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MFI HEBDO: Culture Société Liste des articles

22/03/2001

Chronique Livres

L’essentiel d’un livre
Sexe, mensonges et fantômes

(MFI) Auteur d’une vingtaine de romans et de plusieurs essais sur la littérature, le Sud-Africain André Brink vient de publier un roman dont le thème est l’amour et – encore et toujours - l’histoire.

Veuf et sexagénaire, Ruben Olivier vit seul dans sa grande maison un peu délabrée dans un quartier résidentiel du Cap. Ex-bibliothécaire, poussé à la retraite anticipée par la nouvelle administration qui veut favoriser la population noire, ce Blanc vieillissant s’enferme chaque jour un peu plus dans sa coquille. Une coquille faite de « subtiles traîtrises de la mémoire » et de frustrations présentes. Ses fils, qui vivent l’un en Australie et l’autre à Johannesburg, s’inquiètent pour sa santé chancelante et le poussent à partir dans une maison de retraite où il sera entouré, soigné. Mais Ruben ne peut quitter cette maison victorienne, bâtie sur « les fondations trapues d’une ancienne résidence de style hollandais du Cap » et où il a vécu des jours heureux avec les siens. Et puis, il n’est pas si seul que ça. Il y a sa femme de ménage Magrieta qui travaille pour la famille Olivier depuis longtemps et qui est restée pour s’occuper de lui après la mort de sa femme. Il y a, surtout, Antje du Bengale, le fantôme d’une jeune esclave. Infortunée victime de son maître aux débuts de la colonie hollandaise du Cap, exécutée pour avoir empoisonné sa maîtresse, Antje erre dans la maison, tenant compagnie à Ruben et à Magrieta. Bien qu’elle ait la fâcheuse habitude d’apparaître au milieu de la nuit portant sa tête dans les mains, elle ne fait plus peur à personne et s’est même liée d’«amitié » avec Marietta qu’elle a à plusieurs reprises averti des dangers qui la guettent: des chutes d’arbre sur son passage jusqu’aux infidélités des nombreux hommes qui se sont succédé dans sa vie!
Dans cette maison hantée par le passé et l’histoire, débarque la belle Tessa. Jeune et bouillonnant de rage contre les trahisons de ses amants, elle emménage comme locataire. Alors qu’il se croyait au-dessus des turbulence de la vie, le sexagénaire solitaire va tomber passionnément amoureux de cette fille et va nouer avec elle des rapports complexes d’amant jaloux, de confidant et de protecteur. Comblé par cette relation riche et inattendue, Ruben s’érigera surtout en narrateur de la dérive d’un monde plein de menaces et de promesses que Tessa, turbulente et emblématique de la nouvelle Afrique du Sud, lui permet d’entrevoir.
La rencontre du passé, représentée par la maison hantée, et du contemporain est le thème principal des Droits du désir. Comme à l’accoutumée, le romancier sud-africain bâtit son intrigue à partir des couches successives d’histoires, entremêlant harmonieusement le refoulé et le présent. La trame est faite ici d’échos, de répercussions, de réécritures du passé. Ainsi, l’histoire de Tessa est une redite de l’exploitation physique et sentimentale dont fut victime autrefois l’esclave Antje. Aux récits d’amours et d’espoirs trahis de ces deux femmes si différentes et pourtant si proches, se greffe le récit de Magrieta, victime de l’Etat raciste et de sa politique inhumaine d’apartheid. A partir des débris de ces mémoires que l’auteur évoque avec précision et méthode à travers la voix du narrateur-mémorialiste qu’est Ruben, se dessinent les contours d’une nouvelle Afrique du Sud, enfin libérée du poids de son passé inégalitaire tant sur le plan sexuel que sur le plan racial. Ecrit avec humour et sensualité, ce récit d’amour et de mémoire nous touche profondément.

Les droits du désir, André Brink. Editions Stock, « La Cosmopolite », 463 p., 145 FF.

Tirthankar Chanda



Youri Rytkhéou, prix RFI : le romancier d’une ethnie condamnée

(MFI) Cet écrivain chantre de l’ethnie tchouktche, qui ne compte plus que quelque dix mille représentants dans la région du détroit de Behring, s’était vu décerner en octobre dernier le prix RFI Témoin du monde 2000 pour un formidable roman, Unna. Né en 1930, vivant entre Saint-Pétersbourg et sa Tchoukotka natale, il a reçu en personne ce prix, le 20 mars, lors du dernier salon du livre de Paris. Au même moment, Actes Sud publie un deuxième livre, L’Etrangère aux yeux bleus, autre roman d’amour pour cette minorité persécutée sous Staline, privée de ses ressources naturelles et coupée de sa vie nomade par la pollution et le rouleau compresseur soviétique. En 1947, Anna Odintsova arrive à Ouelen, petit village du bord du détroit de Behring. Diplômée de l’université d’ethnographie, elle veut étudier la vie des éleveurs de rennes - et être encore plus célèbre que la grande Margaret Mead… Elle fera mieux : ayant épousé un jeune nomade, elle deviendra chamane au sein même du groupe qu’elle voulait observer. Son destin est bouleversé. Quand les envoyés de Moscou ne laisseront plus le choix aux éleveurs qu’entre la collectivisation et les camps, elle sera accusée de trahison et devra s’enfuir. Comme dans Unna, une jeune femme dont le destin chavire est au centre du récit. Mais, contrairement à Unna, la Tchouktche devenue communiste, Anna, la Russe ayant épousé la cause nomade, préservera sa liberté. Plus mystérieuse mais moins émouvante car moins déchirée qu’Unna, elle nous permet de vivre un temps avec les derniers nomades rudes mais libres de Sibérie.

Youri Rytkhéou : L’Etrangère aux yeux bleus. Ed. Actes Sud, 276 p., 139 FF.

Henriette Sarraseca



Epices caribéennes

(MFI) Au soir de sa vie, une grand-mère créole raconte à son petit-fils les riches heures de sa jeunesse sur l’île de Corpus Christi, dans les Caraïbes. Entre légendes merveilleuses et récits érotiques, la narration de l’aïeule captive l’enfant mais aussi le lecteur, peu à peu envoûté par les sortilèges des Caraïbes.
Pour son troisième roman, Robert Antoni a de nouveau choisi le décor de l’île de Corpus Christi, terre de ses ancêtres. Contes érotiques de ma grand-mère évoque les démêlés de sa grand-mère, jeune veuve nantie d’une dizaine d’enfants, avec des personnages troubles comme le Roi de Chacachacari, à la recherche d’un trésor imaginaire, ou l’étrange Colonel Kentucky, vendeur de poulet frit et de pizzas. L’intrigue se déroule en pleine Deuxième Guerre mondiale, au moment où les troupes américaines sont basées sur l’île. Le récit des turpitudes de ces escrocs véritables est entrecoupé de l’évocation d’anciennes légendes comme celle de la belle et cruelle Blanchisseuse ou la triste histoire de la petite Iwana. Les saveurs de la langue créole, que la traduction semble avoir parfaitement préservées, donnent à ces contes érotiques et burlesques l’indéfinissable parfum des îles. Comme les soldats américains jadis pensionnaires de la diserte aïeule, comme Johnny le petit-fils suspendu à ses lèvres, le lecteur se plonge avec délice dans les moiteurs de la légendaire sensualité caribéenne et se prend à rêver d’une semblable grand-mère.

Contes érotiques de ma grand-mère, Robert Antoni. Traduit de l’anglais par Bernard Hoepffner avec la collaboration de Catherine Goffaux. Editions du Rocher, 260 p., 135 FF.

Geneviève Fidani



Ces Maliens oubliés qui ont secouru la France

(MFI) Les deux guerres mondiales comptent parmi les périodes les plus douloureuses de l’histoire du Mali, nous rappelle l’auteur de cette étude solide et fouillée, l’historien et géographe Bakari Kamian, ancien collaborateur de l’Unesco. Pas moins de 80 000 habitants du Haut-Sénégal-Niger, appelé plus tard Soudan français avant de devenir la République du Mali ont été envoyés sur les fronts des guerres sanglantes de 14-18 et 39-45. Au total, 189 000 Africains ont été « appelés au secours de la France ». Avec cet ouvrage, intitulé Des tranchées de Verdun à l’eglise Saint-Bernard, l’auteur tente de mettre en lumière les contradictions flagrantes entre les principes humanitaires prônés par la France et les injustices, les répressions qui ont sanctionné les refus de se laisser enrôler. Le livre est un hommage à tous ces combattants, « en particulier aux 17 000 soldats maliens morts pendant ces deux conflits mondiaux et qui, en majorité, dorment pour toujours sous la terre de cette France où leurs petits-enfants, les travailleurs immigrés, sont de plus en plus indésirables et souvent expulsés dans des conditions humiliantes ». De l’utilisation des troupes noires dans les armées françaises à la veille de la Première Guerre à la tuerie de Thiaroye, à la fin de la Seconde, le livre replace dans son contexte historique le rôle des Africains aussi bien dans les conflits que dans les colonies, entre les deux guerres. Plusieurs annexes, dont une impressionnante liste nominative des « militaires indigènes du Haut-Sénégal-Niger morts pour la France et non encore identifiés » concluent cette importante étude sur, ainsi que le note l’auteur, « une dette de sang oubliée ».

Bakari Kamian : Des tranchées de Verdun à l’église Saint-Bernard. Ed. Karthala, 468 p., 180 FF.

H. S.



L’horreur afghane en trois nouvelles

(MFI) Avec seulement trois textes, la nouvelliste afghane aujourd’hui résidant en France, Spômaj Zariâb (dont on avait pu lire en 1988 un premier recueil, La Plaine de Caïn) nous emporte au coeur même de l’horreur insidieuse, obsédante, si intimement mêlée au quotidien le plus ordinaire, dans ce pays où les enfants ont peur des anges et où les adultes enterrent les livres quand ils ne les brûlent pas. Son recueil Ces murs qui nous écoutent, un recueil de trois nouvelles présentées en version bilingue français-persan nous emporte dans le gouffre de ces êtres éperdus, qui se terrent afin d’échapper aux représailles. Elle semble nous conter une quotidienneté paisible et nous plonge dans la plus effroyable des horreurs. Ainsi en est-il de la première nouvelle, la plus dure, la plus abrupte dans sa chute. L’histoire d’un amour d’une mère pour son fils, plongé dans le chaos de l’absurde, dans l’implacable engrenage des folies et des douleurs. Un texte d’une extraordinaire montée dramatique. Sans doute à l’image du destin de ce pays partagé entre la majestueuse beauté de ses paysages et l’enfer que d’aucuns lui imposent.

Ces murs qui nous écoutent, L’Inventaire, 79 FF.

Bernard Magnier



L’héritage communiste : ruines et corruption

(MFI) Le Kazakhstan post-communiste, vous connaissez? Si vous n’avez pas encore eu le bonheur de vous y rendre, vous pouvez faire le voyage en compagnie de la journaliste suisse Laurence Deonna qui, après avoir sillonné plusieurs mois la plus grande des républiques d’Asie centrale issues de l’éclatement de l’Union soviétique, nous en rapporte un reportage édifiant.
Son livre est plus que triste, il est désespérant. Car il dresse avec tendresse, mais sans pitié, le constat d’une double faillite. Celle, d’abord, du système soviétique qui a laissé derrière lui un champ de ruines : désastre écologique et humain autour des sites secrets de fabrication d’armes chimiques, de la base spatiale de Baïkonour, ou mer d’Aral asséchée pour les besoins de la monoculture du coton. Pendant des décennies, Moscou a usé de cet immense pays des steppes comme d’une colonie, jusqu’à en épuiser la terre et les habitants.
Ceux-ci, pourtant, sont nombreux à regretter le temps d’avant 1990, quand il y avait du travail et des services sociaux, et qu’on ne mesurait pas encore l’ampleur des catastrophes engendrées par la «mise en valeur» communiste. Car aujourd’hui, seul compte l’argent dans ce qui est devenu un sultanat livré à l’arbitraire du nouveau père de la nation et aux appétits de ses proches. Qui n’en a pas meurt de misère ou d’étranges maladies.
Laurence Deonna, habituée des voyages au long cours dans des régions peu prisées des touristes, témoigne ici du drame de ce nouvel Etat auquel personne ne s’intéresse, sinon pour son pétrole, et qui sombre en silence. Jusqu’à l’embrasement susceptible d’être provoqué par les apprentis sorciers du libéralisme, du nationalisme ou de l’islamisme qui se disputent les faveurs de la population? L’auteur n’exclut pas que le pire puisse en effet sortir de cette immense détresse.

Laurence Deonna : Kazakhstan, bourlinguer en Asie centrale postcommuniste. Ed. Zoé, Genève, 2001. 237 p.

Sophie Bessis



Henriette Walter, la linguiste qui a conquis le grand public

(MFI) D’une discipline austère, elle a su faire un objet de curiosité, de jeu, de découverte dans le plaisir. Les titres de ses livres en attestent : Le français dans tous les sens (Grand Prix de l’Académie française 1988, traduit même en japonais), Des mots sans-culottes, L’aventure des langues en Occident (Grand Prix des lectrices de Elle 1995), L’aventure des mots français venus d’ailleurs, Le français d’ici, de là, de là-bas… Avec Honni soit qui mal y pense, elle retrace « l’incroyable histoire d’amour entre le français et l’anglais », histoire passionnelle s’il en est. Une histoire qui commence avec l’arrivée de Guillaume de Normandie et de ses barons en Angleterre au milieu du XIe siècle : le normand, autre parler issu du bas latin, puis la langue venue de France (en gros, l’Ile-de-France d’aujourd’hui) s’imposent outre-Manche comme la langue de la cour, de la noblesse, de l’administration. Le peuple parle alors l’anglo-saxon, langue germanique influencée par les Vikings qui ont régné sur une grande partie du pays pendant près de deux siècles. Le français, lui, aura tout loisir d’enrichir le parler local durant plus de trois cents ans : jusqu’au XIVe siècle, les rois anglais épouseront systématiquement des princesses françaises et auront des possessions des deux côtés du Channel.
Résultat : des milliers de mots anglais viennent directement du français comme, par exemple, marriage, exile, obey, profit, debt, affair ou money. Mieux, Henriette Walter recense 3222 « très bons amis » : tous ces mots qui, d’abandon à zygote, ont la particularité d’avoir une orthographe identique en français et en anglais, mais aussi de recouvrir exactement le ou les mêmes sens dans les deux langues. Un exemple, sous forme d’encadré ludique : on peut manger anglais ou français « avec du caviar, des toasts et de la margarine, de la galantine à la mayonnaise, un soufflé au parmesan, une omelette accompagnée de purée, un sorbet avec des petits-fours et un gâteau au caramel ». Belle indigestion ! Hélas, trois fois hélas (pour les francophones), si les deux langues ont pris leur envol international à la Renaissance, en 1815 l’influence française s’effondre et l’ère de l’anglais commence. Ah ! si Jeanne d’Arc n’avait pas fait échec aux Anglais, se prend à rêver Henriette Walter, le français serait peut-être aujourd’hui la langue internationale. Ah ! si le nez de Cléopâtre…

Henriette Walter : Honni soit qui mal y pense. Ed. Robert Laffont, 364 p., 139 FF.

H. S.





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