(MFI) Nega Mezlekia a vécu intensément les années sanglantes de la révolution éthiopienne qui mit fin en 1974 au règne du « roi des rois », l'empereur Hailé Sélassié. Lycéen militant de causes plus ou moins perdues, puis étudiant dans la capitale éthiopienne soumise à la « terreur rouge » de la junte militaire, c'est un moment décisif de l'histoire récente de son pays qu'il retrace dans ce récit autobiographique où l'humour côtoie le drame. Le titre du livre, Dans le ventre d'une hyène, évoque un souvenir d'enfance : à la sortie de l'école, à Jijiga dans l'Ogaden où il a passé sa jeunesse, l'auteur et ses camarades de classe s'amusent à narguer les hyènes aux alentours de la ville. A ces jeux de gamins téméraires succèdent bientôt les engagements politiques : Nega et ses camarades organisent une marche de protestation en faveur des paysans durement exploités par le système féodal en vigueur. Puis, pour manifester encore plus catégoriquement leur opposition au régime, l'auteur et un de ses camarades rejoignent les rebelles du mouvement de libération de l'Ogaden, province peuplée de Somalis annexée par l'Ethiopie. Entreprise aussi paradoxale que risquée : il est en effet le fils d'un haut fonctionnaire éthiopien, de surcroît amhara (l'ethnie de l'empereur), et, les guérilleros somalis ne tardent pas à le suspecter, si bien qu'il déserte leurs rangs. Plus tard, en 1977, la Somalie attaque l'Ethiopie pour reprendre l'Ogaden. L'URSS, qui armait déjà la Somalie marxiste, se met alors à fournir aussi des armes à l'Ethiopie parce qu'elle a rompu avec les Etats-Unis et s'est rangée dans le camp communiste : « Les conseillers militaires soviétiques, écrit ironiquement l'auteur, ne voyaient pas de contradiction dans le fait d'armer les deux belligérants. Après tout, l'Ethiopie et la Somalie étaient toutes deux de nouvelles recrues communistes. Par conséquent, l'aide faisait avancer la cause du socialisme ». La guerre se rapproche de Jijiga et la mère de l'auteur (son père a été abattu en 1974 par les « révolutionnaires ») décide de quitter la ville pour se réfugier à Harar. Périple éprouvant sous les bombes de l'aviation somalie sur des routes serpentant au milieu des champs de mines. C'est en 1977 aussi que la junte militaire au pouvoir à Addis Abeba déclenche la « terreur rouge » qui fera une centaine de milliers de morts parmi les adversaires vrais ou supposés du régime, torturés avant d'être abattus par les militants des kébélés, ces comités de quartier de sinistre mémoire. L'auteur quant à lui a réussi le concours d'entrée à l'université de la capitale, mais il y milite dans l'opposition clandestine de gauche, au sein du Parti Révolutionnaire du Peuple Ethiopien (PRPE) que combat le Mouvement Socialiste Panéthiopien, le Meison, l'autre parti de gauche qui à l'inverse soutient la junte. Nega échappe par miracle aux arrestations arbitraires qui sont monnaie courante, suivies d'exécutions sommaires. Les familles des victimes, qui étaient fusillées, rappelle sobrement l'auteur, devaient rembourser le prix des balles utilisées par les bourreaux s'ils voulaient récupérer à la morgue les cadavres de leurs proches. Une seule initiative de la junte trouve grace aux yeux de l'auteur : la réforme agraire qui rendit la terre aux paysans. Les militaires finissent cependant par interdire le Meison tandis que Nega quitte l'université pour un collège d'agriculture où il obtient un poste d'enseignant. Il refuse les bourses proposées par les pays de l'Est, mais en accepte une offerte aux Pays-Bas. C'est de là qu'il partira pour le Canada où il a écrit ce livre de souvenirs qui peut aussi se lire comme un extraordinaire manuel d'histoire contemporaine de l'Ethiopie.
Dans le ventre d'une hyène, par Nega Mezlekia, traduit de l'anglais par Lori Saint-Martin et Paul Gagné, LEMEAC/Actes Sud, 347 p., 150 FF. Claude Wauthier
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