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11/05/2001

Histoire : Autour de l'"afrocentrisme", ou le réveil inattendu d'un vieux débat

(MFI) L'Afrocentrisme est une vision de l'histoire africaine recentrée sur les préoccupations des chercheurs et intellectuels africains, soucieux de revisiter leur patrimoine. Des historiens occidentaux ont déclenché une attaque en règle contre cette conception : un célèbre historien, Théophile Obenga, leur répond. Le débat fait rage...

On se souvient de l’époque où, préfaçant Senghor, Jean-Paul Sartre, sous le titre de Orphée noir, clamait son soutien à la Négritude. On se souvient de Présence Africaine et des discussions qui animaient les jeunes écrivains autour d’Alioune Diop. On se rappellera aussi du brûlot de Cheikh Anta Diop resituant la civilisation occidentale dans son contexte africain, via l’Egypte. Tout ceci pouvait sembler lointain, voire dépassé. Il n’en est rien. Le feu couvait sous la braise. Il vient d’être ravivé par la publication à Paris de deux livres qui raniment d’une façon passionnelle le débat.
Le premier, Afrocentrisme. L’histoire des Africains entre Egypte et Amérique, est écrit par des universitaires occidentaux qui ont décidé de mener une réflexion historique et de faire une mise au point de théories qu’ils jugent contraires à l’esprit scientifique. Sous la direction de François-Xavier Fauvelle-Aymar, Jean-Pierre Chrétien et Claude-Hélène Perrot, ils dénoncent les dérives de ce qu'il est convenu d'appeler l’Afrocentrisme. Tout en reconnaissant qu’il s’agit là d’un « terrain miné », ces universitaires tiennent à montrer que « l’on peut étudier l’Afrique de façon aussi rigoureuse que n’importe quelle autre région du monde ». Il ne s’agit pas de nier qu’il y eut dans le passé une vision eurocentriste de la civilisation égyptienne qui en évacuait les apports africains, mais de refuser a contrario une idéologie entièrement noire de la civilisation égyptienne dont l’historien sénégalais Cheikh Anta Diop a lancé les prémices dans Nation nègres et Culture (Présence Africaine, 1955).

Provocation ?

Il y a un peu de provocation à avoir réuni dans un ouvrage de 400 pages 19 signatures provenant de France, de Grande-Bretagne et d’Amérique, sans y avoir associé celles de leurs collègues africains, dont on sait que certains partagent les mêmes réserves sur l’Afrocentrisme. On voit bien là la myopie de l’université française qui s’attire des coups prévisibles en pointant minutieusement, et parfois avec un peu d’arrogance ou d’ironie, une série de contradictions ou d’insuffisances dans des écrits afrocentristes, en particulier dans ceux de Cheikh Anta Diop et de Théophile Obenga.
Ce dernier, principal continuateur de l’œuvre de Cheik Anta Diop, déverse en retour sa colère dans un ouvrage intitulé Le sens de la lutte contre l’africanisme eurocentriste. « Nous sommes accoutumés, désormais, aux agressions culturelles, aux mensonges pédagogiques et aux injures insistantes des africanistes » annonce-t-il dans son introduction ; « nous aurions aimé ne pas réagir si un problème fondamental n’était pas en jeu : la conscience historique africaine, le futur culturel et politique africain. »
Obenga accuse donc les auteurs du livre Afrocentrismes et utilise pour cela un ton qui manque totalement de sérénité. Falsification de l’histoire, confiscation de la civilisation égyptienne au profit de la race blanche, complot, racisme, toutes ces accusations deviennent des armes offensives/défensives contre la blessure profonde infligée par l’Europe à l’Afrique noire. Sans vouloir entrer dans un débat de fond qui ne peut être traité que par les spécialistes, disons qu’un peu de sobriété n’aurait pas nui au propos de l’ouvrage. On peut débattre des idées sans insulter les hommes qui les expriment.
On en trouve un exemple dans les attaques dont fait l’objet Jean-Pierre Chrétien. On connaît l'attachement de cet historien à l’Afrique, en particulier à celle des Grands lacs sur laquelle il a bâti sa vie professionnelle. Il est ici traité de « raciste haineux » qui a « réanimé par ses écrits et ses dires les problèmes socios-politiques entre les Tutsi et les Hutu ». Mais pour qui connaît Chrétien, on pourrait même lui reprocher d’avoir trop souhaité les gommer... Sur ce même ton, Obenga renvoie chaque auteur à son idéologie eurocentriste.
Théophile Obenga ne manie pas le verbe avec mesure mais son indignation n’est pas feinte et ses accusations ne sont pas toujours dénuées de fondement. Les universitaires français, manquent souvent d’ouverture envers les chercheurs qui ne font pas partie de leur cercle d’idées. Réciproquement, les disciples de Cheikh Anta Diop ont pris l’allure d’une église tout aussi exclusive et ils ne supportent pas la moindre analyse de leurs écrits.
La querelle de l’Afrocentrisme est ainsi ravivée. Léopold Sédar Senghor demandait aux jeunes intellectuels de revoir la Négritude à l’aune des temps nouveaux. Est-ce cette revisitation qui s’amorce ? Dans ce cas l’on peut s’interroger sur sa forme. Un débat est toujours souhaitable dans un respect mutuel. Surtout, comme c’est le cas, lorsque les uns et les autres n’ont qu’un seul souci : l’Afrique.

Jacqueline Sorel

Sous la direction de François-Xavier Fauvelle-Aymar, Jean Pierre Chrétien et Claude-Hélèine Perrot, Afrocentrismes. L’histoire des Africains entre Egypte et Amérique.(Karthala 2000)

Théophile Obenga, Le sens de la lutte contre l’africanisme eurocentriste (Khepera, L’Harmattan 2001)





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