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22/11/2001

Les confessions de Driss Chraïbi

(MFI) A 74 ans, l’écrivain marocain publie la suite de ses mémoires. Ce qui a éveillé sa vocation, les femmes aimées, ses années d’homme de radio, sa vie en Alsace, à Paris, au Canada, à l’île d’Yeu, son séjour au Maroc après la mort de Hassan II : un récit à la fois pudique et sans fard, plein d’amour et d’humour.

Nous avions quitté Driss étudiant en chimie à Paris, habitant ce qu’il prenait pour une pension de famille - en réalité un sympathique bordel (voir Lu, vu, entendu, chez le même éditeur). Nous le retrouvons au Maroc, après la mort de Hassan II et vingt-cinq ans d’exil, reçu comme une gloire nationale, découvrant avec stupeur la smala des Chraïbi : « sept Nadia, quatre Amina, une douzaine de Mohammed… » Très vite, il comprend ce qu’est devenu le pays. « Dodue et parfumée, bijoutée jusqu’aux yeux, ma sœur Naïma occupait le premier plan visuel, attirait l’attention des photographes : « C’est mon frère ! » Son époux était directeur des douanes à Casablanca, elle me faisait par conséquent l’honneur de paraître en ma compagnie. » Pays peuplé de « types avides, clientélistes, corrupteurs et corrompus », sans « honneur, ni intégrité morale, ni sens de la parole donnée. Ne subsistent plus qu’une hospitalité de façade et (…) le fric surtout, le fric valeur-refuge. La démocratie hassanienne, quoi ! » Ainsi aurait pu s’exprimer l’inspecteur Ali, héros de quatre de ses romans. Mais Chraïbi est d’accord avec sa créature. Ces retrouvailles furent « la plus grande désillusion de ma vie. »
Retour en France, 1953. Etudes de chimie terminées, « je me retrouvai du jour au lendemain sans un sou, et c’est ce qui me décida à écrire. Ce fut aussi simple que cela. » Mais il y avait aussi « le besoin viscéral de faire sauter mes verrous intérieurs et de tordre le cou à la nostalgie, à la philosophie, à la religion, à toutes les croyances hypocrites.» Résultat : Le Passé simple, roman de révolte contre une société sclérosée, contre le Père despotique et tout-puissant, roman caustique, violent, à l’humour virulent. Ce coup de maître fait l’effet d’une bombe au Maroc. Le jeune auteur est admiré en France et par des intellectuels de son pays, mais aussi haï, insulté, condamné à mort par un parti politique marocain.
Entrée fracassante en littérature, et dans la vie : avec Catherine, sa première femme alsacienne, il découvre l’amour, la paternité, la musique classique, les grands auteurs qu’il n’avait jamais lus : Caldwell, Baldwin, Faulkner, Calaferte… Pendant trente ans, il travaillera à France Culture où il dirige des dramatiques, se liant d’amitié avec des centaines d’acteurs et ceux, notamment, de la série Théâtre noir : Darling Légitimus, Bachir Touré, Med Hondo, Douta Seck l’appellent « le blanc sec ». Passion et bonheur. C’était « l’époque bénie de la culture où l’on ne mesurait pas l’avoine au nom de l’audimat ».
Puis « vint la saison du désarroi ». Son mariage se défait. Une grande douleur qu’il décrit pudiquement. Comme lors de la mort de son père, c’est son univers qui s’écroule. Il s’essaie sans joie au donjuanisme, part enseigner au Canada. Une étudiante, Marie, lui rend le goût du bonheur. Quelques années plus tard, il épouse la seconde femme de sa vie, Sheena, une jeune Ecossaise, mère de ses trois plus jeunes enfants. Il a entre-temps écrit Les Boucs, La Mère du printemps, Succession ouverte, La Civilisation, ma mère !… une vingtaine d’ouvrages publiés « en solitaire, hors chapelle, et en plein doute » dont plusieurs ont frappé là où ça fait mal - l’autorité du père, les traditions, la condition subalterne de la femme, l’hypocrisie, la corruption. Avec, toujours, cette écriture alerte, acérée, et la plus redoutable des armes : l’humour.

Henriette Sarraseca

Driss Chraïbi : Le Monde à côté. Ed. Denoël, 224 p., 120 FF.

Encadré : Extraits

L’interview : « - Driss Chraïbi, vous pensez en arabe et vous écrivez en français. N’y a-t-il pas là une sorte de dichotomie ? (…)
Si msiou ! Ji pense en arabe, mais ji trové machine à écrire qui écrit en françès tote seule.
L’émission a été coupée net, j’ignore pourquoi. »

Ecrire : Quand « germent mes idées de création », elles « éclosent si vite et dans des directions si diverses que je ne sais comment les canaliser ou les retenir, ni même m’en souvenir à l’état brut (…) Je prends des notes à la sauvette, quand je trouve un crayon et un bout de papier. Très souvent, je n’arrive pas à me relire. Et c’est tant mieux. Je ne suis pas un fonctionnaire de l’écrivanité, à tant de feuillets par jour. »

Rachid Boudjedra : « En veine de confidences, il me dit qu’il trouvait son inspiration dans une grotte, comme Mahomet. Les yeux dans les yeux, il m’affirma que sa prose surpassait en splendeur le style du Coran. Je lui donnai l’accolade en lui souhaitant une bonne santé. »

Ethnie : « La Mère du printemps venait de paraître. Bertrand Poirot-Delpech lui consacra un papier dans Le Monde. Le lisant, j’appris que j’étais berbère. Première nouvelle ! (…) c’est ainsi que ma berbérité spécifique entra dans la légende. Aujourd’hui encore, elle figure dans quelques-unes de mes biographies et dans une thèse de doctorat ».

Exil : « Je ne sais combien de fois je suis retourné au Maroc, pour en repartir presque aussitôt. L’exil est un royaume (…) J’appelle exil l’ouverture à l’Autre, le besoin de se renouveler et de le remettre en question. Les certitudes sont autant de prisons.»





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