Entretien avec Francisco d'Almeida
(MFI) Francisco d’Almeida, délégué général de l’association Culture et Développement, et auteur d’une contribution dans le cadre de la préparation de la Conférence de Cotonou des ministres de la Culture francophones, précise quels liens il faut envisager entre sauvegarde du patrimoine et diversité culturelle.RFI : Quel lien existe-t-il entre préservation du patrimoine et diversité culturelle ?
Francisco d’Almeida : Pour qu’il puisse y avoir une rencontre, cela suppose de la diversité et la diversité tient à ce qui est singulier, spécifique à un groupe humain donné, une société ou un ensemble de personnes, qui se distingue par une façon de concevoir la vie, le monde, de se percevoir lui-même... cela relève directement de l’identité, qui est à la base du patrimoine. La préservation du patrimoine, c’est la préservation de cette identité, bien sûr en mutation constante, mais quand même avec une spécificité. Pour qu’il puisse y avoir dialogue autour de la diversité culturelle, il faut au préalable qu’il y ait de la singularité.
RFI : Cette diversité est-elle menacée parce que les pays pauvres n’ont pas les moyens de préserver leur patrimoine ?
F. d'A. : Je ne pose pas le problème aussi directement. Je dis que pour qu’il puisse y avoir diversité, il faut que les identités existent, compte tenu des exigences de leur temps. Après, la question des moyens est distincte. Vous pouvez avoir des pays qui ont une politique de préservation de leur patrimoine, de dynamisation, d’enrichissement de l’identité, de la façon de vivre, de l’être au monde des populations et qui ont les moyens de la faire. Et puis, il y a des cas où les Etats voudraient bien mais n’ont pas les moyens de préserver ce patrimoine. C’est le cas de plusieurs pays d’Afrique actuellement. Pour prendre une métaphore, si vous voulez que l’on fasse de la musique ensemble, un orchestre de guitares par exemple, et que je n’ai pas d’instrument électrique, je ne peux pas jouer cette musique avec vous.
RFI : Quelles sont les actions indispensables pour donner aux pays qui ne les ont pas les moyens de préserver leur patrimoine ?
F. d'A. : Il y a évidemment le gros problème des moyens mais je ne pense pas que l’on puisse fonder durablement le développement de la politique du patrimoine d’un pays sur l’aide extérieure, même si cela peut se faire à un moment. Ce qui est le plus important, ce ne sont pas tellement les équipements matériels, ce sont les personnes, les savoir-faire, les techniques nouvelles, originales, pour pouvoir travailler avec les publics africains. Le problème en Afrique, c’est que les musées, par manque de moyens, par une forme de sclérose, d’appauvrissement des techniques de présentation des expositions, sont un peu coupés des publics. Par conséquent, il y a nécessité à l’heure actuelle de travailler sur cette question de la présentation, de l’organisation des expositions, sous l’angle des moyens matériels mais aussi sous celui des méthodes, des nouvelles techniques de présentation. On peut faire des expositions dans les musées, on peut également les faire dans d’autres lieux, sous d’autres formes pour que les musées aient un lien vivant avec les populations. Evidemment il y a la question des moyens, mais ils ne sont que des outils. C’est ce que l’on veut faire qui doit être la priorité.
RFI : Quel peut être l’apport de la Francophonie ?
F. d'A. : La Francophonie représente un élargissement par rapport à la coopération bilatérale. L’espace francophone offre aux pays africains la possibilité de collaborer avec un plus grand nombre de pays : la Belgique, le Québec, la Suisse qui a intégré sous une forme spécifique l’Agence de la Francophonie, ou avec d’autres pays de l’espace francophone, que ce soit le Vietnam, les pays du Maghreb… La Francophonie offre un espace plus large et des possibilités de croisement d’actions diverses. Le fait qu’il y ait des professionnels du patrimoine venant des pays du Maghreb, du Sud du Sahara, de Bulgarie est une chance. Cela permet de confronter une diversité d’expériences, de voir qu’il y a des réalités qui sont similaires par certains aspects et différentes par d’autres, et cela constitue un enrichissement. L’espace francophone offre cette possibilité de grande diversité. Par ailleurs, la Francophonie offre aussi la possibilité d’additionner des moyens apportés par différents pays.
RFI : Au niveau multilatéral, l’Agence intergouvernementale de la Francophonie peut-elle avoir une valeur ajoutée par rapport à d’autres organisations internationales comme l’Unesco ?
F. d'A. : La réflexion qui est en court actuellement est de jouer la complémentarité entre les différentes institutions et les apports qu’elles peuvent avoir. Plus il y a d’intervenants pour aider les pays africains, mieux c’est. Maintenant, il faut distinguer les interventions des institutions les unes par rapport aux autres. A ma connaissance, l’Agence intervient essentiellement sur les questions de formation et sur la mise en commun de l’information sur le patrimoine culturel, par le biais du programme des inforoutes du patrimoine culturel. C’est quelque chose de spécifique, et il me semble que seule l’Agence a mis en place ce type de programme.
RFI : Peut-il y avoir un réel partenariat dans les échanges culturels entre les pays du Nord et les pays africains ?
F. d'A. : Bien sûr, cela s’est déjà fait. Par exemple, avec l’exposition Vallée du Niger dans laquelle plusieurs musées d’Europe et d’Afrique étaient impliqués. L’exposition a été conçue ensemble par les professionnels européens et africains, il y a eu une véritable concertation. Les pays africains ont procédé à des fouilles, des collectes, ont mis en valeur leurs objets et les pays du Nord ont apporté des moyens. Il faut avoir une vision réaliste des choses, nous sommes dans un contexte de déséquilibre de moyens. Je suis un tenant de la péréquation : celui qui a le plus de moyens collabore avec un autre à égalité dans la définition des contenus, mais à inégalité de moyens. C’est celui qui a le plus de moyens qui doit les mettre à la disposition de celui qui en a le moins… Je ne veux pas dire qu’il y a égalité parfaite mais il peut y avoir égalité, quand on crée les conditions d’un vrai dialogue. Dans la définition des contenus, dans la confrontation de nos intelligences, nous devons être à égalité.
RFI : Comment peut-on lutter contre les trafics d’œuvres culturelles dont sont victimes de nombreux pays africains ?
F. d'A. : C’est un grand drame pour les pays africains de se voir dépouiller d’objets qui ont une importance symbolique très forte pour leur population. Cela pose tout d’abord le problème de la pauvreté de ces pays, qui rend possible les trafics, ensuite celui des dispositifs de protection mis en place pour les éviter, mais aussi celui de l’éducation pour faire prendre conscience de l’importance de ce patrimoine et de la nécessité de le garder au sein des pays. Et également celui de la collaboration internationale nécessaire pour faire en sorte que ces objets si précieux restent dans leur pays d’origine. Des dispositifs sont mis en place actuellement, tant au niveau de l’Unesco que d’organismes comme Africom, c’est quelque chose qui se fera progressivement. Fondamentalement, il y a un énorme travail à faire de sensibilisation et d’éducation à la préservation du patrimoine.
RFI : Les trafics ne sont-ils pas aussi encouragés par les collectionneurs ou conservateurs des pays du Nord qui rachètent des œuvres sorties illégalement des pays africains ?
F. d'A. : Il faut instituer un impératif de restitution des objets. La bagarre à mener est là. Car les professionnels occidentaux opposent souvent aux demandes de restitution le principe de l’inaliénabilité d’un bien culturel quand il est entré dans les collections publiques sur fonds publics. Une fois qu’il fait partie du patrimoine de l’État, il devient difficile de l’en sortir. Il y a un vrai problème à ce niveau. Mais il n’y a pas de solution unique et globale. Il faut une addition de mesures, d’actions, de campagnes pour dénoncer de telles pratiques, il faut aussi renforcer les partenariats au niveau des organismes de police. Mais c’est tellement compliqué de récupérer les œuvres, qu’il paraît surtout nécessaire de faire un travail en amont.
Propos recueillis par Valérie Gas