(MFI) Sans patrimoine pas de création, sans création pas de diversité : la préservation et la valorisation des patrimoines culturels sont de véritables enjeux pour les pays du Nord, mais aussi et surtout pour les pays africains, gravement menacés sous ce rapport. C'est bien la sauvegarde de l'identité des pays du Sud, confrontés à un risque de dépossession accélérée, qui est en question.
On le sait bien : il n'est pas aisé de se préoccuper de la préservation du patrimoine culturel lorsque l’on est confronté à des problèmes majeurs en matière de développement économique, de santé publique, d’éducation, et que l’on ne dispose pas des moyens nécessaires pour assurer le bien être de base des populations. Les pays africains se trouvent dans cette situation difficile. Et sont, de ce fait, les principales victimes des trafics d’œuvres culturelles. Ces pratiques illicites aboutissent à déposséder les Etats du continent d’une partie importante de leur patrimoine, sans qu’ils en obtiennent une quelconque contrepartie.
Les pillages de sites archéologiques et les vols dans les musées ont été nombreux en Afrique depuis plusieurs décennies. L’Icom, le Conseil international des musées, a publié en 2000 la « liste rouge » des œuvres dérobées en Afrique, sur laquelle figurent des statues, des masques, des terres cuites, des bronzes de nombreux pays comme le Mali, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Niger, le Cameroun, le Nigeria... La diffusion de cette liste a vocation à informer les collectionneurs et directeurs de musées et à les inciter à refuser d’acquérir ces objets sortis de manière illicite de leurs pays d’origine.
La spécificité culturelle africaine
Les pillages, hormis le fait qu’ils sont illégaux, font perdre une partie de leur signification aux œuvres en question en les sortant de leur contexte. En Afrique, la culture est aussi en grande partie orale. C’est l’une de ses spécificités par rapport à l’Occident où les biens matériels et l’écrit dominent sans partage. Un masque n’est pas simplement un objet que l’on regarde. Il a une fonction précise, il s’inscrit dans un environnement et un rituel. Et c’est grâce à la tradition orale qui se transmet par le griot, le chef de famille, que sont véhiculées ces données essentielles.
Perte sèche pour les Etats dépouillés, c’est aussi une perte de sens pour les amateurs qui y ont accès dans les pays du Nord où les œuvres finissent par atterrir dans des collections privées ou même dans des musées prestigieux. Personne n’est véritablement gagnant mais l’engouement pour l’art africain et l’augmentation des prix auxquels se négocient, en Europe ou en Amérique, les objets issus du continent n’incitent pas à arrêter les trafics. L’absence de législation en la matière non plus.
Face à cette situation, des organisations internationales comme l’Unesco, des associations telles que l’Icom, ou Africom, le Conseil international des musées africains, mais aussi l’Agence intergouvernementale de la Francophonie, tentent de réagir. Dans le cas de cette dernière institution, l’enjeu est double car la préservation du patrimoine des pays francophones d’Afrique contribue au combat plus large de la communauté en faveur de la défense de la diversité culturelle.
Dans le cadre de la préparation de la conférence des ministres francophones de la Culture, à Cotonou au mois de juin 2001, l’Agence intergouvernementale de la Francophonie a organisé des séminaires de réflexion autour de différents thèmes, dont celui du patrimoine et de la diversité culturelle. Plusieurs domaines d’intervention potentiels ont été mis en valeur pour améliorer les synergies d’actions entre les différents partenaires impliqués au niveau international ou régional.
Premier constat : la plupart des pays africains francophones ayant des législations inspirées du modèle français, l’espace francophone peut servir de base de départ aux coopérations juridiques pour améliorer les textes destinés à protéger le patrimoine culturel. D’autre part, l’Agence de la Francophonie peut être un intermédiaire utile pour promouvoir les actions de préservation et de valorisation du patrimoine « matériel » des pays africains, pour lutter contre les trafics, ainsi que pour favoriser les échanges entre musées, la formation, la documentation, l'organisation d’expositions…
Préserver le patrimoine immatériel commun
L’Agence intergouvernementale de la Francophonie, grâce à ses réseaux, son expérience d’intervention en matière culturelle, mais aussi parce qu’elle est la cheville ouvrière d’une communauté d’États unis autour d’une langue commune, est l’un des partenaires susceptibles de jouer un rôle dans la gestion du patrimoine culturel « immatériel ». C’est-à-dire tout ce qui concerne la musique, la danse mais aussi la transmission par la tradition orale. La constitution d'inventaires, la constitution de banques de données, des séminaires de réflexion pour « élaborer des cadres de traitement du patrimoine immatériel », ou réfléchir sur la notion de « musée vivant » sont autant d’actions nécessaires qui peuvent être menées au sein de programmes dans lesquels l’Unesco, l’Agence de la Francophonie et des institutions africaines spécialisées comme, par exemple, le Centre international des civilisations bantoues, peuvent conjuguer leurs efforts.
Valérie Gas
Encadré : L’Unesco lance la première liste du «
patrimoine immatériel »
(MFI) Une liste du patrimoine mondial existait déjà depuis 1972. Mais elle ne recensait que des chefs d’œuvre du patrimoine matériel, 690 merveilles (sites naturels ou culturels) réparties sur les cinq continents. Le directeur général de l’Unesco, Koïchiro Matsuura, vient de lancer en complément la liste du « patrimoine oral et immatériel ». Sous cette appellation, on regroupe aussi bien les langues que les contes, les mythes, les danses, les savoir-faire, les rituels… Dix neuf formes d’expression de la culture traditionnelle et populaire ont ainsi été sélectionnées par un jury d’experts présidé par l’écrivain espagnol Juan Goytisolo, en Amérique (4), en Asie (6), en Europe (5), en Afrique subasaharienne (3), en Afrique du Nord (1) et vont bénéficier d’un plan décennal d’action et de sauvegarde mis en œuvre par les Etats et les communautés qui ont présenté les candidatures, avec l’aide de l’Unesco. On peut citer notamment le théâtre Nôgaku du Japon, la place Jemaa el-Fna de Marrakech, la tradition orale du Gèlèdé au Bénin, les trompettes Gbofe d’Afounkaha de la communauté Tagbana de Côte d’Ivoire, l’espace culturel de Sosso-Bala en Guinée.
L’élaboration de cette liste a été mise en œuvre à la suite d’une sollicitation de groupes d’intellectuels de Marrakech qui avaient demandé à l’Unesco un soutien pour éviter que la place Jemaa el-Fna, l’un des lieux privilégiés d’expression de la culture populaire de la ville, ne soit transformée en parking. Après avoir examiné ce cas, les experts de l’Unesco ont continué à évaluer les besoins des pays à l’échelle mondiale dans le domaine de la culture orale.
Une soixantaine de candidatures avait été présentées à l’Unesco pour faire partie de cette liste. Mais seuls trente six pays ont pu réaliser un dossier qui répondait aux exigences techniques définies par l’Organisation avec notamment une vidéo, un projet de plan d’action sur dix ans, et à des critères comme la « valeur exceptionnelle » et le « risque de disparition ». Et dix neuf « chefs d’œuvre » ont finalement été sélectionnés. Les projets vont maintenant être présentés aux donateurs qui vont financer les investissements nécessaires pour assurer la sauvegarde de ce patrimoine.
La liste établie par l’Unesco n’est pas définitivement close. Une prochaine sélection doit avoir lieu en 2003. Et les candidatures qui n’ont pas été retenues dans un premier temps peuvent représenter un dossier à ce moment-là. D’autre part, la procédure pour l’adoption d’une convention sur le patrimoine immatériel est en cours. Car celle qui a été déjà été signée par 160 Etats et qui fait pendant à la liste du patrimoine mondial de l’humanité ne prend pas en compte l’aspect « oral et immatériel ».
V. G.