A l’aube de ce XXIe siècle qu’André Malraux imaginait spirituel, l’évocation d’éventuels autres mondes habités ne fait plus seulement sourire. Loin des soucoupes volantes et autres petits hommes verts animés d’intentions belliqueuses, une vingtaine d’auteurs réputés ont apporté leur contribution au débat sur le rôle de l’Eglise dans le cadre de l’aventure spatiale mais aussi sur la manière dont les Terriens que nous sommes pourraient appréhender des mondes différents et vierges. Sous la direction d’Alexandre Vigne, écrivain, sociologue et délégué diocésain, les auteurs s’interrogent sur le rôle de l’homme dans les différents espaces qui s’offrent à lui et sur les capacités d’adaptation de l’Eglise à ces mondes nouveaux. Si, comme le souligne Jean Rigal, docteur en théologie et professeur honoraire à l’Institut catholique de Toulouse, « tout au long de son histoire l’institution ecclésiale a dû affronter des situations nouvelles et s’adapter à un environnement plus ou moins marqué par des mutations de tous ordres », il va de soi que l’Eglise devra participer à sa manière à l’implantation sur de nouvelles terres habitables. De fait, l’Eglise porte une attention particulière au processus de la conquête spatiale. Paul VI, à l’époque des premiers pas de l’homme de sur la lune, a souligné l’importance de la confrontation à des mondes nouveaux. Il s’agissait moins toutefois dans l’esprit du Saint Père d’imaginer l’envoi de missionnaires dans l’espace que de préparer l’Eglise à la fabuleuse évolution des sciences et des techniques… sur Terre.

Emerveillement et inquiétude

L’humanité se trouve confrontée au même défi. Qu’il existe ou non d’autres mondes habités, nous devons désormais apprendre à penser différemment. Pour Edgar Morin, la solitude de l’homme et la perspective de sa fin ne se trouvent pas fondamentalement modifiées par celle de l’existence d’autres créatures dans le cosmos ou par celle d’une possible colonisation de l’espace. Reste, « au-delà de l’angoisse, (…) un horizon immanent à nous-mêmes : la fraternité ». Pour Jeffrey A. Hoffman, astronaute de la NASA, les voyages dans l’espace sont l’occasion de mesurer la fragile beauté de la Terre et de prendre conscience de la nécessité de la protéger. « A leur retour sur Terre, presque tous les astronautes deviennent écologistes » écrit-il.
Alexandre Vigne insiste de son côté sur le fait que l’aventure spatiale ne doit pas reposer sur le mythe d’un possible abandon de la planète Terre devenue inhabitable pour cause de pollution. S’il est vain de s’opposer à une conquête encore théorique, l’homme ne doit pas perdre de vue que sa base, ses racines sont à jamais ceux que lui offre la Planète bleue. Les conquêtes qu’elles soient d’ordre scientifique ou spirituel reposent avant tout sur une humanité réconciliée avec elle-même et soucieuse de préserver son environnement.

Dieu l’Eglise et les Extraterrestres. Revue Question n°122, éditions Albin Michel, 366 pages, 120 FF.

Geneviève Fidani



Encadré
Casse-tête pour théologiens

(MFI) Saviez-vous que, contrairement à ce qu’on nous a raconté à l’école, « l’Eglise s’est toujours demandé si d’autres humanités habitent le cosmos » ? C’est Alexandre Vigne qui l’affirme. Il nous apprend qu’en 1277 par exemple, « l’évêque de Paris, en se recommandant du Pape, ordonna même aux théologiens d’enseigner que Dieu avait pu créer d’autres univers ». C’est sous l’influence protestante que les Ecritures ont été par la suite interprétées au pied de la lettre. Georges Coyne, l’astronome du Vatican, s’aligne sur les scientifiques et admet que « plusieurs générations d’étoiles furent nécessaires à la fabrication de l’être humain. Notre sang est composé de fer, nos dents de calcium et notre ADN d’azote produit par la formation et l’explosion d’étoiles. » Création, big bang et évolution ne sont pas forcément inconciliables pour les croyants.
Mais si, comme l’affirme Alexandre Vigne, « l’hypothèse d’une vie extraterrestre ne peut être dénigrée par le croyant », l’Incarnation (c’est-à-dire la « venue » du Christ) a posé le plus gros problème aux experts religieux. Après avoir « interrogé les théologiens du monde entier », une conclusion lui paraît s’imposer : « L’Incarnation n’a pu se réaliser qu’une seule fois. Cela ne signifie pas que Dieu ait fait l’impasse sur d’autres humanités qui peupleraient l’univers. Cela veut simplement dire qu ‘Il s’est rendu présent sous le mode de l’Incarnation une fois pour toutes. » Et d’expliquer, selon lui, le pourquoi : « Les Terriens ont été élus en fonction de leur condition de pécheurs »…
Deuxième série de questions épineuses et néanmoins pratiques, qui s’ensuivent : le Pape a-t-il autorité sur l’espace ? La réponse serait oui. Comment se fait-il alors que le Saint-Siège n’ait « pas prévu d’envoyer un aumônier permanent dans la Station spatiale internationale » ? Comment feront les spationautes pour « recevoir les sacrements de l’Eucharistie et de réconciliation en l’absence d’un prêtre » ? En dehors de ces détails, une chose paraît sûre à M. Vigne : « La structure fédérale de l’Eglise est parfaitement adaptée à l’expansion cosmique de l’humanité ». Ouf ! On pourrait donc voir un jour des missionnaires décoller en direction de Mars, puis d’autres planètes de la Voie Lactée, et enfin d’autres galaxies. L’Eglise a été prise au débotté au moment de la « découverte » de l’Amérique. Il ne sera pas dit que l’histoire lui jouera deux fois le même tour.

H. S.