(MFI) Comment s’affranchir de l’ethnocentrisme parisien ? En matière d'édition et de diffusion des littératures francophones, le fort « tropisme » parisien continue à être la règle, notamment pour les Francophones du Sud. Et il reste beaucoup à faire pour donner à la Francophonie et à ses ressources littéraires une vitrine digne de ce nom.A la recherche d’une reconnaissance
En cette année 2001 en Francophonie, lorsqu'on cherche un éditeur pour être publié, il faut encore souvent passer par Paris. Là aussi se trouvent les critiques littéraires, dont on sait bien qu'ils sont plus prompts à promouvoir William Faulkner que Salah Stétié, et qu'ils négligent volontiers des littératures considérées comme « périphériques ou secondaires ». Ces littératures-là ont d'ailleurs bien des raisons de se sentir à l’étroit dans le giron parisien, où elles restent sous-estimées, quand on sait avec quel dynamisme la langue se recrée, se fait, se défait, se moule, se coule à Brazzaville, Tunis, Pointe à Pitre, Tananarive, Québec, Liège, Kinshasa, Bruxelles, Abidjan.
Mais c'est un fait : la littérature française « mono-centrée » sur Paris correspond à une page d’histoire et à un contexte d’élaboration spécifique; tandis que la reconnaissance de l'infinie diversité des littératures francophones devrait ouvrir une nouvelle ère, ce que Marc Quaghebeur, Commissaire au Livre au ministère de la Communauté Française de Belgique, appelle « le troisième grand moment de l’histoire de la langue française ».
Donner à la Francophonie sa place
Le combat est sur tous les fronts : à l'université, où l'on relèvera l'absence d'une chaire des littératures francophones au prestigieux Collège de France. Où l'on sait bien que Norge, Ramuz, Assia Djebar ou Amadou Kourouma ne figurent point encore au programme des études de lettres. Alors que l'on parle tant de « l’interculturel », sa richesse reste encore largement ignorée des centres de décision et d'influence. Certains phénomènes éditoriaux (le succès de Kourouma en France) semblent indiquer une orientation, mais on est loin d'avoir pris toute la mesure de ce peut offrir le franchissement des actuelles limites éditoriales et académiques. La littérature d'un espace francophone par nature composite permet ce franchissement : parce que la langue française, au lieu de n’être qu’un instrument, inflexible et rigide, grammaticalement correct, peut, en se colorant, traduire mieux les imaginaires des autres membres de la galaxie. Tandis que certains attendent que Paris « donne (à la Francophonie) les moyens de ses ambitions », d’autres émettent des propositions pour rendre cette Francophonie plus présente à la fois, et plus autonome.
Les moyens d’une Francophonie dynamique
Parmi eux figurent les membres de l' atelier de réflexion organisé en prélude à la conférence des ministres de la Culture francophone de Cotonou, sur le thème « Littérature et édition ». Originaires du Nord et du Sud, docteurs ès lettres ou agrégés, écrivains ou directeurs de maison d’édition, chercheurs, cinéastes, les participants à cet atelier ont suggéré d’une même voix de donner à la fois un rôle actif aux auteurs, de modifier en profondeur l’enseignement, et de se « donner à voir » au public.
Du côté des auteurs, retenons cette idée de la mise en place d'une « antenne » professionnelle, qui règlerait les problèmes de visas, assisterait les écrivains dans les démarches auprès des éditeurs, surveillerait la si délicate question des droits d’auteurs. Et bien sûr il faudrait généraliser les initiatives tendant à organiser des résidences d'écriture, en proposant par exemple aux auteurs de décliner une thématique liée à une zone géographique spécifique, et de se produire en milieu scolaire... Au plan de l'enseignement, il pourrait s'agir de créer des entités de littérature francophone, de former les enseignants aux littératures francophones, d’enseigner conjointement Le corbeau et le renard et Le corbeau et le pique-bœuf, de rééquilibrer les manuels scolaires pour toujours favoriser les regards croisés.
En direction du public pourrait s'imposer la création d’une revue littéraire francophone, d’une émission télévisée littéraire francophone, et d’un grand salon biennal pour que les écrivains de l’émigration rencontrent ceux restés au pays, voire d’un grand prix de la Francophonie pour l’ensemble d’une œuvre et, naturellement, la généralisation des festivals...
Les moyens de la rencontre
Les chantiers sont vastes : il faut ouvrir, encore et toujours, des bibliothèques, faire circuler les livres, les créateurs, ancrer localement des pôles d’édition, multiplier les occasions et les lieux de rencontre, et sans doute rien ne peut se faire sans la collaboration des États ou des ONG. Des États en particulier, il est attendu une vigoureuse prise de conscience. Marc Quaghebeur conclut : « Il n’y a pas de fatalité de la domination anglo-saxonne. Il faut analyser nos richesses et nos faiblesses pour mettre en œuvre le fabuleux potentiel d’ouverture et d’invention que représentent les Francophonies, à l’heure du français pluriel ».
Caroline Koch