions n’ont rien d’animal mais, à la croisée des instincts et du psychisme, elles font partie, avec le rire et la pudeur, de la « nature » humaine.

Paul Verhaeghe : L’Amour au temps de la solitude. Ed. Denoël, 266 p., 110 FF.

H. S.



Vol au-dessus de la littérature française

(MFI) La littérature française du Moyen-Age à nos jours en un seul livre : pari réussi. En 1522 pages, il est vrai, ce volume de la collection In Extenso nous donne les informations et les clés nécessaires à la compréhension d’un univers qu’on peut explorer tout au long d’une vie en continuant de faire des découvertes. Chaque période (Moyen-Age, XVIe, XVIIe, etc.) s’ouvre par une réflexion sur le cadre historique et idéologique (politique, économie, sociétés), suivie du cadre intellectuel (mentalités, courants d’idées, conditions de la production littéraire). Dans le cadre littéraire, enfin, on comprend pourquoi les genres ont évolué en accord avec les sensibilités : en fait, par exemple, on n’est pas passé de la tragédie classique au drame romantique, il y a eu entre les deux la tragédie philosophique ou domestique, et le mélodrame. Dans une seconde grande partie du livre, on apprend l’essentiel sur les principaux auteurs, d’Apollinaire à Zola, en passant aussi par des inattendus comme Sue ou Gracq. Un bon manuel de référence pour le prix d’un roman.

Histoire de la littérature française, sous la direction de Daniel Couty. Ed. Larousse, 1 522 p., 160 FF.

H. S.





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