(MFI) Et si demain une Académie francophone se chargeait de dire le mot juste, en intégrant tous les mots, toutes les syntaxes d'une francophonie foisonnante ? La proposition vient de l'écrivain antillais, qui a commencé par tester un vocable digne de cette entreprise : la diversalité...
Et voilà un nouveau vocable refusé par le correcteur orthographique de mon ordinateur : diversalité, il ne connaît pas ! L’ordinateur, grand ordonnateur de la mondialisation, sera pourtant le vecteur forcé de ce concept : établi par l’auteur martiniquais Raphaël Confiant, le mot définit une aire de nouvelles identités au sein d’une francophonie émancipée de la norme parisienne et, de ce fait, constituant la meilleure réponse possible à l’avancée américano-anglo-saxonne. Dans sa contribution préparatoire à la IIIe conférence ministérielle francophone sur la culture, l’écrivain antillais se montre persuasif et porteur de suggestions audacieuses, comme la création d’une... Académie francophone.
Le laboratoire antillais
Qu'on se le dise, la Francophonie dispose d’un laboratoire grandeur nature de la diversité culturelle : c’est aux Antilles, en Guyane, ou à Haïti que s’est opérée la première « globalisation/mondialisation », puisque ces petits territoires ont été le lieu d’un brassage inédit dans l’histoire de l’humanité. Amérindiens, Africains, Européens puis Indiens, Chinois et Syro-Libanais ont juxtaposé leur imaginaire sans jamais fusionner ni disparaître. Et Raphaël Confiant dit de ce phénomène, baptisé par lui créolisation, qu’il « a inventé de toutes pièces l’identité multiple ». De ce bouillon de cultures résulte un monde neuf où Jésus, le chamane et le sorcier cohabitent chez le Créole « comme des pans de l’identité de chacun ». D’où le concept de diversalité par lequel « l’autre vit en nous » et qui n’a rien à voir avec une diversité globalisante/mondialiste aimant « à penser le monde en catégories étanches ».
Paris, la monolithique
La multiplicité des langues, c’est la multiplicité des imaginaires et des visions du monde. De là naît l’enrichissement. Un îlien ne peut exprimer ses réalités avec les mots de l’hexagone. Pour Raphaël Confiant la situation est claire : « le français doit être acclimaté aux nouvelles régions où il est installé ». Dès lors, Paris devrait ne plus se crisper sur une norme, Paris devrait renoncer à être le seul centre de production de la langue française au monde. Paris devrait développer les langues régionales de l’hexagone et les langues locales des anciennes colonies, là où se trouve le ferment de la revitalisation du français... Paris, rigide et monolithique, représente véritablement le bastion à conquérir, or tout démontre que la capitale des lumières rechigne à lâcher les rênes de la création de la langue : comme lorsque l’Académie française va inventer un franglais mél - message électronique – en négligeant le néologisme québécois courriel – courrier électronique.
Pour une Académie francophone
Et Raphaël Confiant fait un rêve : parce qu’il pressent qu’il y aura dans ce millénaire davantage de locuteurs de français à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’hexagone, il imagine une Académie francophone mondiale (siégeant à Paris, berceau historique), assortie d’Académies francophones régionales (par aires géographiques). Dans son utopie, il a tout prévu : le financement, la fréquence et la complémentarité des sessions, la publication d’un « Dictionnaire du français mondial » pour que les apports maghrébins, antillais, canadiens trouvent leur juste place. Et le plus important dans ce bel édifice : la fabrication de matériel scolaire pour l’enseignement « du créole, du wolof, du bambara, du berbère, de l’arabe, du tahitien ou des langues canaques », afin de favoriser l’identité multiple, seule capable de tourner le dos à l’identité unique de la mondialisation, seule alternative aussi à la marginalisation annoncée du français.
L'Académie francophone, ou comment ne pas avoir la tête trop près... de la coupole !
Caroline Koch