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17/01/2002

Fatima Mernissi : Quand Schéhérazade passe à l’Ouest

(MFI) Mêlant érudition, enquête et confidences personnelles, l’écrivain et sociologue marocaine lève un coin de voile sur les fantasmes du mâle occidental, pour mieux rebondir sur la condition des femmes musulmanes et occidentales. Les plus soumises ne sont pas toujours celles qu’on croit.

Est-ce parce qu’ils n’avaient pas - avant Marilyn Monroe ? - de figure féminine les faisant vraiment… rêver, que les Européens fantasment depuis des siècles sur Schéhérazade ? Mais voyez ce qu’il en advient, nous montre Fatima Mernissi, quand la fascinante princesse est la proie des barbares roumis : des écrivains comme Théophile Gautier ou Edgar Allan Poe n’ont pas hésité à l’assassiner ! Le premier, dans une nouvelle intitulée La Mille et deuxième nuit, au prétexte qu’elle se serait trouvée en panne d’inspiration ; le second, dans son Mille et deuxième conte, parce que, instruite par Sindbad du savoir scientifique de l’Occident, elle aurait représenté une menace pour son tyran d’époux Shahriar. Et Poe de décrire avec son obsession maniaque la lente agonie d’une Schéhérazade étranglée par une cordelette et, de surcroît, consentante. A cette lecture, le sang de Fatima Mernissi n’a fait qu’un tour !
Quand les peintres s’en mêlent, ce n’est pas mieux : cela donne les odalisques de Matisse, celles moins connues de Picasso, ou la Grande Odalisque d’Ingres. Sublime de beauté, certes, mais nue, sans défense, muette, passive.
Le harem, de même, fascine les Européens. Mais un harem à l’image des tableaux de Delacroix, où l’on voit des groupes de femmes lascives, regardant au loin ou vers celui qui les contemple, comme dans l’attente de la volonté du maître. Pire. Lors d’une tournée européenne de promotion d’un livre, se souvient l’auteur, « j’ai remarqué que les hommes souriaient lorsqu’ils étaient amenés à prononcer le mot « harem ». J’étais choquée par ces sourires. Comment peut-on sourire en prononçant un mot synonyme de prison ? » En Orient, le harem est bien un lieu de réclusion où des femmes jalouses ne rêvent que de s’émanciper, un univers où le maître est certes dominant mais aussi en péril. Le harem occidental est fantasmé, l’oriental historique. De ces deux représentations découlent deux visions de la femme, de l’érotisme, des rapports entre les sexes dans les mondes musulman et chrétien. Tel est le vaste sujet de ce récit promenade.

Les armes des femmes : les mots

Fatima Mernissi nous emmène avec elle, en compagnie d’un journaliste français, qui l’introduit dans son harem fictif de peintures et de lectures. Puis dans son harem à elle, auprès de Haroun al-Rashid le séduisant khalife, du révolutionnaire Ataturk, grâce à qui les écoles ont été ouvertes aux filles jusqu’au Maroc, permettant à la petite Fatima de quitter le harem d’enfance à Fès, d’étudier à Rabat puis aux Etats-Unis et de devenir professeur d’université. Fatima qui a l’intelligence, l’érudition et peut-être, derrière ses lourds bracelets en argent et son rouge à lèvres Chanel, la confiance en elle de Schéhérazade, qui a en tout cas comme elle la maîtrise de la parole : « La femme musulmane contemporaine lui ressemble : elle n’a pour arme contre la violence que ses mots. » Autres fortes femmes musulmanes : Shirin, partie seule à cheval à la recherche du prince aimé - on est loin de la Belle au bois dormant ! -, ou Nour Jahan, reine qui parlait le persan et l’arabe, pratiquait des arts raffinés et était « une remarquable tireuse de tigres ». Ou encore Al-Hurra, dont il ne reste aucune trace dans l’histoire officielle du Maroc, qui a pourtant exercé le pouvoir pendant trente ans (1510-1542) et fréquenté des pirates comme Barberousse. En un temps où les sultans recherchaient des esclaves érudites, redoutables joueuses d’échecs, les Européens ridiculisaient les femmes savantes. Et la question peut se poser : plus que dans l’imaginaire occidental, les femmes seraient-elles vues comme des « égales » dans l’imaginaire arabe?

« Tous les hommes en ont peur »

Fatima Mernissi nous parle de sa nostalgie du Maroc lorsqu’elle est au loin, d’un collègue conservateur qu’elle adore provoquer, de son ami Kemal qui répond à la question : « Les hommes occidentaux ont probablement aussi peur que nous des femmes, mais ils jouent un autre jeu pour le cacher. » Elle nous livre en passant de touchants souvenirs sur sa grand-mère Yasmina, évoque les vertus érotiques de la jalousie, rappelle la douleur et la vengeance des premières épouses bafouées (« lacérer les pneus de la voiture du coupable est une pratique courante à Rabat »), ou bien livre les ingrédients d’un tagine aphrodisiaque au poisson et au gingembre - tout en gardant jalousement le secret des proportions. Elle nous rappelle l’avancée des femmes arabes dans les métiers scientifiques ou l’enseignement supérieur (on compte plus d’étudiantes en ingénierie en Algérie et en Egypte qu’au Canada ou en Espagne), s’interroge sur les émotions des hommes et leur manière de les réprimer, et feint de clore son enquête en découvrant le pot aux roses dans un magasin de New York. S’entendant dire par une vendeuse qu’elle ne trouvera jamais de jupe à sa taille, elle comprend que les Occidentales n’ont pas le droit de s’épanouir côté hanches, prisonnières qu’elles sont dans un harem taille 38. Libérées par les lois, elles subissent toujours la dictature de l’image, de la minceur, de la beauté formatée. « Elles existent d’abord par et pour le regard des autres. » La libération des femmes est toujours à faire ou à parfaire, au Nord comme au Sud. Hélas, chaque génération doit refaire sa révolution.

Henriette Sarraseca

Fatima Mernissi : Le Harem et l’Occident. Ed. Albin Michel, 232 p., 18,29 Euros.





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