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24/01/2002
La presse francophone en Méditerranée : vecteur de démocratie ?

(MFI) Au total, une soixantaine de périodiques en langue française sont publiés dans les pays du bassin méditerranéen. Paradoxalement, alors que ces pays se lancent dans des politiques d’arabisation, cette presse francophone en Méditerranée est de plus en plus vivace. Véritable « enfant du miracle », elle accompagne le changement des sociétés du Maghreb et du Moyen Orient et permet aux idées de s’exprimer plus facilement, plus librement.

Pendant la décennie 1990, le nombre de titres de la presse francophone méditerranéenne a doublé. Gilles Kraemer, auteur de La presse francophone en Méditerranée soulève, dans un style analytique et universitaire les contradictions de ce « paradoxe médiatique » qui touche essentiellement six « espaces » : Maroc, Tunisie, Egypte, Liban, Algérie et Val d’Aoste en Italie. Les publications francophones sont jugées plus « anecdotiques » en Turquie, Israël, Palestine, Jordanie et Grèce. Par exemple, il ne reste que deux publications francophones turques : une revue universitaire et un nouveau mensuel, Chroniques d’Istanbul, lancé en juin 2000. L’auteur donne la parole à de nombreux acteurs de cette presse écrite : rédacteurs en chef, membres des gouvernements locaux et représentants des Ambassades, responsables d’associations, libraires. S’appuyant sur des sources variées, des statistiques, et des études qualitatives qu’il a parfois lui même menées, l’auteur oppose en permanence les différents points de vue.

Une presse trois fois centenaire

Née il y a plus de trois siècles, la presse francophone méditerranéenne (PFM) n’est pas uniquement la marque d’un passé colonial qui s’estompe. En 2001, certains journaux historiques subsistent : Le Progrès Egyptien a plus de 100 ans, Le Commerce du Levant est né en 1928 au Liban. Ils sont les piliers et symboles d’une indépendance ancrée. D’autres publications ont disparu durant la décennie 1990 : Le Journal d’Egypte né en 1936, meurt avec le décès de son propriétaire en 1994. L’Alger Républicain, fondé juste avant la seconde guerre mondiale, interdit puis ré-édité, fait faillite en 1994.
Parallèlement, le paysage médiatique se transforme rapidement. De nouveaux journaux francophones naissent, emblèmes de la modernité et reflets de la mondialisation. C’est dans certains pays l’explosion de nouvelles formules : tabloïds, news-magazines…création de suppléments. Au Maroc, en 1991, Jean-Louis Servan-Schreiber crée La Vie Economique. Cinq ans plus tard apparaissent un mensuel, Femmes du Maroc et un magazine gratuit Téléplus et Shopping. En Tunisie Le Manager est crée. Au Liban, à la Une du nouveau Mariage en vue le fondateur place sa propre épouse !
Gilles Kraemer n’hésite pas à contester la qualité de cette nouvelle PFM et à en souligner les faiblesses. Deux pays font néanmoins figure de modèle : le Liban et l’Egypte qui possèderaient « la presse la plus libre du monde arabe » et « la meilleure presse du monde arabe. » L’auteur regrette qu’au Liban, le nombre de lecteurs de presse écrite en français soit en net déclin. La PFM trône dans des pays qui ont une forte « conscience » méditerranéenne. Parfois critiquée, elle est souvent mêlée à des conflits linguistiques. En Algérie par exemple, une loi de 1990 dénonce les langues étrangères comme « discriminatoires et liberticides ».

La force de la PFM : l’ouverture sur le monde

Mais le fait que précisément ce soit un média qui ne s’exprime pas dans la langue officielle du pays d’accueil fait que la PFM dispose d’atouts majeurs. Elle se place à l’avant garde du processus de démocratisation des pays concernés. La PFM apporte une ouverture sur le monde, informe, éduque la population et assume un véritable rôle social. Surtout c’est une presse qui se veut être une véritable alternative, un « autre journalisme que celui habituellement pratiqué dans les pays. » Le français permet aux rédacteurs de s’exprimer plus librement, de traiter de sujets plus sensibles, voire « tabous » dans certaines régions ( sexualité, religion, prostitution). « Nous ne pourrions jamais aller aussi loin en langue arabe » déclare un responsable du journal Femmes du Maroc.
Lire, comprendre le français quand on est libanais, ou algérien, c’est non seulement la marque d’une appartenance à une « élite nationale » mais c’est aussi bénéficier d’ « une fenêtre ouverte sur la modernité et la connaissance. » Choisir le français à l’Université reste malgré l’essor de l’anglais, porteur d’avenir.

« Se protéger contre la répression »

Rédiger en français, nous rappelle Gilles Kraemer, ce peut être aussi un moyen de se protéger contre la répression éventuelle de son gouvernement. Mais le bouclier n’est pas imparable : ainsi le 2 décembre 2000 le gouvernement marocain interdit trois titres hebdomadaires pour « atteinte aux institutions sacrées de l’Etat. » Publier en français, estime l’auteur, c’est aussi bénéficier d’une influence géopolitique beaucoup plus large en s’exposant sur la scène mondiale, en accentuant la dimension internationale de ses opinions, et peut être en engendrant un effet plus immédiat sur les acteurs économiques et politiques. Enfin, évoquant la censure qui frappe certaines régions, l’auteur considère les publications en français comme un instrument privilégié de la liberté de la presse. Selon lui, « l’avenir de la PFM reste prometteur ».

Isabelle Tenenbaum

La presse francophone en Méditerranée - Gilles Kraemer.
Maisonneuve et Larose-Servedit – 21,34 Euros (140 FF).

Au Val d’Aoste : la langue française subventionnée

La tradition francophone est forte au Val d’Aoste, petite région italienne, située au cœur de l’Union Européenne, et frontalière de la France et de la Suisse. Le français y est présent un peu partout dans les noms de lieu ou de famille. Trois titres y sont publiés régulièrement en langue française. Cette presse méditerranéenne francophone est-elle comparable à celles des pays arabes du Maghreb et du Moyen Orient ?
Ce rapprochement surprenant (cultures et mentalités diffèrent considérablement) opéré par Gilles Kraemer se justifie non pas par le nombre de titres en français, mais par le poids politique de la presse française dans cet espace du nord de l’Italie. Il traduit aussi une réalité linguistique complexe dans une région européenne riche, à fort taux d’alphabétisation.
Le Val d’Aoste, n’affiche qu’un seul hebdomadaire totalement francophone, le Peuple Valdôtain, organe du parti régionaliste qui se vend surtout par abonnement. Premier tirage de la région, (13 000 exemplaires) La Vallée Notizie hebdomadaire privé, est totalement bilingue. Enfin, deux autres hebdomadaires utilisent le français comme langue minoritaire à côté de l’italien : Le Courrier Notizie et Le Courrier de la Vallée d’Aoste, hebdomadaire du diocèse d’Aoste. D’autres publications ne font qu’une maigre concession à la francophonie 98 totalement italianophones, elles traduisent leur titre : Il Corsivo/ Le Cursif et Il Monitore Valdostano/ le Moniteur Valdôtain.
Objet de nombreux débats, le statut du français reste imprécis. Mais le bilinguisme est obligatoire à l’école depuis une loi de 1997 qui a suscité une véritable guerre scolaire aux cris de « Siamo Italiani » (nous sommes Italiens.) Face à cela, dans les montagnes du Val d’Aoste, des graffitis contre l’Etat italien rédigés en français colorent par endroits le paysage.
En effet, pendant trois siècles (XVIe-XIXe) le français a été la langue officielle du Val d’Aoste. L’italien n’est parlé que depuis la création de l’Italie en 1861. Aujourd’hui l’emploi du français, langue des Ducs de Savoie, est perçu comme la reconnaissance d’une identité locale, comme l’affirmation de l’appartenance à une région. Le français, qui fut interdit pendant la période fasciste, symbolise la sauvegarde du patrimoine valdôtain. Dans ce sens, la région encourage et subventionne les organes de presse qui réalisent des programmes en français, en accordant des subventions dès que 10 % des articles sont publiés en français. Mais la tentation est alors forte de multiplier les articles médiocres dans le seul but d’atteindre le seuil fatidique : une presse subventionnée risque de faire baisser la qualité de titres…

I. T.



Algérie : la presse en liberté surveillée

(MFI) L’Algérie est un des pays du bassin méditerranéen qui publie le plus grand nombre de journaux francophones. Les tirages en français ont toujours été supérieurs à ceux de la presse arabophone. En 2001, l’espace médiatique algérien est en pleine recomposition. Selon Gilles Kraemer, ce bouleversement illustre les contradictions d’un régime qui pratique toujours la censure.
Depuis l’indépendance jusqu’en 1990, la presse algérienne est étroitement contrôlée par l’Etat. En 1990, une loi vient bouleverser le paysage de la presse écrite en précisant que l’« édition de périodiques est libre. » Dès lors, en Algérie, la presse prend un nouvel essor. En dix ans, le nombre de quotidiens algériens a été multiplié par six. En l’an 2000, l’Algérie compte 36 quotidiens contre 6 en 1989. Aujourd’hui, les deux tiers des quotidiens algériens sont publiés en langue française.
El-Watan (crée en 1990), Liberté (né en 1992), et Le Soir d’Algérie (1990) représentent aujourd’hui les tirages francophones les plus importants. Le quotidien national El-Moudjahid, ancienne plus grosse parution du pays et titre officiel de l’Etat (365 000 exemplaires en 1965) a considérablement perdu de son importance. Son tirage tombe à 13 000 en 2000. Ces journaux sont peu orientés vers l’international, les informations y sont essentiellement algériennes.

« Un refus d’enfermement »

Parfois, la presse francophone peut gêner, le pouvoir algérien y voit en elle le symbole du progrès et de l’ouverture sur le monde. En effet, l’apprentissage du français garantit un niveau d’éducation et un accès à la culture. Le succès de la presse en français serait « l’indice d’un refus d’enfermement » dans un pays où « aucun titre de presse étrangère ne pénètre depuis 5 ans ». L’utilisation du français facilite le pluralisme et introduit une certaine distance par rapport aux pressions de l’Etat et à sa vision unique.
Pourtant, les écarts de la presse sont de plus en plus sévèrement réprimés. Les peines ont été durcies : prison et amendes (de deux mois à deux ans) punissent « l’insulte à un juge, à un fonctionnaire… » Un amendement prévoit des poursuites pour offense au Président de la République. Ces dispositions visent à « protéger l’Islam et autres religions célestes. » Entre 1996 et 1998, le ministre de l’Intérieur met en place des « comités de lecture » avant l’édition des journaux. Le ministère peut suspendre un titre en prétextant par exemple « l’éloignement de la ligne de conduite de l’Etat. » Ainsi en 1998, l’hebdomadaire Horizons est suspendu pour avoir critiqué l’Etat suite à une pénurie de papier.
Malgré ces restrictions, l’emploi du français et la lecture de la presse francophone restent très ancrés dans les mœurs algériennes. Un sondage réalisé en 1998 montre que deux parents algériens sur trois souhaitent toujours que leurs enfants apprennent le français à l’école comme première langue étrangère.


I. T.





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